Vayéra

Chers amis,
La paracha de cette semaine est placée sous le signe de l’hospitalité et de l’accueil. « Sous le signe » c’est-à-dire que le début raconte la façon dont Avraham accueillait les étrangers dans sa tente, mais ce récit est à lire à l’aune du contre-exemple, de l’antithèse que constitue l’histoire de Sodome et Gomorrhe, qui montre une société dans laquelle on refuse l’étranger et on cherche à lui porter atteinte par tous les moyens.
Il faut lire attentivement les deux récits en parallèle : Avraham est chez lui , au bord de sa tente (ouverte aux « 4 vents »), il se repose, nous dit le Midrach, après son opération, il fait chaud, des étrangers apparaissent, il les invite, pour ne pas dire qu’il les supplie de venir se reposer chez lui et leur offre à manger et à boire, ils le bénissent et lui confient qu’ils sont sur la route pour une mission : anéantir Sodome et Gomorrhe. S’ensuit le dialogue dans lequel Avraham tente de convaincre Dieu de renoncer à son projet, marchandage etc., et les « messagers » fonctionnent comme un fil conducteur au niveau de la narration, pour nous faire découvrir la ville de Sodome et ses mœurs dépravés vis-à-vis des étrangers, et à l’intérieur de cette description le personnage de Lot sert de révélateur, de mise en relief. Si nous reprenons brièvement le récit, Lot accueille les étrangers chez lui, comme son oncle Avraham. Différence : il habite (déjà !) une maison en dur, qui va lui servir pour se protéger, puisque le rôle de la porte est fondamental. Ce n’est plus la chaleur de la journée mais la nuit, et pour ceux qui connaissent la région, les nuits sont plutôt fraîches… encore une fois ce détail sert à mettre en relief le fait que ce n’est plus le climat qui est chaud, mais les hommes eux-mêmes, qui bouillent de violence et de désir sexuel. (L’année dernière j’avais expliqué que la scène où les hommes tentent de forcer la porte d’entrée est la métaphore d’un acte sexuel violent), etc. Et puis un détail dans le récit de Lot qui contraste totalement non seulement avec le récit d’Avraham, mais avec toutes les valeurs de la société de l’époque, autant que de la nôtre : pour calmer les ardeurs de la foule déchainée, il propose de leur livrer ses deux filles vierges pour qu’ils assouvissent leurs besoins et laissent ses visiteurs tranquilles. Une offre, une proposition incompréhensible ! Tous les commentateurs le soulignent : il dérape, il en fait trop, il perd la tête ! Sa volonté de respecter certaines valeurs lui fait perdre conscience de l’existence d’autres valeurs, peut-être plus importantes ou prioritaires : d’abord protège ta famille, ensuite défend l’étranger. Plus tard dans le récit, Lot sera « puni » en subissant les conséquences de ses actes, ce que les rabbins du Midrach appellent « Mida Kenegued mida » => ses filles vont coucher avec lui à son insu et ils donneront naissance à deux nations de bâtards.
Avraham, lui, sera récompensé par la naissance d’un fils légitime. Qu’est-ce qui justifie d’une telle différence de traitement ? Après tout, Avraham et Lot n’ont fait qu’accomplir la mitsva de l’hospitalité, le second un peu plus maladroitement que le premier, mais tous deux en appliquant le principe dont Avraham, dans la Kabbale, est l’archétype : Hessed, la générosité. Mais les commentateurs mettent le doigt sur un point fondamental : Avraham, lui, s’il n’avait pas de filles à proposer aux visiteurs, aurait très bien pu leur proposer sa femme ! Sarah dont, dixit le midrach, la beauté était la même à 99 ans qu’à 17 ans. Sarah qu’il n’avait pas hésité à céder lorsqu’il était en Egypte, cette fois, il la laisse s’occuper de la cuisine, mais pas plus.
Cet acte, ce non-acte ou non-don, le fait d’éviter d’offrir un être humain, qui, en droit de l’époque est considéré comme un bien meuble c’est-à dire que vous pouvez en faire ce que vous voulez, le fait d’éviter de considérer l’autre comme sa chose dont il peut disposer, c’est ce qui différencie fondamentalement Avraham de Lot à ce point précis du récit.
Il faut dire qu’Avraham a été un peu guidé dans son évolution personnelle : depuis quelque temps, on lui a demandé de ne plus appeler sa femme « Saraï » (ma princesse) mais « Sarah », « princesse » tout court. La circoncision aussi a pu servir de castration temporaire pendant laquelle il a cessé de considérer sa femme comme un objet.
Le récit semble nous dire qu’Avraham est arrivé au terme de longues épreuves et d’un examen qui avait pour but de l’initier à une autre conception de l’autre, même si cet autre fait partie de son clan. C’est comme si Dieu lui disait : « maintenant que tu as compris, seulement maintenant, tu peux avoir un fils ».
Cette conception Avraham la démontrera quelques années plus tard lorsqu’il acceptera de sacrifier son fils. Même si cet acte nous semble barbare, symboliquement, il veut dire « mon fils ne m’appartient pas, et j’accepte de prendre le deuil de tous les projets que j’avais pour lui, de l’idée même qu’il me survivra, pour le laisser vivre seul son histoire, et se séparer de moi »
Ce qui est touchant avec ces histoires vieilles de 4000 ans, ce sont leur humanité, leur modernité, leur actualité. Combien sommes-nous à avoir du mal à ne pas considérer nos enfants comme une extension de nous-mêmes ? Dans combien d’occasions est-ce que nous nous servons des autres non pas pour ce qu’ils sont mais pour l’utilité qu’on peut en tirer ? Pire, combien sommes-nous à nous définir, dans le monde du travail, par la valeur que nous pouvons apporter à l’entreprise, par le montant de notre salaire, et non pour qui nous sommes ?
Avraham a mis très longtemps avant de comprendre cela, sa chance étant qu’à l’époque l’espérance de vie était un peu différente, on pouvait devenir Papa à 110 ans et profiter de son enfant de longues années.
Le mieux que l’on puisse souhaiter à chacun d’entre nous c’est de pouvoir apprendre des expériences des autres le plus tôt possible, afin de pouvoir éviter à nous et à notre entourage beaucoup de souffrance et d’incompréhension.
Chabbat Chalom.

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