Behaalotekha 5773

Chers amis,

La Paracha de cette semaine est très riche et dense, tant en Halakhot (en lois), qu'en histoires. Au début : des lois concernant l'allumage de la Menorah dans le sanctuaire du désert, les Léviyim, à la fin des histoires malheureuses dans lesquelles le Peuple se révolte contre Moché et lui réclame de la viande, ils regrettent ouvertement d'être sortis d'Egypte et Moché se désespère. La paracha se termine par la faute de Myriam et Aaron qui ont médit de Moché à propos de sa femme, et Myriam est frappée de lèpre en punition, puis guérie au bout de 7 jours.

Au beau milieu du texte, sans lien apparent, deux versets :
במדבר פרק י פסוק לה

וַיְהִי בִּנְסֹעַ הָאָרֹן וַיֹּאמֶר מֹשֶׁה קוּמָה יְקֹוָק וְיָפֻצוּ אֹיְבֶיךָ וְיָנֻסוּ מְשַׂנְאֶיךָ מִפָּנֶיךָ:

וּבְנֻחֹה יֹאמַר שׁוּבָה יְקֹוָק רִבְבוֹת אַלְפֵי יִשְׂרָאֵל: פ

« Or, lorsque l'arche partait, Moïse disait: "Lève-toi, Éternel! Afin que tes ennemis soient dissipés et que tes adversaires fuient de devant ta face!" 36 Et lorsqu'elle faisait halte, il disait: "Reviens siéger, Éternel, parmi les myriades des familles d'Israël!" »

Comme si on ouvrait une parenthèse pour nous livrer une précision, sauf que la précision n'a pas vraiment l'air à sa place. De plus, une autre curiosité : le passage est entouré de deux lettres à l'envers, deux noun. Un grand mystère.

Rachi, un des plus grands commentateurs, peut-être le plus connu, cite le Talmud : "ce passage n'est pas à sa place, il a été pris ailleurs. Et pourquoi l'a-t-on placé ici? Parce que le texte parle de plusieurs malheurs, comme la Torah n'aime pas énoncer une succession de catastrophes, il faut tempérer, écrire quelque chose de positif au milieu."

Problème : de quels malheurs parle-t-il ? Je ne vais pas vous relire tout le texte, mais les malheurs de cette paracha se trouvent à la fin, après ce verset, avant cela tout va bien… c'est là qu'interviennent les commentaires du commentaire : le malheur, c'est que dans la narration nous sommes juste après le don de la Torah au mont Sinaï, le premier Chavouot, et après cet événement extraordinaire il a fallu partir. Mais ça ce n'est pas un malheur ?! Non, le malheur, la faute, le péché, c'est que les Bné Israël en partant de la "montagne de Dieu" étaient contents. Ravis, fous de joie, soulagés. Comme des enfants qui sortent de l'école, et se disent "partons-vite, avant qu'il ne nous rajoute encore quelques mitsvot…"

Le Midrach est très riche pour traiter des questions d’éducation, mais ici n’est pas mon propos.

L’enseignement du Talmud disant que le verset n’est pas à sa place est étonnant : connaissant l’exigence de la tradition juive à la fidélité du texte de la Torah, on doit se demander avec suspicion qui est l’auteur de ce couper/coller et pourquoi ? Puis est-ce que le Sefer Torah est cachère du fait de ce changement, ou bien peut-on se permettre de modifier l’ordre des versets, des mots ou des lettres à notre convenance, pour écrire un nouveau texte ?

D’après la formulation du Talmud, il est clair que le verset a été intentionnellement placé à cet endroit par l’auteur, et Rav Ashi, un des sages des dernières générations, affirme que son emplacement logique, naturel aurait dû être dans « פרשת דגלים », le texte des drapeaux : dans la paracha Behaalotekha nous trouvons une description assez précise, impressionnante et émouvante de la façon dont les déplacements du peuple se faisaient dans le désert.
  1. L’impulsion est donnée par la colonne de feu (la nuit) ou de nuée (le jour) qui guide le peuple à la fois dans l’espace et dans le temps, puisqu'elle peut rester immobile aussi bien une nuit que quelques mois, et le campement doit s’organiser autour d’elle. (générateur d’un sentiment d’instabilité)
  2. Puis signal sonore : deux trompettes que Moché reçoit l’ordre de fabriquer indiqueront la levée du camp.
  3. Enfin défilé des tribus en ordre derrière leurs drapeaux (non pas en ordre de naissance, mais un ordre un peu particulier que la Torah choisit) ce qui est important à retenir est que les Léviim portent l’Arche Sainte au milieu du peuple.
C’est donc ici, à ce moment précis, que la Torah aurait dû mentionner ce rite, ces mots particuliers que Moché prononce pour accompagner l’Arche d’Alliance (qui contenait, je le rappelle, les 4 tables de la Loi, un récipient de la Manne, le bâton d’Aaron et certains disent le sefer Torah de Moché).

Or au lieu de cela, c’est le texte qui s’est déplacé à l’intérieur de la Torah. Comme si l’Arche de l’Alliance se permet de voyager à l’intérieur de la Torah, en montrant sa liberté de le faire.

Sans refaire une chronologie fastidieuse de l’histoire de l’Arche de l’Alliance dans le livre de Josué, celui de Samuel et à l’époque du second Temple, on peut simplement dire qu’elle servait de point de ralliement à la fois par temps de paix, où elle était entreposée soigneusement, que par temps de guerre, où elle participait aux batailles et faisait des miracles : elle ouvre les eaux du Jourdain, galvanise les troupes en se battant en première ligne et assure la victoire, une fois même se fait capturer par les philistins, ce qui leur cause de graves ennuis avant qu’ils ne préfèrent s’en débarrasser, est menée en grande pompe à Jérusalem par le roi David, est conservée dans le premier Temple avant de disparaître et de nourrir nombre de légendes et de fantasmes sur sa location précise.

Cette histoire, qui n’aurait qu’un intérêt limité si elle n’était que la relation d’évènements romanesques, une épopée, a en fait une portée théorique et théologique : elle décrit la manière dont le peuple d’Israël est passé de l’état d’idolâtre du tétragramme, de religieux antique (qui a besoin de promener avec lui physiquement son dieu pour se rassurer par sa présence), progressivement à l’état de monothéiste abstrait, qui a de moins en moins besoin de la présence rassurante d’un objet de « transfert » pour se rassurer sur Son existence et Sa présence.

Plus la foi se passe d’éléments tangibles et concrets, plus elle est pure, et paradoxalement solide :
משנה מסכת אבות פרק ה משנה טז
[טו] כל אהבה שהיא תלויה בדבר בטל דבר בטלה אהבה ושאינה תלויה בדבר אינה בטלה לעולם איזו היא אהבה התלויה בדבר זו אהבת אמנון ותמר ושאינה תלויה בדבר זו אהבת דוד ויהונתן:

Sans spéculer sur la question épineuse de la date de rédaction des textes de la Torah, on peut trouver ironique et plaisant le fait qu’à un moment donné de l’histoire le passage demandant à Dieu de se lever pour combattre ses ennemis ait été détaché, séparé du passage ou physiquement l’Arche d’Alliance se lève pour se mettre en marche.

A un moment de l’histoire, un des auteurs de la Torah (Dieu, Moché, ou un des scribes postérieurs) a jugé important de signifier dans le texte cette coupure entre la représentation et la transcendance. Une manière de trancher dans le débat très ancien : la destruction du Temple est-elle un évènement négatif ou positif ? => Puisque nous n’avons pas le choix, autant faire en sorte que cela devienne un évènement qui nous fasse franchir un pas de plus vers un niveau supérieur de fidélité au divin (Emouna) : l’abstraction, qui ne signifie pas seulement se passer d’objets, mais aussi et surtout se passer de Ses manifestations directes dans le présent, de Ses interventions surnaturelles dans le cours de l’histoire.

Depuis la destruction des Temples (le premier, qui contenait encore l’Arche, et le deuxième, qui en portait encore la trace) nous avons, en tant que collectif, fait un long chemin, un voyage bien plus long dans le temps que celui du désert, vers une conception de plus en plus proche de ce que l’on appelle pompeusement le monothéisme éthique absolu : un monothéisme épuré, suffisamment fort intellectuellement et riche émotionnellement pour faire face avec courage à l’exil. Pas l’exil du peuple juif, qui n’est qu’un moindre mal, mais l’exil de Dieu, de Sa parole et de Ses interventions dans l’histoire.

Néanmoins nous éprouvons la nécessité de maintenir parmi nous le témoignage de Sa présence historique, les traces de Son dialogue avec l’humain et de Son alliance avec le peuple juif, en faisant résider parmi nous la Torah, qui prend la place de l’Arche dans la synagogue (miqdach mé’at), et en prononçant les mêmes paroles que Moché lorsqu’elle se met en mouvement :
« Or, lorsque l'arche partait, Moïse disait: "Lève-toi, Éternel! Afin que tes ennemis soient dissipés et que tes adversaires fuient de devant ta face!" 36 Et lorsqu'elle faisait halte, il disait: "Reviens siéger, Éternel, parmi les myriades des familles d'Israël!" »


Chabbat chalom

Nasso 5773

Chers amis,

La paracha Nasso est particulièrement riche et comporte plusieurs sujets, parmi lesquels on trouve l’ordre de mission de la tribu de Levy (ceux qui seront chargés de transporter les objets du sanctuaire pendant les voyages du désert), les règles concernant le « naziréat » => une personne qui pour une raison ou une autre ferait un vœu d’abstinence et se priverait de boire du vin et de se couper les cheveux pendant une période donnée, on trouve aussi, presque perdu au milieu de la narration, la fameuse « birkat cohanim » cette bénédiction que les prêtres sont habilités à nous transmettre et qui est encore utilisée aujourd’hui dans la liturgie, et enfin une description assez précise de la façon dont Dieu parle à Moché à l’intérieur du sanctuaire.

Le sujet qui m’a intéressé cette semaine est la règle de la femme « Sota » c’est-à-dire la femme soupçonnée d’adultère par son mari, qui doit être amenée au Temple et à qui on doit faire boire מים המאררים de l’eau amère, une sorte de breuvage composé avec de l’eau du sanctuaire, un peu de poussière ramassée sous l’autel, et de l’encre diluée après que l’on ait écrit des versets de la Torah sur un parchemin (quelques versets de la paracha Nasso incluant le nom divin du tétragramme). La cérémonie doit intervenir si le mari a interdit à sa femme de s’isoler avec tel ou tel homme, et que deux témoins sont venus affirmer qu’elle n’avait pas obéi à l’interdiction de son mari. Néanmoins elle affirme avec force qu’elle ne s’est pas souillée avec lui, autrement dit qu’il ne s’est rien passé entre eux. C’est si le mari a perdu confiance en elle et continue à avoir un doute sur son comportement, et donc sur les enfants qu’il va avoir avec elle, qu’elle porte peut-être déjà, que la cérémonie doit avoir lieu. J’insiste pour donner tous ses détails, qui ne sont pas tous directement dans le texte mais qui sont codifiés dans la Talmud où les Hakhamim dédient un traité entier de la Michna et de la Guemara à cette question, pour dire que la cérémonie ne peut avoir lieu sans l’assentiment des deux protagonistes : le mari et la femme.

Si la femme avoue avoir trompé son mari, elle est divorcée (répudiée) automatiquement (sans les dispositions légales à son bénéfice). Si le mari refuse la cérémonie, il doit divorcer de sa femme à ses torts, au bénéfice de l’épouse. Jusqu’au dernier moment, la cérémonie peut être annulée, par l’un ou par l’autre.

Si la femme boit cette potion alors qu’elle a effectivement trompé son mari, un effet miraculeux s’opère et son corps se déforme, prouvant à tous sa faute et sa disgrâce méritée. Si en revanche elle est innocente et injustement accusée, l’eau lui servira de bénédiction et elle sera bénie dans sa fécondité.

D’ordinaire, lorsque je me trouve devant un texte comme celui-ci, je m’attache à désamorcer l’apparente misogynie de la loi et je tente de prouver que malgré l’arrière-plan patriarcal, une attention spéciale, une écoute particulière est portée au féminin dans la Torah. Dans ce cas précis, dire que la loi de Sota est une loi féministe mal comprise serait un contresens douteux. Non, dans le texte de la Tora aucune attention n’est portée à l’épouse, qui est traitée comme un objet auquel on n’adresse même pas la parole. C’est dans la tradition orale qu’on va trouver un certain souci de justice, et donc d’équilibre entre le mari et son épouse : si le mari lui-même a trompé sa femme et eu des relations interdites, alors l’eau de la potion est inefficace. Plus encore : on imagine une cérémonie dans laquelle, contrairement à la Tora écrite on fait boire au mari le même breuvage pour vérifier si lui-même est innocent. Enfin on justifie l’arrêt de cette pratique dès l’époque du second Temple sous le prétexte que cela ne peut fonctionner que dans une époque où tout le peuple a un comportement exemplaire, et pas dans une époque où la « pritsout » (débauche) est monnaie courante.

Néanmoins ce développement ne suffit pas à camoufler la violence et l’humiliation que subit la femme soupçonnée, puisqu’elle est véritablement maltraitée par le prêtre en charge de la cérémonie, qui doit la trainer par les vêtements, les déchirer jusqu’à la poitrine et lui défaire les cheveux, et ce publiquement car tout le monde doit pouvoir assister à la scène.

L’occasion de drachot sur le chalom Bayit, dans lesquelles le mari soupçonneux a le mauvais rôle.

רבי מאיר היה יושב ודורש בלילי שבת. הייתה שם אשה אחת יושבת ושומעת לו. נתאחרה דרשתו. המתינה עד שגמר מה שדרש, הלכה לביתה ומצאה הנר כבה. אמר לה בעלה: היכן היית? אמרה לו: ישבתי ושמעתי דרשה. אמר לה: כך וכך [=לשון שבועה] שאין את נכנסת לכאן עד שתלכי ותירקי בפני הדרשן. ישבו שבת [=שבוע] ראשונה, שניה ושלישית. אמרו לה שכנותיה: כעת אתם במריבה, הבה נלך עמך אל הדרשן. כיון שראה אותם רבי מאיר, צפה ברוח הקדש, אמר להן: יש ביניכן אשה היודעת ללחש עין? אמרו לה שכנותיה: כעת את הולכת ויורקת בפניו ונעשית מותרת לבעלך. כיון שישבה לפניו נרתעה מלפניו. אמרה לו: רבי, אין אני יודעת ללחוש עין. אמר לה: התיזי רוק בפני שבע פעמים ואני מתרפא. ירקה בפניו שבע פעמים. אמר לה: לכי אמרי לבעלך, אתה אמרת פעם אחת, אני ירקתי שבע פעמים. אמרו לו תלמידיו: רבי, כך מבזים את התורה לא היה לך לומר לאחד מאתנו ללחוש לך?! אמר להם: לא דיו למאיר להיות שווה לקונו?! ששנה רבי ישמעאל: גדול שלום, ששם הנכתב בקדושה אמר הקב"ה ימחה על המים בשביל להטיל שלום בין איש לאשתו.
Une particularité : un mot que vous connaissez tous, même ceux qui ne connaissent pas un seul mot d’hébreu apparaît pour la première fois dans la paracha, et ce mot est prononcé par une femme : Amen.
במדבר פרק ה

(כב) ובאו המים המאררים האלה במעיך לצבות בטן ולנפל ירך ואמרה האשה אמן אמן:

משנה מסכת סוטה פרק ב

משנה ה
[ה] על מה היא אומרת אמן אמן אמן על האלה אמן על השבועה אמן מאיש זה אמן מאיש אחר אמן שלא שטיתי ארוסה ונשואה ושומרת יבם וכנוסה אמן שלא נטמאתי ואם נטמאתי יבאו בי רבי מאיר אומר אמן שלא נטמאתי אמן שלא אטמא:

Aujourd’hui sur Ynet : excellent article de Rouhama Weiss.

Pour le résumer en quelques mots, elle commence par déplorer que la première fois qu’apparait le mot « amen » soit à cet endroit de humiliation de la femme.
Puis elle s’interroge sur la signification du mot : dans le contexte, ce ne peut pas être « ainsi soit-il » ou « je le souhaite » ou « je suis d’accord ».
Elle pense que ce sera plus : אף על פי כן « Malgré tout ». Malgré le fait qu’on m’oblige à faire cela, je suis présente devant cette loi et je continue à me tenir devant ce Dieu que je trouve injuste.

De manière très belle et très touchante, elle fait un parallèle avec la littérature prophétique : La femme = le peuple d’Israël, qui à cause de ses fautes (tromperie) souffre de manière injuste et disproportionnée. Et néanmoins le peuple juif continue à dire Amen. Malgré tout.


Chabbat chalom

Bemidbar 5773

Chers amis,

Aujourd’hui vendredi est (était) Roch Hodech Sivan. Malheureusement dans notre communauté les jours de néoménie passent largement inaperçus. D’un côté cela se comprend, car Roch Hodech n’est pas dans la tradition un jour de Yom Tov dans lequel on modifie le contenu de la journée, mais d’un autre côté c’est paradoxal pour une communauté aussi féminine, puisque Roch Hodech est par définition une célébration féminine, car associée au rythme lunaire de 28 jours.

Ce matin, comme tous les raché hodachim depuis des années, un groupe de femmes religieuses des courants non-orthodoxes s’est rassemblé à Jérusalem, au mur occidental du Temple, le Kotel pour prier, en revendiquant de pouvoir le faire au vu et au su de tous avec Talit et Téfilines. Ce groupe se nomme Néchot Hakotel ou « women of the wall », les femmes du mur.

Je dois être le plus clair et le plus honnête possible. Jusqu’à présent je n’en ai pas parlé et n’ai pas non plus relayé d’informations sur leurs activités, car je n’ai pas soutenu leur combat, loin s’en faut. Depuis le jour où j’en ai entendu parler, au séminaire rabbinique à Jérusalem, jusqu’à très récemment, leur cause m’a toujours paru inutile, absurde et contre-productive.

  1. Insister, se battre pour prier au Kotel n’est pas une lutte représentative de la théologie des mouvements que nous représentons. Nous sommes les héritiers d’un courant rationaliste parmi le peuple juif, et nous sommes démarqués (à raison je crois) d’une tendance mystico-superstitieuse qui tend à attribuer au Kotel une valeur religieuse centrale dans la vie juive, qu’elle n’avait pas il y a quelques années. D’une valeur de sainteté qui est incontestable dans les textes du Talmud (encore faut-il s’accorder sur la signification à donner à ce mot), on a glissé lentement mais sûrement vers une sacralisation du lieu, jusqu’à y voir un endroit où réside la présence divine en permanence, et où elle reçoit, lit et répond à son courrier (notes, fax, emails…).
  2. Nous ne souhaitons la reconstruction du troisième temple que de manière très théorique et avec beaucoup de réserves. L’expression « lieu saint du judaïsme » m’a toujours paru problématique, même si je reconnais qu’elle se base sur des sources authentiques, il me semble que son usage politique s’est développé avec le sionisme pour trouver un parallèle juif à une expression utilisée principalement par les chrétiens et les musulmans.
  3. Après quelques échauffourées et scandales, un endroit a été effectivement octroyé aux courants non-orthodoxes pour prier comme ils le souhaitaient au mur : les fouilles archéologiques au sud ont été subventionnées par un milliardaire américain, M. Davidson, et il a aménagé un espace que l’on appelle Hakotel Hamassorti, auprès duquel j’ai moi-même célébré des Bar/bat Mitzvah.
  4. Enfin le principe des « femmes du mur » me dérangeait (et me dérange toujours) en tant que juif massorti, attaché à l’égalité hommes/femmes : si j’avais envie de venir prier avec elles, m’auraient – elles compté dans le minyan ? Ou m’auraient-elles dit non parce que je suis un homme ? Et s’il s’était formé un groupe d’hommes du mur dans nos communautés, n’auraient-elles pas crié au scandale ?
  5. La volonté de s’afficher publiquement dans un lieu si symbolique me paraissait une provocation gratuite afin d’attirer l’attention des médias, est destinée essentiellement au public américain militant féministe, et non au public israélien relativement indifférent. Je n’ai jamais considéré l’engagement et le militantisme dans le mouvement massorti comme une mission (au sens de missionnaires qui cherchent à convaincre les gens de leur vérité).

D’un autre côté, comment ne pas être sensible aux arguments des femmes du mur, pour qui l’accès au Kotel doit être permis à l’ensemble du peuple juif/israélien, et que les ultra-orthodoxes n’ont pas à monopoliser et confisquer le lieu comme cela s’est vu ces dernières années.

Je ne suis pas compétent pour retracer l’histoire de la lutte militante des femmes du mur et des derniers développements de cette année. Disons simplement qu’il y a encore quelques mois, quelques-unes d’entre elles se faisaient arrêter par la police et placer en garde à vue, car la loi israélienne stipulait que leur comportement volontairement provocateur troublait l’ordre public du lieu, infraction qui pouvait valoir jusqu’à 7 ans de prison.

Le combat s’est donc déplacé sur le terrain judiciaire, et une décision récente de la haute cour de justice ordonne aux autorités de réserver une partie de l’esplanade du Kotel à un public mixte.

Ce matin, quelques dizaines de femmes se sont réunies pour prier comme à leur habitude, alors que des milliers de harédim, dont des filles qui ont eu un congé spécial pour l’occasion, étaient présents pour manifester leur colère et leur désapprobation, à l’instigation de quelques dirigeants haredim. Pour la première fois, la police n’était pas là pour les en empêcher et les arrêter, mais pour les protéger et leur assurer la liberté de culte.

Je n’ai pas le temps ici de détailler les quelques réactions que j’ai pu lire dans la presse israélienne en fin de matinée/début d’après-midi, mais l’immense exagération haineuse de la part des quelques rabbins orthodoxes qui se sont exprimés sur la question m’a suffisamment  dégoûté pour que je trouve finalement sain que leur obscure intolérance sorte au grand jour.

Puisque nous sommes dans la dernière semaine du Omer et de la récitation des pirké avot, un des aphorismes que nous avons lu la semaine dernière parlait justement des différences entre un Sage et un sot. Parmi celles-ci, une des caractéristiques du sage est dans sa capacité de « modé al haemet » => reconnaître la vérité. Je reconnais donc, même si je continue à avoir le même avis sur la question, que la victoire du mouvement des femmes du mur est une victoire pour l’ensemble des mouvements non-orthodoxes, pour la démocratie et la liberté de culte au sein de l’état d’Israël, et plus largement pour le judaïsme en général, puisque nous bénéficierons d’une manière ou d’une autre de cette nouvelle avancée, même si elle est petite, comme nous tirons profit de chaque pas conquis par nos amis en Israël ou ailleurs.

Mais après nombre de visites au Kotel dans lesquelles je n’ai rien ressenti de particulier à part de l’intérêt intellectuel face aux découvertes archéologiques, qui pour la plupart confirment les textes bibliques, je reste avec l’idée que le véritable lieu saint du judaïsme se trouve ailleurs qu’à Jérusalem devant le mur dit « des lamentations ». Pour moi il se trouve dans le désert du Sinaï, sur une montagne qui s’appelle aussi Sinaï, de laquelle on parle dans la paracha de cette semaine comme dans toutes les parachot depuis la moitié du livre de l’Exode. Ce lieu est saint parce qu’il ne figure sur aucune carte, et que jusqu’à aujourd’hui personne ne sait précisément où il se trouve. Il est simplement dans le désert, lieu neutre, au-delà de toute frontière, de tout particularisme ethnique ou géographique. Un lieu ouvert à tous. Un lieu dédié à la parole : midbar/medaber. Le lieu où il y a tellement de silence qu’on peut enfin véritablement entendre, d’où les périodes d’isolement des prophètes.

Un endroit qu’on peut visiter très facilement : il suffit d’ouvrir un livre, la Torah, à n’importe quelle page, pour que la voix qui a parlé au Sinaï se fasse entendre, dans ce lieu qui fut la seule patrie du peuple juif, pendant les siècles qui précédèrent la création de l’état d’Israël : le Livre.

Peut-être qu’un retour régulier au Livre, et notamment à la façon dont il fut perçu par le peuple juif, chaque tribu derrière son drapeau, permettra de calmer les esprits et de se concentrer sur la véritable signification du Lieu, comme origine, point de départ et non place de conquêtes, de batailles, de divisions et de haine.

Pour conserver la sainteté du Kotel, n’en faisons pas un lieu sacré, comme le Vatican ou La Mecque. Il ne tient qu’à nous de faire en sorte que ce lieu reste un point de rassemblement pour le peuple juif, pour tous les juifs, et pour cela il faut certes des militants courageux et dévoués, mais aussi des lecteurs attentifs de la Torah.


Chabbat chalom

Behar-Behoukotaï 5773 (Par Maayane Meyer)


Ce chabbat nous avons à lire non pas une mais deux parachioth, BEHAR et BEHOUKOTAÏ
afin d'harmoniser les calendriers solaire et lunaire.
En outre, ce sont les deux dernières du Lévitique, Livre des cohanim, Livre sacerdotal
par excellence.
Je voudrais un instant revenir sur ce volume avant de le quitter.
Son premier mot est "vahikra", dont la racine signifie "Il crie, Il proclame". Par là Hachem annonce à Moche, sur la montagne -"Behar"-, les décrêts –"houkot" auxquels les bnei Israël par l'intermédiaire de ses prêtres, doivent se soumettre.
C'est un vademecum des lois régissant l'éthique et la pratique relatives aux cohanim.
Je vais vous les résumer en prenant comme base André Chouraqui :
1-      Les rites sacrificiels : les différentes offrandes et sortes de sacrifices
2-      L'inauguration du sanctuaire : l'installation et le service des "desservants" comme les nomme A. Chouraqui
3-      Les différentes causes de contamination incluant les notions d'idôlatrie, de pureté et d'impureté par la naissance, par contact, par relations sexuelles prohibées
4-      Les sources de la sacralité dont est issue notre paracha : sacralité du Temple et de ses desservants, bien sûr, mais aussi de la Terre qui n'appartenant qu'à Dieu, ne peut être objet de conflit puisqu'excluant  la notion de propriété individuelle.

Mais revenons à notre paracha de la semaine qui sont deux.
La première "behar" -sur le mont- traite principalement de la façon dont les bnei Israel doivent se comporter par rapport à la terre dont ils ne sont que locataires, temporaires donc par définition, et qui ont obligation de gérer selon des lois très strictes à savoir nécessité de laisser la terre indemne de l'action de l'Homme à intervalles réguliers ::
–tous les 7 ans,  une année chabbatique - et tous les 49 ans une année jubilaire.
Nous constatons là la symbolique du chiffre 7, très souvent utilisé dans la Torah : (le chabbat ; les 49 jours entre Pessah et Chavouot, les 49 niveaux de servitude morale et psychologique auquel étaient parvenus les esclaves hébreux en Egypte, ultime seuil où il est encore possible de se libérer).
Ces deux périodes où la terre est "a-cultivée", une fois tous les 7 ans, la "chmita" et l'autre –- tous les 49 ans, le yovel, témoignent de l'attitude d'humilité, de respect devant une instance qui échappe à l'Homme et à maintes reprises avancée dans la Torah : car au nom de quoi, de qui, le sol que j'ai ensemencé, moissonné, travaillé n'est-il pas à moi et donc pourquoi ne puis-je pas récupérer le fruit de mon labeur ?
De même qu'Elohim a cessé de créer et qu'il a inscrit le repos comme élément actif de sa Création, de même la terre dont il est le seul et unique propriétaire doit aussi s'arrêter.
Ce qui toutefois émergera pendant cette période d"entre-deux", appartiendra à tout le monde, homme libre, esclave, métèque ou étranger.
C'est ainsi que l'on peut aller au-delà de cette simple recommandation de jachère, et tirer une des principales leçons que nous offre le judaïsme, celle de la solidarité, c'est-à-dire la prise en compte de l'autre surtout s'il est dans le besoin, "Hessed et Tsedaka".

La seconde sidrabehoukotaï- sera axée elle, sur l'abomination des idoles, sur les bénédictions et les malédictions.
Ne pas se tourner vers des idoles était déjà mentionné dans l'Exode. Mais ici on franchit une étape supplémentaire : non seulement il est interdit de se tourner vers  une idole mais il est interdit d'en fabriquer, que ce soit sous forme de sculpture ou de stèle. Ces dernières étant fréquentes en Orient et même chez les hébreux,… Rappelez-vous Jacob lui-même à Beith El….. Mais peu à peu les prêtres se sont rendu compte que le simple respect du lieu se transformait de façon perverse, en vénération de l'objet érigé là, et censé être ou contenir un dieu...
Aussi en sont-ils arrivés à en interdire toute fabrication et à ordonner la destruction de celles existantes. Seul le Temple est une concession…..dans les deux sens du terme, territorial et moral …….
Nos Sages n'ont pas manqué de rapprocher dans leurs commentaires, le respect du chabbat
comme interdiction de se livrer à l'idolâtrie.
Aujourd'hui où il est si facile de se laisser aller à une action ininterrompue, à une idolâtrie du consumérisme en tout genre, le chabbat apporte cette relâche, ce lâcher-prise d'avec le monde extérieur, cette sérénité intérieure indifférente au tourbillon environnant.

C'est une bénédiction en soi….. Parmi d'autres dont traite notre paracha : la pluie, la fécondité, la paix avec les voisins, la liberté de servir Hachem qui ne seront accordées aux bnei israel que dans la mesure où ils observeront les lois édictées par Lui ; dans le cas
contraire, ils subiront des malédictions terribles où la maladie, la sécheresse, les défaites, les massacres, la famine,  et jusqu'aux instincts cannibales seront à l'œuvre…….
Néanmoins rassurez-vous : ces dernières n'iront pas jusqu'à la destruction définitive. Piètre consolation devant tant d'horreurs annoncées…. Mais tout de même, en dernier recours, une consolation : l'alliance contractée avec Abraham, avec Isaac et avec Jacob ne sera pas remise en cause. Dieu établira le peuple d'Israël sur la Terre qu'il leur a promise afin qu'il en fasse un  jardin…..


Pour terminer, une dernière réflexion qui transparait de ces deux sidroth : la liberté qu'a conquise ce peuple, eh bien il ne pourra en profiter que s'il se dégage de toute sidération, de tout enfermement que provoque l'espace clos d'une idole quelle qu'elle soit. Ainsi, s'échappant de l'asservissement qu'induit inévitablement la fascination,  il mettra à profit son tout nouveau cadeau offert par Dieu, les Lois de la Torah, seules garantes d'une réalisation féconde et harmonieuse de ses capacités créatrices.

Chabat chalom