Houqat

La paracha Houqat se lit habituellement couplée avec la paracha suivante, Balaq, dans laquelle le roi de Moab qui a peur du peuple d’Israël qui s’avance sur son territoire, appelle à la rescousse un prophète, Bilaam, pour maudire ce peuple, et la malédiction se transforme en bénédiction par l’effet de la prophétie.
Cet épisode est l’occasion pour les commentateurs de s’interroger et de développer un sujet très dense, qui touche à la théologie autant qu’à la politique : la Torah nous annonce qu’il existe des prophètes non-juifs, à qui Dieu s’adresse et avec qui il entretient une relation, même s’ils n’appartiennent pas à la famille, aux descendants des patriarches Avraham Itshaq et Yaakov.
Par un développement du raisonnement Talmudique que je vous épargne, les Sages en arrivent à la question : qu’est-ce que la prophétie ? Qu’est-ce qu’un prophète, quelqu’un destiné dès la naissance à cette fonction, ou choisi pour ses qualités, et quelles qualités sont requises etc. ?
Le sens commun voudrait que la définition du prophète soit : un homme ou une femme à qui Dieu parle, et/ou par lequel Il s’exprime, qu’Il utilise comme intermédiaire pour faire passer un message aux humains.
Un autre sens serait : celui ou celle qui prédit l’avenir.
Cela, c’est peut-être la définition du dictionnaire, mais c’est insuffisant. La méthode d’exégèse talmudique requiert que l’on examine attentivement tous les personnages que le récit biblique considère comme prophètes afin de déterminer quels sont leurs points communs et les valeurs qu’ils représentent, pour établir une définition plus complexe et donc plus fidèle à la réalité.
En relisant les biographies de tous les prophètes, de Samuel à Elie, D’Ézéchiel à Isaïe, de Jérémie à Jonas pour ne citer que les plus connus, on peut définir certains critères communs à tous :
1.    On ne fait pas d’études pour devenir prophète. Il n’y a pas de formation, au mieux quelques stages avec un maître lui-même prophète (voir Elie et Elisée). La prophétie touche des gens instruits, de bonne famille, intégrés, au parcours irréprochable dans l’aristocratie ou le clergé, qui un jour, au nom de certaines valeurs choisissent de se rebeller contre l’ordre établi auquel ils appartiennent et trouvent, face à une certaine évolution de l’histoire, le courage de dire NON, et de payer le prix de leur refus par l’isolement, seul contre tous, et parfois la mort.
2.    Le message délivré est un message politique : le prophète harangue les foules et demande de modifier les comportements de la société, mais sait aussi s’introduire dans l’entourage des puissants, du roi, et jouer de son influence pour tenter de convaincre le pouvoir politique de changer d’alliance ou de conclure une paix avant la destruction du pays et de sa capitale.
3.    Le prophète s’identifie totalement au destin de la nation, et n’hésite pas à incarner physiquement les malheurs du peuple, soit par symbolisme dans sa vie personnelle, soit en l’accompagnant dans ses malheurs.
4.    Evidemment, le prophète prédit l’avenir. Mais on sait aujourd’hui que les textes qui décrivent avec précision comment untel a « annoncé » ce qui allait se produire ultérieurement ont été rédigés couchés par écrit postérieurement à la vie du prophète, non pas dans un esprit de culpabilisation mais plutôt de responsabilisation : non pas pour dire « les malheurs qui vous frappent sont de votre faute, sont le résultat de vos mauvaises actions », mais « ces malheurs, il était en votre pouvoir de les éviter si vous aviez écouté, aidé et soutenu untel, de même il est possible à chaque instant de modifier votre destin car vous l’avez tous en main, individuellement et collectivement ».
5.    Paradoxalement, avec tous ces critères, la communication avec le divin est reléguée au second plan : dans l’univers du Tanakh, dans le monde dans lequel il a été donné/reçu/rédigé, recevoir une communication de Dieu, lui parler, dialoguer avec lui est quelque chose d’excessivement banal et commun, et on trouve de nombreux témoignages de gens à qui Dieu a parlé et qui n’en ont rien fait, et dont le nom a été oublié, parce qu’ils ne remplissaient pas les critères pour être « canonisés », « validés », « authentifiés » comme prophètes.

Ces critères, lorsque tous sont réunis, font un prophète. Lorsqu’il manque les deux derniers, la prédiction de l’avenir et la communication avec le divin, conditions importantes mais pas absolument indispensables, on parle alors d’attitude prophétique.
Toute cette longue introduction pour parler, en ce 18 juin, d’un homme, non-juif, dont l’histoire était utilisée par un de mes maîtres pour expliquer l’exemple même, le paradigme non pas de la prophétie, mais de l’attitude prophétique.
1.    Par son parcours de jeune homme de bonne famille, carrière militaire, totalement intégré dans la société de la bourgeoisie française.
2.    Par sa vision, sa prévision d’une catastrophe militaire imminente
3.    Par son refus de la défaite, le fait de dire NON, et de s’isoler, seul contre tous, dans un projet immense et improbable.
4.    Par son identification totale à la France et à son destin, par son sentiment quasi-pathologique d’incarner charnellement la « vraie-France » par opposition à la fausse, celle de la défaite.
5.    Par son talent à faire croire et accepter le mythe qu’il a créé et qui lui a survécut comme étant l’histoire officielle, même après sa mort.

Encore une fois je ne prétends pas faire de De Gaulle un prophète des temps modernes, et j’ignore s’il a bénéficié de conseils ou d’encouragements venant du plus haut niveau, je dis simplement que tout dans le De Gaulle de la guerre (pas le dirigeant politique, mais le résistant), fait curieusement penser à la définition biblique de l’attitude prophétique.
Ce qui le rend vivant, actuel et « moderne » dans le sens où il interpelle les consciences de toutes les époques, ce sont les interrogations que sa biographie provoque chez chacun d’entre nous : qu’aurais-je fait à sa place ? Ce qui est exactement le type d’interrogations que nous cherchons à provoquer chez nos enfants du Talmud Torah : l’identification aux prophètes du Tanakh non pas comme une hagiographie, mais dans ce qu’ils ont de plus révolutionnaire, de subversif pour leur époque, de visionnaire, et le questionnement « que puis-je faire moi, aujourd’hui, pour en être digne, et pour continuer leur combat ? ».

Chabbat Chalom

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