Vayehi

Chers amis,
La paracha Vayehi marque la fin du livre de la Genèse, la fin d’une époque, celle des patriarches, celle de la formation mythique du peuple d’Israël.
Bizarrement, ou paradoxalement, le premier mot de la paracha, Vayehi, est tiré de la racine signifiant la vie, alors que tout le sujet du texte est la mort de Yaakov. Je dis le sujet, et pas le thème, car de nombreux thèmes sont évoqués dans ce texte assez court et très poétique : la mort, le deuil, l’enterrement à Hébron, au caveau de Makhpéla, la transmission, la bénédiction, la prophétie etc.
Ce qui m’intéresse particulièrement dans ce texte, c’est sa composition littéraire qui fait directement allusion à un autre texte qui le précède dans le narratif de la Torah : paracha Toledot, la bénédiction que Yitzhak, vieil homme aveugle et mourant, veut donner à celui qu’il croit devoir être son héritier, Essav, alors qu’en fait sa place est prise par Yaakov. Il est évident que Yaakov, arrivé à la fin de sa vie et devant bénir ses enfants, ne pouvait qu’avoir constamment à l’esprit cette scène où lui-même a reçu la bénédiction de son père dans des conditions rocambolesques. Il est évident, et on peut facilement le prouver, que l’auteur du texte de la paracha Vayehi, qui qu’il soit, Dieu, Moïse ou un scribe de l’époque du second Temple, avait devant les yeux le texte de la paracha Toledot et a construit son texte sur les points communs et les différences entre les deux histoires, les deux personnages, et les deux fratries qui reçoivent les bénédictions.
Dans Toledot, l’enjeu est l’héritage spirituel de la lignée d’Avraham, et la compétition se joue entre deux parties, deux fils, deux caractères, deux visions. Yitzhak devenu complètement aveugle, est totalement incapable de faire la différence entre ses deux fils, se laisse manipuler par sa femme, Rivka, et donne à l’un la bénédiction qu’il destinait à l’autre.
Dans Vayehi, Yaakov, vieil homme qui sent venir la mort, appelle d’abord Yossef, lui donne une bénédiction particulière et une pour chacun de ses fils, Ménaché et Efraïm, et enfin appelle ses onze autres fils pour leur donner à chacun une bénédiction particulière. Lors de son dialogue avec Yossef, il prend bien soin de préciser que ses deux épouses, Rachel et Léa sont décédées. Cette indication n’est pas destinée à Yossef, qui évidemment est au courant, elle est destinée à nous, lecteurs, qui devons comprendre que contrairement à son père Yaakov n’a pas l’intention de se laisser manipuler, et que le choix qu’il va faire lui appartient entièrement.
Puis vient l’épisode célèbre de la bénédiction des fils de Joseph. Ici le texte est très surprenant, et tout le vocabulaire est tiré du champ lexical de la vision :
8 Israël remarqua les enfants de Joseph et il dit: "Qui sont ceux-là?" 9 Joseph répondit à son père:"Ce sont mes fils, que Dieu m'a donnés dans ce pays." Jacob reprit: "Approche-les de moi, je te prie, que je les bénisse." 10 Or, les yeux d'Israël, appesantis par la vieillesse, ne pouvaient plus bien voir. Il fit approcher de lui ces jeunes gens, leur donna des baisers, les pressa dans ses bras; 11 et Israël dit à Joseph: "Je ne comptais pas revoir ton visage et voici que Dieu m'a fait voir jusqu'à ta postérité".

Questions :
-         s’il soufre vraiment de déficience de la vision liée à l’âge, comment a-t-il pu les voir ?
-         Pourquoi pose-t-il la question « qui sont-ils ? » alors que juste avant il parlait d’eux ?
-         Pour quelle raison le texte ne nous dit qu’après que ses yeux étaient vieux et qu’il ne voyait plus ?
-         Remarquez la dernière phrase : «et Israël dit à Joseph: "Je ne comptais pas revoir ton visage et voici que Dieu m'a fait voir jusqu'à ta postérité". » 

S’ensuit le passage le plus célèbre dans lequel Yaakov croise volontairement les mains pour bénir en premier le plus jeune, Efraïm, et en second l’aîné, Ménaché. Yossef, qui voit la scène, croit à une méprise, comme avec Yitzhak, dans la paracha Toledot. Hors Yaakov le rassure et lui dit « je sais mon fils, je sais ».
Yaakov tient à montrer que contrairement à son père, il a la maîtrise des évènements, et sait exactement ce qu’il fait, ce qu’il dit… et ce qu’il voit, même si ses yeux ne voient plus.
Comme nous l’avons vu lors de la paracha Toledot, la fonction de l’aveugle dans l’Antiquité n’est pas celle d’un handicapé impotent, incapable d’autonomie. Un aveugle est « Saguy Naor », celui qui voit la lumière. Ce n’est pas une personne non-voyante, c’est une personne clairvoyante.
Ce que voit Yaakov, ce qu’il comprend, c’est que sa mort signifie pour son clan la fin d’une époque dans laquelle l’organisation clanique des nomades faisait que toute la tribu se référait à un seul chef, l’Ancien, le patriarche, qui dirigeait tout et transmettait son pouvoir, son autorité, son héritage, au fils qu’il désignait lui-même. Le changement d’environnement, ainsi que le fait qu’il ait non pas un ou deux mais treize héritiers, l’expansion et les dimensions nouvelles de son clan qui devient littéralement un peuple, lui font voir, c’est à-dire, prévoir, anticiper, que ses enfants vont entrer dans une nouvelle ère. Une organisation avec douze chefs, douze entités, douze conceptions, n’est pas et ne sera jamais la même qu’une organisation avec un seul chef. Yaakov voit que son peuple après lui entrera dans l’ère du politique. C’est la raison pour laquelle il insiste pour donner une bénédiction, une part d’héritage à chacun, mais pas 1/12 ! Chacun suivant son mérite, sa personnalité et ses capacités. Ce qui est à préserver, ce n’est pas ou plus l’autorité d’un chef, mais la cohésion de tout le groupe, sa capacité à être dirigé par un chef qui n’est pas désigné par le droit de la naissance mais plutôt par ses capacités propres, par son caractère, par sa vision.
Un célèbre proverbe français dit que gouverner c’est prévoir, ici ce serait plutôt gouverner c’est voir.
Mais voir quoi ? Non pas voir l’avenir, comme un voyant devant une boule de cristal, mais être capable de déceler en chacun les qualités qui le feront se réaliser à telle ou telle place. Ainsi Yaakov, qui une fois qu’il est suffisamment aveugle, peut désigner lequel, entre Ménaché et Efraïm, sera le plus grand, le leader. La seule crainte de Yaakov est qu’après lui les frères se désolidarisent, que Yossef cherche à se venger, crainte qui est partagée par les frères dans la suite. Or la suite montre que tous ont bien compris le message, et toute la suite de la Torah prouve que, même si on est encore loin d’une organisation démocratique, le dirigeant ne sera plus jamais désigné par sa naissance mais par ses capacités (voir Moché). Ce qui est mis en exergue aussi, c’est l’unité du peuple, symbolisée par le chiffre des douze tribus, chiffre cosmique, qui ici est plutôt transformé en treize => EHAD.
Le Midrach : c’est à l’occasion de la mort de Yaakov, qui ici est désigné sous son nom Israël, que ses fils auraient prononcé pour la première fois le Chéma : « Ecoute Israël (écoute et non pas vois, car il était aveugle, Israël = Yaakov) … »
Malgré nos différences, nos conflits parfois, nous nous rejoignons tous sur au moins un point, quelque chose d’absolu qui fait notre unité : « Dieu est unique ». Et donc le peuple d’Israël aussi, malgré toutes ses divergences, se retrouve uni dans la proclamation de cette unité.
Chabbat Chalom.

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