Tsav

Chers amis,
Dans la paracha de cette semaine, Tsav, le texte décrit le déroulement des « festivités » d’inauguration du Michkan, ce sanctuaire portatif du désert, et nous détaille la façon dont Aaron et ses fils vont être officiellement « embauchés » pour le service de la prêtrise.
Comme la première fois que l’on possède un objet, que l’on essaie un nouveau cadeau, on dirait qu’à cette occasion les prêtres en explorent toutes les possibilités et essaient toutes les fonctions pour vérifier si tout marche bien. Parallèlement à la livraison du produit par les architectes dont nous avons parlé les semaines précédentes, les nouveaux utilisateurs reçoivent la notice d’utilisation, le mode d’emploi, et s’empressent d’essayer toutes les fonctions et d’explorer toutes les possibilités.
Mais il semble que pour l’inauguration, le premier sacrifice qui a été choisi est d’un type bien particulier. C’est celui que la traduction du rabbinat nomme « sacrifice d’expiation » ou « Korban Hattat » : le sacrifice qu’on apporte après avoir commis une faute. De tous les autres types de sacrifices, il semble que ce soit celui que les prêtres doivent apporter en premier, pour vraiment formaliser leur début de carrière. Ce korban Hattat est statistiquement celui qui est le plus offert par les prêtres, avec les sacrifices quotidiens, et apparaît aussi beaucoup dans les cérémonies de Roch Hachana et de Yom Kippour, lorsque toute la liturgie se concentre autour de la notion d’expiation, de regret des fautes, de repentance et de pardon.
Si vous vous souvenez des expressions que la Torah emploie pour les sacrifices de Kippour, que nous allons retrouver dans quelques semaines puisqu’elles figurent dans le Lévitique, le grand-prêtre apporte le sacrifice « vekhiper beado ouvead beito ouvead kol Israël… » « Pour lui, pour sa maison (sa famille) et pour tout Israël ».
Depuis leur entrée en fonction, dans notre texte de Tsav, et ce régulièrement, quasi quotidiennement, les prêtres demandent pardon !
Les prêtres demandent pardon !
Pourquoi ? Quelle « faute » ont-ils commis ? Certains y voient une expiation continue de la faute du veau d’or, sorte de « péché originel » qui les aurait tous compromis et « entachés » pour toutes les générations. Mais considérer cela, ce serait entrer dans une lecture de type chrétienne dans laquelle tout le monde serait « souillé » par une faute ancienne, malgré l’assurance qu’on trouve dans l’Exode : « Je fais retomber la faute des pères sur leurs enfants jusqu’à la troisième génération… » Commentaire Rabbinique traditionnel : « Les fautes des pères sur les enfants, s’ils continuent dans la mauvaise voie, et sinon pas. »
Une autre explication voudrait que l’expiation des fautes fassent partie du processus de purification des prêtres, qui se lavent et se purifient aussi physiquement que spirituellement avant d’approcher la présence divine et d’entrer en contact avec le divin.
Mais ces commentaires et explications, à titre personnel me sont problématiques car elles induisent une notion de culpabilité permanente de laquelle on pourrait se défaire grâce à quelques actions mais qui reviendrait automatiquement et régulièrement.
Dieu sait que nous les juifs, nous sommes des spécialistes du sentiment de culpabilité !
Lorsque j’entends dire que le grand-prêtre concentre et canalise sur sa personne toutes les fautes de sa famille, du peuple, et pourquoi pas de toute l’humanité en plus des siennes propres, je ne peux m’empêcher de penser à un roman de Romain Gary, qui s’intitule « La tête coupable », dans lequel le héro s’identifie avec toute l’espèce humaine et prend sur lui la culpabilité de tous les massacres parce qu’ils ont été commis par ses semblables, ce qui le mène à de graves troubles psychiques.

Il existe un commentaire qui me plait et qui me touche particulièrement : pour certains, le grand prêtre et tous les prêtres doivent demander pardon… pour avoir été choisis et pour occuper leur place à la tête de la hiérarchie du peuple.

L’idée que des responsables, des dirigeants, des personnes qui occupent le sommet de la hiérarchie humaine doivent avoir comme souci constant de s’excuser d’être là est pour moi une des réflexions les plus subtiles et chargées de sens que comporte le judaïsme en matière de pensée politique. Une façon de rappeler que les chefs n’ont pas été choisis pour leur supériorité de naissance, qu’ils ne sont pas « élus des Dieux » ni même « de droit divins » comme Pharaon ou d’autres lignées royales, mais qu’ils sont là parce que leur fonction est nécessaire, parce qu’il y a un travail à faire et que quelqu’un doit le faire, et que le fait d’avoir été choisi est une injustice pour tous les autres, tous ceux qui ont la même compétence et les mêmes qualifications.
D’autre part, toute position élevée implique obligatoirement qu’on doive prendre un certain nombre de décisions, pour le bien la collectivité, mais qui sont susceptibles de mécontenter certains, soit parce que l’intérêt de la majorité n’est pas forcément l’intérêt d’une minorité, soit parce que tout exercice d’autorité impose la prise de décisions difficiles qui ne sont pas comprises ou admises facilement par le peuple.
Autre travers malheureusement très courant : le fait d’occuper une position supérieure hiérarchiquement peut parfois donner l’impression d’être supérieur à ses subordonnés, voire que l’on se considère « propriétaire » de leurs faits et gestes dans une période donnée.
Enfin, le risque le plus grand, la menace qui concerne tout le monde, pour toutes les époques et quel que soit le poste occupé, est de se considérer comme le seul occupant légitime de sa fonction, comme si on était « propriétaire » de ce poste qu’on occupe, quand bien même on aurait occupé la fonction depuis sa création ! Suivant cette explication, les sacrifices apportés par les prêtres n’ont pas fonction d’expiation de fautes, mais d’une thérapie pour les aider à reconnaître, maitriser et dominer le sentiment de toute puissance que peut donner l’exercice du pouvoir.
Ce qu’il y a de fascinant, c’est que jamais ce sentiment de toute puissance n’est décrié ou on ne les exhorte à le combattre. Il est considéré comme étant totalement naturel et inhérent à la fonction. On demande juste aux prêtres d’apporter régulièrement des sacrifices afin d’en prendre conscience et de montrer publiquement qu’ils réalisent que bien qu’ayant été distingués, ils ne se considèrent pas les propriétaires naturels de leur fonction.
Ce sentiment qu’il faut combattre, les sages du Talmud puis les Hassidim qui ont développé cette notion l’appellent le « Yetser Hara », qui, en flattant démesurément notre égo et notre orgueil, nous incite à nous croire ou nous considérer comme les « propriétaires » de ce que nous avons construit. Le sanctuaire du désert est un très bon exemple, parmi d’autres, de ce paradoxe : il a été construit par nos mains, avec nos matériaux et notre argent, il est pour certains une occupation quotidienne, il occupe le centre du campement, et pourtant il ne nous appartient pas. Le fait que nous en possédions les clefs, c’est-à-dire que nous contrôlons son bon usage et son bon fonctionnement, ne doit pas nous faire oublier que nous ne le possédons pas, que nous n’en sommes que les responsables, et que notre charge consiste à le conserver pour ceux qui viendront après nous.
Le fait qu’en matière de culte, Dieu n’appelle jamais Aaron seul mais « avec ses fils » vient aussi souligner cette dimension. A moins que ce ne soit un message de plus, dans le même esprit, soulignant le paradoxe de la paternité comme de la maternité : mes enfants sont directement issus de moi, ils me doivent tout, je les ai créé… et pourtant je n’en suis pas « propriétaire » et toute mon éducation doit consister à leur apprendre à se passer de moi.
On pourrait citer beaucoup d’exemples, mais aussi malheureusement beaucoup de contre-exemples, dans lesquels telle ou telle entreprise, telle ou telle association ou groupe prospère jusqu’à un certain point mais n’arrive pas à survivre à ses fondateurs qui n’ont pas su, ou pu, assurer leur succession de leur vivant.
Travailler, créer, non pas pour sa satisfaction personnelle mais pour transmettre et voir sa création entre de nouvelles mains, grandir et perdurer, voilà une des leçons que nous donne la Torah au moment précis de l’inauguration du sanctuaire et de l’accession d’une certaine famille à la prêtrise.

Chabbat chalom

Vayikra

Chers amis,
Cette semaine, nous commençons un nouveau livre de la Torah, « Vayikra », le livre du Lévitique. Je ne surprendrai personne en disant que ce n’est pas le livre le plus passionnant de la Torah : il est considéré comme faisant partie de la littérature sacerdotale, c’est à dire qu’il aurait été rédigé par et pour des prêtres, dans le but de codifier et d’unifier leurs pratiques cultuelles. Sur le rôle et le sens des sacrifices et la signification qu’on peut leur donner aujourd’hui, nous aurons l’occasion d’en parler dans les semaines qui arrivent, lors de la lecture de ce livre assez fastidieux et répétitif.
Ce soir, je voudrais attirer votre attention sur le premier mot, celui qui donne son titre au livre : « Vayikra », « Il appela ». La traduction du rabbinat, qui cherche à rendre le texte compréhensible, traduit : « L'Éternel appela Moïse, et lui parla, de la Tente d'assignation, en ces termes: ». Or, il ne s’agit pas là d’une traduction littérale ! Il faudrait plus justement lire : « Il appela Moché, et Dieu lui parla… ». Une lecture rapide, et un peu superficielle, voudrait que le sujet soit évidemment Dieu, et qu’il appelle Moché. Mais le texte est beaucoup plus subtil : « Il appela ». Qui l’a appelé ? Une chose est sûre, Moché s’est senti appelé.
Les commentateurs glosent sur l’usage du verbe appeler, lorsque Dieu parle à un humain. Il est vrai que cet usage est assez rare dans la Torah et qu’on ne le trouve que pour des êtres d’exception : Adam, Avraham… Rachi, en citant le Talmud et le Midrach, explique que cet appel est un signe d’affection et de respect (terme utilisé par les anges chez Isaïe : Vékara zé el zé véamar…).
Mais d’autres commentateurs mettent le doigt sur une particularité graphique de ce mot « Vayikra » : Alef ze’ira. La tradition des scribes, depuis des temps très anciens, recommande d’écrire la lettre aleph qui termine ce mot de façon à ce qu’elle soit visiblement de taille réduite, plus petite que les autres lettres. Pour certains, le mot qui devait être écrit était « Vayoker/Vayikar », qui aurait signifié que Dieu aurait particulièrement distingué Moché en l’appréciant, le chérissant, en reconnaissant sa valeur… mais Moché lui-même, par humilité, aurait décidé de son propre chef d’ajouter la lettre aleph pour dire qu’il n’avait fait qu’être appelé et n’était en rien différent de tous les hommes.
Un autre commentaire, comme cela arrive régulièrement, dit le contraire : Moché aurait préféré écrire « Vayikar » car ce mot peut se rapproche de la racine « karah » avec un , « mikré » qui peut signifier « par hasard », exprimant le fait que Dieu l’a choisit lui comme il aurait pu en choisir un autre, alors qu’il n’avait aucune particularité supérieure. Ce serait Dieu qui aurait insisté pour que le Aleph apparaisse, mais Moché par excès d’humilité l’aurait écrit plus petit…
Ces deux commentaires, bien qu’apparemment contradictoires, se rejoignent et insistent sur un aspect particulier de la personnalité de Moché, et à travers lui du leader, du chef, du représentant du peuple idéal, idéalisé : quelqu’un dont le but n’est pas de se mettre en avant, qui n’est pas mu par une ambition personnelle, par le goût du pouvoir, par la volonté de démontrer son élévation, sa différence vis-à-vis du commun des mortels en utilisant comme prétexte sa proximité supposée avec le divin. Ce que les commentateurs cherchent à nous transmettre, dans l’esprit de la Torah qui l’indique à d’autres endroits, c’est que le chef idéal n’est pas quelqu’un qui conquiert le pouvoir, mais quelqu’un qui est appelé. Une fois de plus, la Torah et les rabbins nous livrent un message à contre-courant de tout ce qui s’est pratiqué et continue de se pratiquer dans l’histoire. Pour devenir chef, ne faut-il pas une volonté de fer pour se hisser à la première place et s’y maintenir contre vents et marées ? Cela est vrai depuis l’antiquité, où souvent l’histoire des successions se résume à des révolutions de palais, des trahisons, des assassinats, puis cela continue au Moyen-âge pour en arriver à notre époque de « démocratie » qui vit encore sur le mythe d’une « méritocratie », suivant lequel on choisirait celui ou celle qui serait le plus apte à remplir telle ou telle fonction par ses diplômes, son expérience ou ses capacités, alors qu’un homme politique célèbre dit souvent que ce qui caractérise nos démocraties est que « les qualités qu’il faut pour accéder au pouvoir sont à l’opposé de celles qu’il faut pour l’exercer ».
Le sens d’une telle phrase est de dénoncer les travers du suffrage universel direct, que nous avons l’habitude de considérer comme le summum de la démocratie, alors qu’il ne fait que consacrer le candidat qui a le mieux su communiquer, soigner son image, éliminer ses rivaux, trahir ses amis, pour réussir à convaincre, pendant un temps donné, le maximum de personnes qu’il était le plus adapté à remplir la fonction. Des penseurs et des écrivains du 20ème siècle ont déjà mis le doigt sur ce défaut inhérent à nos démocraties, qui consiste à substituer la manipulation de l’opinion publique à la manipulation par la force, et ont défini la démocratie comme étant non pas le meilleur, mais « le pire des régimes si l’on excepte tous les autres » suivant le mot de Churchill.
On pourrait relier cela à quelques analyses des récents évènements d’Afrique du Nord, qui observent avec inquiétude que ce que les peuples demandent c’est du « changement » à la tête de l’État et pas franchement l’établissement d’un régime démocratique de type occidental, perspective aujourd’hui beaucoup moins enthousiasmante qu’elle ne l’était aux 19ème ou 20ème siècles.
Une des raisons à cela, je crois, est le mythe entretenu par nos textes, suivant lequel une autre voie est possible, un autre mode de désignation du chef : le choix, l’élection divine. Dans la Bible hébraïque, la désignation de Moché préfigure ce qui sera la désignation du premier roi d’Israël, le roi Shaoul, désigné par l’intermédiaire du prophète Samuel « alors qu’il se cachait », ou celle du roi David désigné par le même prophète alors qu’il n’était que le septième fils d’un obscur paysan isolé, ou encore, dans un autre texte, la désignation de Mahomet, par l’intermédiaire de l’ange Gabriel, qui est indiquée dans le texte par le même vocable, la même racine sémitique : « QARA » l’ange ayant appelé Mahomet, ce qui donne son nom au Coran, et nous permet d’établir un lien, un parallèle avec nos investigations autour du mot « Vayikra ».
Ni conquérant du pouvoir par la force, ni élu démocratiquement : le dirigeant souhaité, idéalisé, fantasmé par la Torah comme par d’autres textes est un chef désigné par directement par Dieu, c’est-à-dire par une source indépendante de toute contingence humaine, seule capable de sonder l’intérieur de l’être et d’y sélectionner  les qualités requises pour être le meilleur chef parmi tous les autres. Afin de mieux démontrer son indépendance de toute politique humaine, Il choisit intentionnellement quelqu’un qui n’est issu d’aucune famille/caste/tribu noble ou appelée à régner par le droit d’ainesse. Troisième et dernière qualité, Il choisit quelqu’un qui n’a aucune attirance pour le pouvoir, dont le premier réflexe est même de chercher à fuir ces nouvelles responsabilités qui lui font peur et auxquelles il n’a pas été préparé, et qu’il n’accepte qu’à contrecœur, en répondant à un appel
Il serait juste de préciser que même la Torah accepte l’idée que Dieu puisse se tromper, comme avec Shaoul, qui, bien que désigné, ne s’est pas montré à la hauteur. Ou que l’élection d’un seul personnage ne signifie pas forcément la fondation d’une dynastie infaillible de droit divin, comme le montre l’histoire des descendants de David.
Mais la désignation d’un personnage plutôt effacé, réservé, qui n’a rien demandé, dépourvu de toute ambition personnelle, permet de mener une politique totalement indépendante des contraintes constitutives à l’exercice du pouvoir : aucun rapport de force interne, aucun sondage d’opinion, aucune campagne de réélection n’empêchera ce chef d’accomplir ce qui est juste et nécessaire, même si c’est impopulaire.
J’insiste, par peur de me faire mal comprendre, sur le fait qu’il ne s’agit pas là de l’apologie d’un régime théocratique, comme on a trop souvent tendance à (mal) le lire. Au contraire ! J’y vois une quête fantasmée, dans un passé mythique, d’un chef/sauveur qui viendrait nous guider et nous sauver, nous protéger de toutes les angoisses de la route, les découragements, les pertes de repères, les fatigues, contre nos propres peurs de l’inconnu, nos désirs de revenir en arrière… en résumé, quelqu’un qui aurait la force et le pouvoir de nous diriger pour notre bien contre nous-mêmes.
Pris dans un sens individuel et personnel, et non plus collectif, cette quête, ce fantasme, pourrait s’apparenter au combat que nous menons chaque instant contre le Yetser Hara, ce penchant qui nous pousse à préférer la satisfaction des besoins immédiats aux efforts douloureux mais nécessaires pour l’avenir. Il est tellement plus confortable de faire les choses nécessaires lorsqu’on y est obligé ! Combien de fois, dans des moments de découragement, on fantasme sur une autorité supérieure sur qui on pourrait se reposer !
Malheureusement, ou heureusement, il ne faut pas (ou plus) compter sur ce genre de guide. Car toute la problématique du passage à l’âge adulte d’une communauté, d’un peuple ou d’un individu, est de faire son deuil du mythe d’un sauveur providentiel absolu. Il s’agît d’apprendre à trouver la force de chercher, d’entendre et de suivre un appel, une voix qui trace une voie, indépendamment de la personne qui la porte, pour espérer un jour atteindre une époque utopique, messianique, où il n’y aura plus besoin de chef puisque tous prendront individuellement et communautairement les décisions nécessaires pour le bien collectif.

Chabbat Chalom

"La force de guérir" - 10 février 2011

Chers amis,
La tradition que je représente prend sa source en premier lieu dans la Bible hébraïque, mais aussi et surtout dans les grandes œuvres de la littérature rabbinique que sont le Midrach et le Talmud.
Le thème de la maladie, de la guérison ou de la non-guérison est très présent dans cette littérature dont la rédaction s’étale entre le premier et le 9° siècle de l’ère chrétienne. On y trouve des témoignages de sages confrontés à la maladie (eux-mêmes ou leurs proches), des conseils de médecine ou des exemples de la pharmacopée utilisée dans leurs régions, mais aussi et surtout une réflexion poussée sur les questions théologiques que pose la maladie : pourquoi Dieu frappe-t-il les humains de ces maux divers ? Y a-t-il un sens à touts ces souffrances ? Faut-il y voir une punition divine ? Si oui, comment expliquer que des gens justes soient frappés ? Si elle n’est pas une punition divine, alors pour quelle raison tous ces malheurs atteignent-ils les gens ? Dieu frappe-t-il aveuglément ?
Comme toujours chez les sages du Talmud, ces questions d’ordre théorique/théologique doivent avoir une implication pratique : face à la maladie, que dois-je faire ? Comment dois-je me comporter ?
Entre découragement et révolte, entre refus et résignation, les Sages vont tenter d’esquisser une voie médiane dans laquelle l’être humain doit profiter de l’épreuve que constitue la maladie pour tenter de s’améliorer et modifier son comportement personnel tant dans ses rapports avec Dieu que dans ses relations avec son prochain.

Un texte du 5°/6° siècle, un commentaire sur le livre de la Genèse, nous raconte une histoire surprenante, déroutante, dont l’objet est de nous livrer une réflexion antique sur le sens des dégénérations liées à l’âge, et dont les protagonistes sont les patriarches Abraham, Isaac et Jacob :
Rabbi Yehouda fils de Simon : C’est Avraham qui a demandé à Dieu la vieillesse : « Maître du monde ! Lorsque un homme et son fils entre dans un endroit personne ne sait qui honorer, si tu « couronnes » l’ancien de cheveux blancs, tout le monde saura qui honorer. Dieu lui dit : tu as demandé une bonne chose ! Je commence par toi… et de remarquer que nulle part depuis le début du Livre la Torah ne parle de vieillesse avant que n’apparaisse Abraham et que le texte dise : « Or Avraham était âgé… »
De même avec Isaac, qui demande les handicaps liés à l’âge, et qui est le premier personnage de la Bible à être frappé de cécité, et enfin apparaît Jacob, qui demande à Dieu « d’inventer » la maladie :
-          Ribon haolamim (Maître du monde) si une personne ne sent pas sa mort venir, elle ne pourra profiter des quelques heures qui lui restent pour se séparer de ses enfants et leur donner des conseils, les bénir, leur attribuer une part de l’héritage etc. Or si tu donnes à chaque personne deux ou trois jours pour se préparer, elle pourra réaliser toute ces choses…
-          Tu demandes une bonne chose, et je commence par toi… « On annonça à Joseph : ton père est malade… »
Cette histoire, racontée avec un peu d’humour, vient inverser le sens traditionnel qu’on donne à la maladie : elle n’est plus une « punition », un tourment envoyé arbitrairement par Dieu, mais une requête de l’Homme, une chance que Dieu lui a accordé pour pouvoir quitter ce monde le plus sereinement possible.
Ce même texte dans la suite, fait référence à un exemple de malade qui a réussi à guérir de sa maladie grâce à une introspection, une action de repentance pleine et sincère et une prière émouvante : Hizkiyahou, le roi Ezechias.
Dans le second livre des Rois, une des premières actions de ce roi juste et pieux est de détruire tous les temples idolâtres de Judée, et un objet auquel son peuple avait pris l’habitude de rendre un culte : le serpent d’airain. Ce serpent datait de Moïse, dans le livre des Nombres (chapitre 21) : à l’époque où les hébreux erraient dans le désert, ils tombèrent dans un endroit infesté de serpents venimeux dont les morsures étaient mortelles, Moïse demanda à Dieu un remède, un « antidote » contre ses morsures et Il lui conseilla de façonner ce fameux serpent d’airain : « Et Moïse fit un serpent d'airain, le fixa sur une perche; et alors, si quelqu'un était mordu par un serpent, il levait les yeux vers le serpent d'airain et était sauvé. » Midrach : questionnement sur cette méthode pas très orthodoxe => « est-ce que l’image d’un serpent peut faire la différence entre la vie et la mort ? C’est donc que regarder ce serpent c’est mettre sa confiance dans Celui qui a ordonné sa fabrication ». Or justement à l’époque d’Ézéchias cet objet avait été adoré pour lui-même, c’est la raison pour laquelle il décida de le détruire. Ironie de l’histoire ? Un jour le roi Ezechias tomba malade :
« En ce temps-là, Ezéchias fut atteint d'une maladie mortelle. Le prophète Isaïe, fils d'Amoç, lui rendit visite et lui dit: "Ainsi parle l'Eternel: Donne tes ordres à ta maison, car tu vas mourir; tu ne te rétabliras pas." 2 Ezéchias tourna la face vers le mur et implora l'Eternel en ces termes: 3 "De grâce, Seigneur, daigne te souvenir que j'ai marché devant toi fidèlement et d'un cœur sincère, et que j'ai fait ce qui te plaît!" Puis il éclata en longs sanglots. 4 Isaïe n'avait pas encore quitté la cour du milieu quand l'Eternel s'adressa de nouveau à lui: 5 "Retourne pour dire à Ezéchias, le souverain de mon peuple: Ainsi parle l'Eternel, le Dieu de David, ton père: J'ai entendu ta prière et vu tes larmes, je te guérirai, et dès le troisième jour tu monteras dans la maison de Dieu. » (2 Rois 20)
Ainsi, ce personnage biblique, volontairement ou involontairement, a fait la démonstration que ce qui permet à l’homme de guérir ce n’est pas de mettre son destin dans les mains d’un objet, une « chose », une « technique », qui lui permettrait automatiquement et de façon magique de se sortir de ses douleurs, mais il lui faut trouver en lui-même les ressources spirituelles pour changer son destin et faire venir la guérison.

Néanmoins, le cas d’Ézéchias est un cas isolé, et les rabbins savent bien la difficulté qu’il y a à construire des théories, voire des solutions pratiques à partir d’un cas précis datant de l’époque biblique, une époque à laquelle les rapports entre l’homme et Dieu étaient beaucoup plus étroits : comment dire à quelqu’un qui souffre « prie et fais repentance, et Dieu t’enverra la guérison » ? Si tu ne guéris pas, c’est donc que tu n’as pas assez bien prié, ou bien que tu ne t’es pas repenti de tes fautes…

Automatiquement le message s’en trouverait dénaturé et deviendrait culpabilisant.
Dans des problématiques de maladie et de recherche de la guérison, la tradition rabbinique va donc insister sur un autre aspect, une Mitsva, un commandement d’une importance centrale, capitale, un commandement qui ne s’adresse pas au malade, mais à son entourage : BIKOUR HOLIM, la visite au malade.

On raconte que Rabbi Yohanan, un sage du 4° siècle, possédait des pouvoirs thaumaturges : il était capable de guérir quelqu’un de ses maux rien qu’en le touchant. Un jour il tomba malade, un autre sage doté des mêmes pouvoirs vint lui rendre visite pour le guérir. Quelques uns de ses disciples, témoins de la scène, lui demandèrent : « Maître, pourquoi est-ce que tu ne te guéris pas toi-même ? » Sa réponse devait rester célèbre : « Eyn Havoush metir atsmo mi beit Ha-assourim »/ « un prisonnier ne peut pas s’évader seul de la prison » => une façon poétique de dire qu’on ne peut se soigner soi-même, on ne peut s’en sortir que grâce à une aide extérieure, un « prochain », un autre, un « complice », quelqu’un avec qui va naître une relation, et qui va pouvoir servir d’intermédiaire entre le malade et Celui qui détient les clefs de la guérison.
Dans la même idée, les textes se multiplient, cherchant à encourager et promouvoir la pratique des visites aux malades, qui ne sont pas l’apanage, la fonction des seuls rabbins ou médecins, mais la responsabilité de tout un chacun de venir soutenir les malades dans une société dans laquelle n’existe aucune assurance pour ceux qui ne peuvent se rendre à leur travail : il ne s’agit pas seulement de bonté ou de charité mais surtout de cohésion sociale.
Ainsi, ce texte qui dit que celui qui rend visite à un malade le soulage d’1/60 de sa maladie.
Lorsqu’on parle de visite aux malades, toutes les convenances de la vie sociale et de la hiérarchie sont annulées. Un grand (un notable, un riche, un sage) est soumis à ce devoir même pour un « petit » (un paysan/artisan/pas instruit). Si le malade en a besoin, on se rendra chez lui-même 100 fois par jour ! Celui qui ne rend pas visite à un malade c’est comme s’il versait le sang…
Ou cet autre texte, qui dit avec un certain humour que nous devons prendre exemple sur quelqu’un qui visite systématiquement les malades : Dieu Lui-même, qui se trouve toujours au dessus du lit. C’est la raison pour laquelle il ne faut pas s’asseoir sur le lit lorsqu’on rend visite à un malade…
« Rabin au nom de Rav : "Comment sait-on que le Saint béni soit-Il nourrit le malade? Car il est dit : " Le Seigneur le soutiendra sur le lit de douleur… (Ps. 41)"
Rabin au nom de Rav : D'où sait-on que la présence divine réside au-dessus du lit du malade? Car il est dit : " Le Seigneur le soutiendra sur le lit de douleur… (Ps. 41)"
Braïta : celui qui rend visite à un malade ne doit pas s'asseoir sur le lit ni sur un banc ni sur une chaise, mais doit se couvrir et s'asseoir par terre, car la présence divine réside au-dessus du lit du malade, comme il est dit : " Le Seigneur le soutiendra sur le lit de douleur… (Ps. 41)" => aussi une façon de dire que le visiteur ne doit pas établir une relation « inégale » avec le malade, mais se mettre à son niveau, à sa portée, à son écoute.

Pour résumer, je dirais que même si la tradition biblique reconnaît que certains personnages peuvent guérir par la seule force de l’introspection et de la prière, pour la tradition rabbinique la force de guérir, le pouvoir de la spiritualité dans la guérison ne peut que passer par la relation à autrui, un autre qui apporte écoute, douceur, réconfort, (compassion ?) empathie. A différencier du soignant !
Il faut quand même préciser que cet autre peut-être n’importe qui, mais ne doit pas dire n’importe quoi. Il y a des choses à ne pas dire face à la souffrance de quelqu’un !

« Rabbi Eléazar est tombé malade. Rabbi Yohanan est venu lui rendre visite. La pièce étant très sombre, il découvrit son bras pour lui faire de la lumière. Il vit que Rabbi Eléazar était en train de pleurer.
-          Pourquoi pleures-tu? Si c'est pour toute la Torah que tu n'as pas eu le temps d'étudier, on dit "certains étudient beaucoup, d'autres peu, l'essentiel est que le cœur soit orienté vers les cieux"! Et si c'est parce que tu as été pauvre toute ta vie, on ne peut pas avoir droit à deux tables! Si c'est parce que tu as perdu tes enfants, moi-même j'en ai perdu 10. »

Dernier point sur lequel je voudrais insister : contrairement à une image répandue suivant laquelle les juifs seraient « toujours entre eux » et refuseraient de se mélanger avec les autres, la Halakha, la loi juive nous enseigne que notre devoir est de visiter « les malades non-juifs avec les juifs… Mipné Darké Chalom. » Evidemment, cela pose des problèmes pratiques : qu’est-ce qu’on est sensé dire à quelqu’un qui n’est pas de notre tradition ? Quelqu’un avec qui on ne partage pas forcément les convictions, et avec qui on ne veut surtout pas risquer de malentendu sur le prosélytisme etc. ?
Il est possible de ne rien dire. Rien. Être là et écouter, cela suffit.
Au-delà des différences d’origine et de convictions, de croyances, la maladie nous renvoie à notre condition d’humains avec nos souffrances et préoccupations universelles.
Souvent, pour ne pas dire toujours, le visiteur ressort de sa rencontre avec le malade bouleversé, ému, désemparé, et il faut alors un soutien pour celui qui soutient, mais cela part du même principe, car de la même façon qu’il n’y a pas de guérison purement physiologique sans une part de mental, il n’y a aussi des maladies qui ne sont pas physiques mais mentales, des maladies de l’âme, contre lesquelles nul n’est vacciné ou immunisé, et pour lesquelles le seul remède est l’ouverture à l’autre et le dialogue avec son prochain.


Pekoudé (par Romain Nouchi)

          Le second livre de la Torah se termine ce shabbat, avec la lecture de la paracha Pekoudé .Pareille à la fin du livre de Shemot, cette sidra clôture le cycle des parachiotes, consacrées aux comptes et à la construction précise, ainsi que récurrente, du temple du désert.
10 coudées la largeur de telle planche, 2 coudées et demie la table en bois de chittim, une bordure d’or large d’une palme, 29 kikkar plus 730 sicles selon le poids etc etc.…
Coup de bol qu’il y avait un Castorama dans le quartier, et qu’on a gardé le ticket de caisse.
La paracha traite également de l’habit de grand prêtre, un vêtement hors du commun je l’accorde, mais qui ne m’a pas vraiment inspiré, peut-être parce qu’après tout, dans le monde juif nous sommes habitués à porter des vêtements peu communs. Kippa, tsitsit, talith et bien d’autres. Quand au Michkane, il avait déjà attiré mon attention au cours de la paracha Téroumah.

          Dieu parla à Moise en ces termes : «parles aux enfants d’Israël, et dit leur de me construire un sanctuaire, et je résiderai au milieu d’eux.»
D’après une exégèse chrétienne, le texte aurait voulu dire que le peuple devait individuellement se construire un sanctuaire personnel, afin que Dieu y réside. Mais nous savons bien comme les juifs sont attachés aux écritures, et comme leurs actions collent à celles-ci. Toujours dans le Houmach, on apprend que dans le temple il y aura un autel où on fera bruler l’encens, et on pratiquera les sacrifices. En tant que juif contemporain, ces pratiques me sont complètements étrangères.

           Pendant 2 millénaires d’exil, la question du temple restait théorique .Quand on regarde la Torah, on s’aperçoit que mit bout a bout, les 2/5 de celle-ci parle du temple, que 343 des 613 mitsvots, sont liées au temple, et que la liturgie est bercée par le souvenir du temple. Alors maintenant que le peuple juif est de retour en terre promise, sans celui-ci,  sommes nous en accord avec la Torah ?
Pour comprendre l’édification d’un tel projet, il faut se replonger dans le contexte de l’époque, soit environ 3 millénaires plus tôt. Quand l’Eternel fait sortir les hébreux d’Egypte, il les arrache à 400 ans d’esclavage, au sein d’un peuple païen, qui rend son culte à des idoles visibles et palpables. Le projet divin est ambitieux, et révolutionnaire pour le lieu et l’époque. Le Dieu des patriarches est un Dieu unique, immatériel, qui refuse même qu’on lui donne un nom propre, il révèle sa doctrine sous forme oral, et sa seule manifestation palpable, reste les tables de la loi, brisées une première fois par Moise, effaré de découvrir son peuple adorant un veau d’or. La transition jusqu’ au monothéisme est fastidieuse, et le changement a peu de chance de se faire de façon radicale.
         L’Eternel procède donc par étapes progressives, et la première de celles-ci est la construction du michkane, puis s’ensuit la nomination hiérarchisée de prêtres, l’institution de rites, de sacrifices et d’offrandes, pour occuper le peuple par des coutumes répandues et familières. En somme « j’aime mon dieu, il m’a fait sortir d’Egypte, alors pour le servir je vais lui faire une Dafina ». Maïmonide, dans son guide des égarés, livre philosophique destiné aux rationalistes, appelle cela la pédagogie divine. Selon lui, le sens du culte sacrificiel trouve son origine dans les cultes idolâtres. En faisant sortir les Bné Israël d’Egypte, D. n’a pas voulu leur imposer un culte dépouillé de tout rituel, mais a demandé d’orienter ce culte sacrificiel vers lui seul  « ok, soyons idolâtres, mais pour ‘le vrai’ D. » sorte de concession divine.
        
         Il est évident que les sacrifices nous paraissent barbares de nos jours, le sang des animaux coule, des animaux à qui on a rien demandé, et l’odeur nauséabonde des cadavres se répand. D’après Nahmanide, les sacrifices étaient expiatoires, le sacrifiant devait comprendre l’énormité de sa faute, au point de lui faire ressentir qu’il aurait du subir tous ce que subit l’animal sacrifié. D’autres encore diront que le sacrifice  servait à canaliser et à freiner la pulsion meurtrière des humains. Notre colère intérieure étant fréquemment rejetée sur les autres, l’animal servait donc de transfert, de bouc émissaire.
         Mais de nombreux prophètes rejetaient le culte sacrificiel, et souhaitaient le remplacer par un code moral supérieur de valeurs étiques. Ces derniers critiquaient vigoureusement la manière laxiste d’offrir les sacrifices, comme si à eux seuls, ceux-ci suffisaient à expier les fautes.

         Une fois les hébreux en terre sainte, le temple portatif s’établi d’abord à Silo. Il y restera près de 400 ans pour être ensuite enlevé par les Philistins, et transporté à Gibeon, ou il reste jusqu’au règne du roi Salomon. Le premier temple de Jérusalem, construit par celui-ci s’achève approximativement, au Xème siècle avant l’aire Chr. pour y être détruit une première fois par les Babyloniens en -586. Le second temple reconstruit en -515, sera détruit en l’an 70 par les Romains. Les 2 temples comportent plusieurs différences, dont une me parait intéressante. Une partie de la cour extérieure, accessible aux prosélytes qui vénéraient D., sans être soumis aux lois du judaïsme.

         Sans lieu de culte et en exil, le judaïsme se retrouve confronté à un choix de taille : évoluer ou s’éteindre ? Finalement la religion se réorganise, et la destruction du 2ème temple influence quasiment tous les aspects de sa pensé et de sa pratique. L’évènement est certes vécu comme un deuil,  il y a d’ailleurs différentes halakhot à ce sujet, mais il fait également naître l’espoir indomptable d’une reconstruction prochaine.

      Comment cette évolution s’oriente ? Il est probable que sans le temple, le peuple se tourne vers ce qui lui reste de D., soit la Torah, qui est la parole révélée. L’étude s’intensifiant, elle donnera plus tard naissance au Talmud, au Zohar, au Choulhan haroukh et encore bien d’autres ouvrages centraux pour le judaïsme.
  
Quand à la prière, les maîtres du Talmud discutent sur son origine. Pour les uns, elle a été instituée en remplacement des sacrifices du Temple. D’autres y voient les trois patriarches à l'origine. Le premier avis s'attache à l'aspect historique, le second considère la prière comme une affirmation identitaire, qui remonte aux pères d'Israël

(Talmud de Babylone, traité Bérakhoth page 26 b)
Rabbi Yossé fils de Rabbi Hanina enseigne : les patriarches ont institué les prières. Rabbi Josué fils de Lévi enseigne : les prières correspondent aux sacrifices. Ces deux avis se trouvent corroborés par des sources plus anciennes. Pour justifier l'avis de Rabbi Yossé fils de Rabbi Hanina, nous trouvons en effet ce texte : Abraham institua la prière du matin, comme il est dit (Gn 19) : "Abraham se leva de bon matin à l'endroit où il se tenait debout", or "se tenir de bout" désigne l'attitude de prière, comme il est dit (Ps 106) "Pinhas se leva et pria". Isaac institua la prière de l'après midi, comme il est dit (Gn 24) : "Isaac sortit pour méditer dans les champs au temps du soir", or la méditation désigne la prière, comme il dit (Ps 102) : "Prière du pauvre… qui exprime sa médiation devant l'Eternel". Jacob institua la prière du soir, comme il est dit (Gn 28) : "Il heurta l'endroit et il dormit là", or le fait d'heurter désigne la prière, comme il est dit (Jr 7) : "et ne me heurte pas".

      Le chemin parcouru depuis Pékoudé à nos jour est considérable, néanmoins la tentation idolâtre et le besoin de matérialiser ce qui nous échappe existe toujours, et ce, d’après les commentateurs, jusqu’aux temps messianique.

      Pour conclure, 3 questions restent en suspens, et pour y répondre j’espère prochainement un cours du rabbin :
- La 1er : L’aspect cultuel de la religion est il encore nécessaire ?
- La 2ème : Faut-il réduire la religion à sa moralité et à sa stricte rationalité ?
- La 3ème : Doit-on nécessairement trouver moralité et rationalisme dans le culte ?

CHABBAT CHALOM

Ki Tissa (par Maayane Meyer)

Le titre de cette paracha évoque un dénombrement, c'est-à-dire un décompte, une individuation au sein du peuple hébreu sorti d'Egypte il y a peu et marchant dans le désert vers la Terre de la Promesse guidé par Moché –le plus grand des prophètes.
Cet am israel va vivre à nouveau un moment crucial culminant son aventure, un épisode où la tentation de basculer dans l'antithèse de son projet initial, -le culte du Dieu Un qui les a assigné à une vocation sacerdotale- est porté à incandescence.

Or, ce peuple à la nuque raide penche dangereusement vers une vocation simplement humaine avec ce qu'elle comporte d'appréhension face à une éthique transcendante.
L’épisode est célèbre : il décrit le choc entre la spiritualité dont Moché est le témoin  et la déviance matérialiste de son peuple.
C'est l'épisode du Veau d'Or et de la brisure des Tables du Témoignage.
Moché, celui du Buisson Ardent, de la Mer Rouge, gravit le Har Sinaï, s'élève vers Hachem, va à la rencontre de ce Dieu qui veut en faire le dépositaire d'un Texte inaugurant une Loi assumée et partagée par tous les bnei israel.
Ceux-ci devront reconnaitre qu'une puissance les transcende et les enjoint d'en respecter les dires et ses déclinaisons afin de parvenir à un "vivre ensemble" dans l'amour du prochain et d'Adonaï.
C'est donc dans un faces-à-faces –panim-el-panim, dans un voilement à peine perceptible, que Dieu va graver ses recommandations sur des Tables transparentes de cristal écrites et lisibles de part et d'autre, nous dit le Midrash.
Moché, rayonnant de lumière, descend alors vers son peuple avec son fabuleux paquet dans une main.
Mais là, que découvre-t'il ? Dieu l'avait prévenu : le peuple –impatient et  peu confiant à nouveau- a perdu le sens de sa mission. Il a confectionné une statue, un Veau en or !
Alors, les lettres figurant sur les Tables s'envolent ne laissant que des morceaux de pierre alourdis. Sous le poids de la déception et de la tristesse, Moché de ses deux mains et dans un geste de colère devenu fameux, les jette à terre. Geste impulsif –volontaire ou involontaire ? – Dieu seul le saura qui le lui pardonnera (Deut. 34.12).
Il n'en reste pas moins que la Parole est brisée. Elle ne sera plus jamais comme avant. 
La leçon est claire : L'Homme n'est pas apte à faire siennes les paroles provenant en live de Dieu.
Que va faire Moché ? Il est prophète et donc porteur d'une mission : il tire sa foi – sa emouna – d'une évidence tirée du fond de son intériorité. Il va arracher du plus profond de lui-même, une force lui permettant de remonter sur le Har Sinaï pour plaider la cause de
ce peuple à la nuque décidément bien raide.
Hachem se révèlera à nouveau à lui dans tout son kavod mais se montrera très réticent. Il finira malgré tout par accéder au désir de Moché et scellera l'Alliance sur deux nouvelles Tables –copies de l'original- : l'une traitera des relations à Dieu, l'autre des relations au prochain.
Moché redescend ; cette fois, il ne s'est pas laissé griser par sa sublime proximité avec Adonaï ; il n'est pas en retard ; le peuple l'a attendu.
Il demande à ce que ces nouvelles Tables soient placées, avec les débris des 1ères, dans une Arche, au milieu de la Tente du Témoignage, hors du camp : les bnei Israel devront faire l'effort de se retirer de leur quotidien pour venir entendre l'écho de la voix d'Adonaï dans ce lieu.  1ère yeshiva !

La Tora, les 10 Paroles, les 613 mitsvoth, les Commentaires……. Tout cet héritage nous a été légué afin que chaque génération le transmette à son tour. Mais attention, pas sur le mode idolâtre de LA lettre, totale, pleine, gravée une fois pour toutes et ne faisant l'objet que d'un "copier/coller" ; non, c'est à partir d'une brisure, d'un sym-bole que s'ouvre la pluralité des significations d'une parole vraie si l'Homme accepte d'en être responsable. Car la parole gravée –harout- n'engendre la liberté –herout- que si elle est assumée par celui qui l'énonce et par celui qui l'entend.

Le philosophe écrira : "L'acte de désigner place les choses dans la perspective d'autrui".
C'est alors, et alors seulement, que la mise en acte juste peut survenir.

Jacques Lacan soulignera quant à lui : ""La Révélation comme telle, à savoir la parole comme porteuse de vérité". 

Moché est parvenu à ses fins, provisoirement, et il le sait. Il sait que la parole émanant d'un Dieu transcendant, non figurable, au nom dont la prononciation est brisée, est une gageure
pour un peuple ayant vécu tant d'années environné de constructions massives symbolisant le pouvoir d'un autocrate à la parole absolue, idolâtrée…
Or nous savons par le Traité Meguila 13A du Talmud qu'" est appelé juif  quiconque rejette l'idolâtrie".
Pour les bnei Israel donc, la parole initiatrice est brisée, d'entrée : elle laisse place à un intervalle, à un écart, qui seuls permettent à l'individualité, à la subjectivité d'exister.
Je citerai pour terminer une phrase tirée du livre de Zvi Kolitz du livre "Yossel s'adresse à Dieu" :
"……Je suis heureux d'appartenir au peuple dont la Tora représente ce qu'il y a de plus élevé et de plus beau dans les lois et les morales".


Tetsavé

Chers amis,

Petit à petit, nous approchons de Pourim, et certains d’entre nous, parmi les plus jeunes, sont déjà en train de choisir leurs déguisements. On demande souvent à cette occasion, d’où vient cette tradition, quelle est la signification de cette coutume de se déguiser à Pourim, car elle n’est mentionnée nulle part dans la Méguillah ni dans aucun texte de Halakha sur Pourim : en général les gens sont surpris d’apprendre qu’il s’agit d’une tradition issue du 15° siècle en Italie, probablement à Venise où les gens se déguisaient pour le carnaval, tradition qui, bien que récente, a été adoptée dans quasiment tout le monde juif parce qu’elle correspond particulièrement bien à l’esprit de Pourim : le niveau des apparences est à dissocier du niveau de la réalité et de ses enjeux.

Le fait que la date du carnaval dans quasiment toutes les cultures corresponde à la fin de l’hiver et aux prémices du printemps n’est pas innocente : sous le climat rugueux de l’hiver la nature a continué à survivre et finit par triompher et éclater au grand jour.

A Pourim, dans la Méguillah, l’intrigue se déroule sur au moins deux niveaux, celui du dévoilé, de l’apparence, du public, et celui du caché, des forces qui travaillent en profondeur dans le secret mais qui finissent par triompher.

Il ne faut pas creuser bien longtemps pour comprendre la modernité et l’actualité de cette différenciation entre public et privé, entre apparence et réalité.

Dans une civilisation dont l’information est monopolisée par l’image, par la communication visuelle, nous avons beaucoup de mal à admettre, à reconnaître l’existence et la légitimité d’une actualité cachée, au second plan qui est aussi importante, sinon plus, que celle que nous observons. En témoigne notre fascination pour toutes les histoires de réseaux politiques, les scoops confidentiels issus de dossiers secrets-défense, des fuites de wikileaks etc.
Mais depuis quelques années nous nous sommes aussi découverts des tendances exhibitionnistes avec la possibilité offerte à tous de publier des contenus intimes au plus grand nombre, des photos, des réflexions qui auparavant étaient confinées à un cercle uniquement privé, mais tout cela n’est déjà plus nouveau.

Si l’on revient à Pourim, ce qu’il y a de fascinant avec le déguisement, en voyant des enfants jouer, c’est le processus d’identification avec le personnage : après avoir enfilé le costume, je suis une princesse et je fais ce que dois faire une princesse. Mais même les enfants ne sont pas dupes ! Justement le but de Pourim est de prouver qu’il arrive que les deux niveaux soient indépendants l’un de l’autre voire que l’un triomphe de l’autre. Si je n’ai pas la conscience que l’image que je renvoie peut et même doit être différenciée de mon fort intérieur, alors je m’expose à nombre de troubles mentaux.

Le sens profond de la fête de Pourim est de s’interroger sur la fonction de l’apparence, et de son rapport à ce qu’il y a sous le déguisement, pas le déguisement de Pourim, mais le déguisement des 364 autres jours de l’année, pendant lesquels je suis déguisé en moi-même, je me conforme inconsciemment dans mon comportement à l’idée que les autres se font de moi-même, ou bien l’idée que je me fais de ce que les autres attendent de moi, et mon extérieur influe sur mon intérieur de façon permanente, insidieuse et parfois violente. Une des fonctions du carnaval, et donc de Pourim, est de permettre aux pulsions intérieures une soupape de sécurité qui lui permet de ne pas imploser. C’est le cas à tous les niveaux : au niveau collectif, lorsque l’autorité d’un dirigeant se fait trop pesante il laisse le peuple exprimer son désir de liberté dans des limites d’espace et de temps définies par lui-même. C’est le cas aussi au niveau individuel et personnel, puisque dans la tradition juive Pourim est aussi un moment d’introspection (Pourim = Yom Ki-Pourim), l’occasion de se demander qui je suis vraiment, par exemple lorsque je suis tout nu, et l’année dernière nous avions étudié à l’occasion de Pourim la sexualité du personnage qui nous paraissait le plus « blanc », « saint », « pur », la reine Esther, pour nous rendre compte qu’elle était loin de cette image d’ange asexuée qu’elle renvoie dans notre inconscient collectif…

Toute cette longue introduction pour commencer à parler de la paracha de cette semaine : pour remplir la fonction de grand-prêtre, il ne suffit pas d’avoir été désigné par Dieu ou d’être de la famille de Aaron, il ne suffit pas non plus de remplir sa mission le plus exactement possible, il faut en plus être déguisé en grand-prêtre.

Quelle est la fonction de ce costume ? Probablement la même que le déguisement de Pourim, ou que tout autre déguisement :
- faire entrer la personne qui le porte dans un état de conscience de son devoir, de concentration, de méditation, de responsabilité.
- Impressionner les témoins de la scène qui –l’esprit humain est ainsi fait- ont besoin d’une certaine dose de décorum, d’esthétique, pour que l’esprit entre en contact avec le sacré.
- Peut-être aussi s’agit-il, à l’aide de ce costume de faire une différenciation marquée et appuyée entre le prêtre « en fonction » et le personnage privé, on dirait aujourd’hui « civil », qui, lorsqu’il n’est pas en fonction a le droit à sa vie privée et à sa part d’ombre.
- Peut-être enfin, et c’est le lien le plus flagrant avec Esther, et c’est aussi la fonction de ce costume de prêtrise qu’acceptent la plupart des commentaires tant traditionnels que contemporains (biblistes, historiens et archéologues), s’agit-il d’une de ces fameuses « contre-influences » que l’on rencontre très souvent dans la Torah : les prêtres juifs seraient obligatoirement hommes et habillés (avec plusieurs couches) par opposition avec les prêtresses cananéennes qui pratiquaient leur culte dévêtues, et se livraient à des orgies pour les besoins du culte de la fertilité. Ainsi, le prêtre juif devaient, lors du culte, symboliser sa séparation totale d’avec tous les instincts sexuels, non pas parce que le sexe est considéré comme mal ou mauvais, mais parce qu’il est considéré comme faisant partie du domaine privé, et n’a pas à être exposé en public, et parce que la conjugaison sexe + culte appartient à la culture cananéenne. Contrairement à d’autres cultures, et il faut insister là-dessus, la sexualité n’est pas interdite aux prêtres, elle est au contraire confinée à la sphère privée, car en créant un cérémonial et un vêtement « public », on crée automatiquement un espace « non-public » dès que le vêtement est retiré.

Cette réflexion sur la différenciation entre public et privé, entre image extérieure et intimité, doit certes servir à chacun d’entre nous individuellement, pour notre propre ego, mais aussi et surtout doit nous guider dans notre attitude par rapport à autrui : plus elle est facilitée, plus notre tendance au voyeurisme s’exacerbe, et rien ne nous passionne autant que les ragots et les rumeurs sur la vie privée de telle ou telle personne. Si notre pratique du judaïsme a un sens, si elle ne consiste pas seulement en une pratique de rites anciens qui nous servent de « cosmétiques » ou d’image extérieure, mais bien d’influence au plus profond de l’être au travers de la discipline et de la maîtrise de soi, alors la lecture d’un texte antique et un peu fastidieux comme les détails de l’habit du grand-prêtre doivent nous servir de piqûre de rappel et nous guider chaque fois que nos sens, la vue, l’ouïe ou la parole sont tentés de céder à des pulsions animales, pour nous aider à choisir librement de tourner la tête et de regarder ailleurs.

Chabbat chalom.

Terouma

Chers amis,
Dans une des œuvres fondamentales de la littérature, un "classique" comme on dit couramment, dans lequel l'action se déroule au seizième siècle et le sujet est un des monuments les plus grandioses et majestueux de l'histoire, l'auteur met en scène un prêtre qui tient devant lui un des premiers livres imprimés, et parallèlement regarde par la fenêtre la cathédrale "Notre Dame" de Paris. Le personnage, pris d'une intuition prophétique, déclare tout-à-coup avec emphase : "Ceci détruira cela". Une façon pour Victor Hugo de définir un changement d'époque, de culture, de références. L'époque des cathédrales, des monuments massifs et imposants travaillés avec art pendant des dizaines, voire des centaines d'années allait se terminer, remplacée par une époque à laquelle la diffusion du savoir se ferait par les mots et les textes.
Pourquoi opposer un monument et un livre? En quoi ces deux choses seraient-elles concurrentes? C'est une chose qu'à notre époque nous avons beaucoup de mal à conceptualiser, mais la thèse défendue par Hugo est que les constructions étaient pour les élites instruites un moyen de communiquer avec le peuple, qui certes était ignorant et analphabète, mais dont l'esprit possédait assez de référents culturels pour pouvoir recevoir et interpréter justement les messages gravés artistiquement dans la pierre. Ainsi la beauté et l'esthétique n'étaient pas comme pour nous l'expression de la sensibilité d'un artiste, mais un moyen de faire passer au peuple, de la façon la plus "démocratique" qui soit, des messages théologiques, politiques, historiques, par le biais d'un symbolisme qui aujourd'hui n'est plus apprécié que par quelques historiens de l'art mais dans l'antiquité ou le moyen-âge pouvait être compris de tous les passants.
Je ne sais pas trop ce que vaut actuellement la théorie de Victor Hugo chez les historiens actuels, mais ce qui m'intéresse c'est le parallèle qu'on peut faire avec le judaïsme dans ce cas précis, puisque cette semaine nous lisons la paracha Terouma qui raconte la construction du Michkan, le sanctuaire du désert, avec force détails, qui probablement devaient avoir une forte signification à l'époque, même si cette signification s'est perdue et les rabbins du Midrach se retrouvent comme des "historiens de l'art" qui spéculent sur la signification de tel ou tel chiffre de mesure des murs etc.
Pour nous les juifs, la prophétie du personnage de Victor Hugo s'est réalisée depuis des temps déjà immémoriaux : nous n'avons plus aucun monument, mais par contre nous possédons des livres dans lesquels sont inscrits ces monuments, leurs constructions et leurs significations, et bien plus encore.
Par le fait des circonstances historiques et politiques, de la nécessité de l'histoire, les juifs ont été forcés de s'adapter rapidement et d'anticiper les évolutions majeures de l'histoire. Dès l'époque de sa formation, le peuple d'Israël a du se contenter d'une "cathédrale" portative, démontable qui convenait plus à son mode de vie nomade, puis les tentatives de construire des Temples en durs, "éternels" se sont soldées par des échecs douloureux. Il ne restait plus qu'une seule solution pour la survie collective : la diffusion au plus grand nombre des textes qui permettaient de survivre à la destruction des monuments, tout en permettant de communiquer et de transmettre leurs significations.
Un livre est beaucoup plus fragile qu'une cathédrale, il est moins cher, demande moins de temps à fabriquer, et a une capacité de stockage de l'information beaucoup plus grande. Mais surtout, contrairement à un monument, un livre est indestructible. Mettez le feu à 10 exemplaires, il en restera 100. Détruisez 100 livres, on en refera 1000.
La plupart des commentateurs ont vu dans le Michkan un « Temple portatif » : formule qui induit qu’il ne serait que la préfiguration du Temple de Jérusalem construit par Salomon, le vrai Temple, le grand, le beau, le point final, le but ultime de l’histoire. Une simple comparaison entre les deux textes de ce Chabbat, la paracha et la Haftara, montre que cette vision n’est peut-être pas tout-à-fait exacte :
Dans la Haftara, l’initiative de la construction du Temple revient à un homme, le Roi, même si l’initiative est approuvée par Dieu. Le matériel utilisé est acheté à prix d’or à l’étranger et importé du Liban (c’est sûrement de la bonne qualité, mais cela ne vient pas du peuple, ce ne sont pas ses arbres), et pour les payer il a fallu lever des impôts, des prélèvements obligatoires, lourds, et qui par définition ne sont pas volontaires, et enfin pour la construction il a fallu réquisitionner une masse de travailleurs professionnels, qui étaient eux aussi financés par le Roi, c'est-à-dire par l’impôt. On est bien loin de l’idéalisme des premiers temps ! L’élan enthousiaste et spontané n’aura pas survécu aux exigences d’une structure politique, étatique, centralisée. Si le Temple était certainement beaucoup plus beau et imposant que le petit sanctuaire du désert, sa portée symbolique est sans conteste plus négative que positive : il sera un facteur de division puisqu’après la mort du roi Salomon le peuple d’Israël va se diviser à cause de la charge de travail et des impôts exigés par la royauté.
Une vieille légende dit que le sanctuaire était toujours présent dans le Temple (le premier) et que c’est lui qui lui conférait sa supériorité par rapport au second Temple. Quoi qu’il en soit, la destruction du/des Temples qui a été vécue comme une catastrophe par les contemporains, a pu être transformée en évènement positif par les rabbins, qui finirent par y voir la destruction de cette forme centralisée et autoritaire du culte, de la communication avec le divin et avec les hommes (Ve-shakhanti betokham) et l’occasion de le remplacer (définitivement?) par un médium beaucoup plus pratique, maniable, bon marché, accessible et… moderne.
Ceci est la dernière différence et peut-être la plus capitale : pour construire un monument, il faut être un roi ou un prince. Pour éditer et distribuer un livre ou un journal, il suffit d'être un bourgeois qui ainsi a les moyens de lutter efficacement contre l'autoritarisme du pouvoir central.
Aujourd'hui nous vivons une révolution historique qui est sans doute du même niveau que celle de l'invention de l'imprimerie. Avec internet, n'importe qui peut écrire et diffuser ses textes au plus grand nombre, mobiliser des foules, détruire des monuments et renverser des dictateurs.
Mais la grande question du 21ème siècle est : est-ce que les utilisateurs de cet outil formidable auront assez d'intelligence et de sagesse pour l'utiliser aussi de façon constructive, pour bâtir des monuments, avec chacun sa petite contribution ("Me-et kol Ich acher yidevénou libo") qui aient la faculté d'être récepteurs, transmetteurs et émetteurs d'un message qui cette fois ne sera plus transcendant (du haut vers le bas) mais ascendant (du bas vers le haut) pour exprimer et codifier les termes d'une alliance responsable entre la somme des individus et celui dont la fonction est de donner un sens à toutes les constructions humaines.
Chabbat chalom