Ki Tavo 5773 (par Maayane Meyer)

C'est une des toutes dernières sidrot du Deutéronome – Devarim- dernier Livre de la Torah que nous allons commenter ce soir. KI TAVO c'est-à-dire "quand tu arriveras".
Il s'agit pour Moché de prévenir le peuple d'Israel que son installation "sur la terre que le seigneur ton Dieu t'a donné en héritage" n'est pas un simple emménagement mais qu'elle est assujettie à des lois incontournables comme on dirait aujourd'hui, édictées par Dieu au Sinaï et que lui, prophète entre les prophètes rappelle avant le passage décisif.
J'ai retenu deux idées forces : l'une qui prend en charge tout le passé des tribus d'Israel  et l'autre énonçant ce qui a été le moteur de l'histoire juive, l'élection d'un Seul Dieu et le choix d'un seul peuple, peuple garant dirai-je.
Prenons donc premièrement le concept de Lévinas de terre "permise". En fonction de quoi ?
Rappelez-vous le 1er ordre divin est un mouvement, le "lekh lekha" édicté par Dieu à Abram. C'est le début du rejet absolu de l'immobilisme, de la fixité tant morale que physique, c'est le refus de l'idolâtrie, c'est la rupture d'avec tout le bain maternel (la terre, la maison, le père) pour s'engager dans un premier temps, dans une voie d'exil et d'esclavage, c'est-à-dire d'enseignement de ce qu'est l'autre. Pourquoi cet horizon peu attractif et malgré tout porteur ? Car le peuple qu'Abraham aura la charge de réunir doit vivre dans sa chair le besoin vital (la famine), l'exil (ne pas avoir de lieu auquel se rattacher), l'asservissement (être étranger soumis en terre étrangère). L'accent mis sur l'expérience vécue prime sur la pensée quand il s'agit tout simplement de fonder une vie. Il y a là une grande leçon que nos sages ont repris quand ils disent : "ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu'il te fasse". "Tu aimeras ton prochain comme toi-même car tu as été étranger…". Pour savoir de quoi on parle avant d'en tirer des leçons définitives, il faut avoir vécu les expériences. Un maître hassid dira :
"Les rapports humains viennent avant la Torah » (derech eretz kadma le’Torah.).
Construire une terre viable n'est permis que si et seulement l'Ethique et la Loi s'associent pour  constituer un projet, c'est-à-dire qu'il convient d'associer ce qui maintient la vie du point de vue physiologique –le pain, lekhem- et ce qui l'impulse –le rêve, khalom-. Je ne peux manquer à ce sujet de vous rapporter un délicieux commentaire du rabbin Marc-Alain Ouaknine. Ces deux termes "lehem" et "khalom" sont bâtis sur les mêmes consonnes "lamed-het–mem" qui donnent un total en guematria de 78 pour chaque terme. En les additionnant, on trouve 156, guematria du nom Joseph celui qui a eu faim (la famine sévissant en terre de Canaan), qui a été soumis à l'exil (a été étranger en Egypte) et qui ensuite, grâce aux rêves de gerbes de blé (futur pain) et à leur interprétation, est sorti du cercle vicieux névrotique et ainsi a redonné vie à la révélation de ses Pères.  
En seconde partie, je me suis appuyée sur une idée que je dois a Yeshayahou Leibowitz : le principe de l'élection de Dieu par un peuple/l'élection d'un peuple par Dieu.
Je cite Moïse parlant aux bnei Israel : d'une part "tu as aujourd'hui reconnu l'Eternel pour être ton Dieu, pour marcher dans Ses voies, observer Ses lois, Ses préceptes, Ses statuts et écouter Sa parole" ;
D'autre part, "et l'Eternel t'a reconnu aujourd'hui pour être son peuple de prédilection pour que tu gardes tous Ses commandements".
Vous constatez la symétrie de ces deux énonciations. Mais y-at'il un lien de cause à effet, de temporalité  de l'une par rapport à l'autre ?
Comment la 1ère se manifeste-t'elle en pratique ? En marchant et observant les lois que Dieu a prescrites, en écoutant Sa parole.
Comment pratiquer la seconde ? En acceptant et gardant Ses commandements.
On voit là que les deux versets sous-tendent la même idée : Dieu a choisi le peuple d'Israel dans un but bien précis et le peuple a choisi ce Dieu parce qu'il l'a élu, lui le peuple, au poste de responsabilité. Ce n'est ni une récompense particulière ni une gratification mais une mission, la plus grande et la plus difficile, à savoir que l'Eternel est notre Dieu en cela que nous Le reconnaissons comme celui qui nous enjoint de pratiquer et d'observer ses Lois et dont nous acceptons la transcendance.
Cette responsabilité du peuple vis-à-vis de ce Dieu et de l'individu juif vis-à-vis de lui-même et de l'autre, est seule la garante d'avenir, de promesse et de liberté.

Maayane Meyer
Août 2013


Choftim 5773 (par Maayane Meyer)

Ce chabat nous lisons la paracha "choftim". Il s'agit du rappel synthétique des directives relatives aux pouvoirs judiciaire et législatif devant régir le peuple hébreu sur la terre que Dieu leur a destinée. De nombreux exemples sont développés dont le meurtre et l'adultère -placés ici sur le même plan-,  la guerre et ses obligations "humanistes" et enfin l'idôlatrie.

Mais je voudrais revenir de manière plus globale, sur le livre qui contient cette paracha, Devarim – Paroles-  celles que Moché adresse aux Bnei Israel au bout d'une errance de 40 ans dans le désert, au seuil de la terre promise terminologie que Lévinas interrogera et transformera en : terre permise, oui/non ?  C'est là tout l'enjeu et le message actuel de ce Livre que Moché signe en en faisant son testament.
Or donc Moché rassemble le peuple et re-énonce de façon condensée les paroles qu'Elohim, au Sinaï, lui a dictées pour qu'il les transmette lui-même aux enfants d’Israel. Mais ici, c’est une parole humaine, dite par un homme, directement, sans intervention divine. Moché le plus grand des prophètes qui était de « bouche pesante » devient, au terme d'un parcours de vie initiatique, le chef, orateur talentueux, d’un peuple.
 Ici, il parle à la première personne et, comme Jacob sur son lit de mort, rappelle les lieux où les Bnei Israel ont commis de graves fautes à l’égard d’Elohim, fautes qui restent dans la mémoire pour précisément servir d'expérience à ne pas renouveler. Mais il n’est ni dupe ni naïf : il sait que les hébreux recommenceront….. Pourtant, il se sent appelé, il obéit à une force qui le dépasse mais qu'il sait être la ligne de vie que doit suivre son peuple. Il le met malgré tout en garde, une nouvelle fois, sans hésiter, habité qu'il est par le Message.
Aussi commence-t’il par le domaine de la Justice  qui doit régir tant les relations sociales que politiques afin de constituer une société au socle éthique : plus de miracle à espérer dans cette nouvelle ère de l’épopée hébreue : plus de mer qui se fend contre toute attente ; plus de manne inespérée qui tombe des cieux ; plus d’ennemi qui soit tenu à l’écart.   Non, c'est ici et maintenant, qu'il incombe aux hébreux de construire un "vivre ensemble" selon les lois édictées par Dieu lors de la génération précédente au Sinaï et rappelées pour être appliquées aujourd'hui par un homme pour des hommes lorsque, lui, le chef suprême, le prophète d'entre les prophètes ne sera plus.




Devarim est une sorte de « michné tora » avant l'heure, c’est-à-dire répétition de la Tora ou « deuxième Loi (deutéro-nome). On pourrait croire que Moché a fait du « copier/coller » ! Or, vous savez bien que dans la Tora, jamais une phrase ou même un mot, qui parait redit, ne l’est vraiment. Il est au contraire source d’une nuance, d’une interprétation, d’un sens nouveau. Il faut donc savoir relire et ré-écouter ces Paroles comme une « loi orale », au miroir de l’évolution du peuple,  de l’Egypte… au Désert et ……à la Terre Promise. C'est la torat Moché.

Aujourd’hui, au regard de l’évolution des sociétés et surtout de la critique biblique contemporaine, des archéologues, des linguistes, des ethnologues se sont posé des questions sur l’origine de l’auteur réel de ce Livre, de l’époque et des lieux où se serait situé le récit.
A quel mode de composition et à quel style peut-on le relier ? Quand a-t’il été écrit ? Par qui ? Comment Moché a-t’il pu décrire sa propre mort ? Pourquoi n’est-il pas fait mention de Jérusalem comme centralité du Royaume d’Israel ? etc, etc.
A. Chouraqui dit même : « Le Deutéronome, tel que nous le lisons actuellement, passe pour une construction très élaborée, fruit d’une longue évolution ….».
Ce qui est certain, c’est son contenu éthique. Ni Rosenszweig ni Lévinas ne réfute l’authenticité du message divin même s’ils admettent que l’écriture en est humaine…
Ils s’interrogent sur le fond et la forme, pas sur le sens spirituel. Du coup, ils font rebondir les interprétations. 
Par exemple, quelles significations revêt aujourd’hui l’injonction de non-idolâtrie alors que notre société s’adonne à l’addiction de tout et n’importe quoi ? Que veut dire « présence divine » dans un lieu précis alors que le Temple n’existe plus ? Comment vivre ensemble alors que l’individualisme prospère ? Comment ne pas « mélanger » les genres alors que nous mêlons allègrement l’intime et l’extérieur ? Ces questions sont toujours d'actualité …..

Ce Livre donc –Devarim- reprend de manière saisissante La Parole de Dieu : il rappelle le passé épique d’Israël qui doit servir de base à son avenir en se fondant sur les Lois de la Tora une nouvelle fois répétée mais toujours créatrice de sens. 

Chabat chalom.
Maayane Meyer

Aout 2013