Vayakhel 5774 (par Maayane Meyer)

La paracha de la semaine nous présente Moché rassemblant son peuple pour lui faire part de la décision de l'Eternel de devoir édifier l'Arche Sainte et le Sanctuaire autour de l'axe central que représente le chabat. L'espace appartient aux Hommes ; le Temps, seul l'Eternel, par définition, en est le maître.

Moche donc, toujours présent lorsque Dieu le convoque et surtout quand il lui enjoint de parler, en son nom, au peuple, est ici le Surveillant en chef des travaux dont le maître d'oeuvre sera Betsalel –qui veut dire à l'ombre de El ou bien, selon Henri Cohen-Solal, ce serait El, l'ombre portée des actes de l'Homme. Il est donc un des bâtisseurs à l'ascendance illustre puisqu'issu de la tribu de Juda, il descend de Myriam, de Caleb. Son collègue est Olihav –la demeure du père- qui lui n'a pas de parents célèbres mais dont le nom même porte la marque de la filiation et donc de la transmission,

Il a déjà été question dans la paracha précédente, de l'édification du Temple. Alors une question se pose : pourquoi répéter ? Nous savons par l'étude qu'en font nos Sages, que la Torah ne prononce jamais un mot en vain, que chaque fois qu'il est utilisé, même si c'est le même, il renferme obligatoirement un sens nouveau. A nous donc d'essayer de suivre les leçons de nos hahamim. "L’étude juive ne saurait exister sans renouvellement ". TB Hagiga 3a.

Aujourd'hui, il semble bien s'agir, du  moins à première lecture, de la répétition d'une geste dont les bnei Israel ont été les acteurs par le passé. Mais constatons, à l'analyse, que cette fois-ci l'objectif est non seulement différent et mais opposé.

La fois précédente les Hébreux, en masse indistincte, ont confectionné une idole censée contenir un dieu. Aujourd'hui, il est question,  pour chaque hébreu, de participer au grand œuvre : celui d'offrir au seul Dieu, une demeure digne de cette Unicité et de son Universalité. Il en définira lui-même les mesures, les contours et les interprétations symboliques possibles qu'en aucun cas une idole ne pouvait permettre puisque figée en elle-même.

C'est l'action généreuse –principalement des femmes, nous dit le Midrash contrairement au Veau d'Or où ce sont essentiellement les hommes pris dans un non-discernement- qui ont contribué à sa construction. En effet, selon une lecture cabalistique, l'attribut "binah" que l'on peut traduire par discernement fait partie du côté gauche de l'Arbre séphirotique celui que la Cabale attribue au Féminin. Du côté masculin, c'est la générosité –hesed- qui lorsqu'elle n'est pas tempérée par "gevourah" son homologue du pilier gaauche, risque de se déverser sans limite. Dans la construction de la maison de l'Eternel, l'équilibre doit régner. Aussi, les deux attributs divins et humains vont s'associer pour accueillir Dieu dans sa Demeure.

En effet, le culte de Dieu ne provient pas d'un penchant naturel de l'Homme. Il exige de lui un effort spirituel pour surmonter sa nature ; en revanche, c'est sous l'influence d'une pulsion primaire que l'Homme, en masse, se laisse aller à adoration idolâtre.
N'oublions pas ce célèbre verset du Talmud–Meguila 13A : ""Quiconque rejette l'idolâtrie est appelé Juif"

Il est exigé de nous une tension vers le Service du Dieu unique et d'ailleurs, les Psaumes désigneront comme des "héros puissants" ces Hommes, pris individuellement sous leur propre responsabilité, qui exécutent la Parole divine" (Ps 103.20).

Je citerai à cet égard cet autre beau verset : ""L'héroïsme modeste de la responsabilité".

Tout fut donc exécuté selon ce que l'Eternel avait ordonné.

Mais ne manque-t'il pas quelque chose ? La fin des travaux est-elle suffisante pour garantir la réussite du plan divin ? Dieu n'a vraiment pas besoin d'un Temple si merveilleux soit-il pour se faire connaitre. Il a essentiellement besoin que ses fidèles associés Le servent et alors seulement il apposera son sceau, son "rouah" sur l'œuvre accomplie, il la bénira : la fin de l'action était déjà prévue au commencement.

Et alors, Moche, le messager qui connaît tous les rouages de la relation entre Dieu et son peuple, bénira les bnei Israel en leur disant –et je cite Rachi- "que ce soit la volonté de Dieu que la Chekina repose sur l'œuvre de vos mains".


L'espace –terrain d'action de l'Homme -est circonscrit …… Reste le temps … Mais c'est une autre histoire ……. 

Tetsavé 5774

Chers amis,

La paracha Tetsavé constitue une suite logique au texte de la paracha Terouma. Après avoir décrit la construction du Michkan, le sanctuaire du désert, la Torah nous décrit l’uniforme de ceux qui vont y travailler, les prêtres et le grand-prêtre.

Pour rentrer dans le détail, pour bien expliquer en quoi consistait cet habit, il faudrait un visuel : un dessin, un exemple sur un mannequin, tout cela existe et il est très intéressant de se représenter visuellement ce à quoi pouvait bien ressembler le grand-prêtre, avec le détail des ornements et des couleurs décrites dans la Torah.

Mais, comme je l’ai dit la semaine dernière, c’est surtout intéressant pour ceux qui s’occupent d’art ancien, de costumes traditionnels et de folklore.

Pour des lecteurs de la Torah, ce qui importe c’est le symbolisme, la notion à laquelle renvoie l’ensemble de l’objet et chacun de ses éléments.

Premièrement, cela peut paraître évident mais il faut le noter, chez les juifs les prêtres sont des hommes, et des hommes habillés.

Il faut y voir directement une contre-influence de la religion cananéenne : dans la culture environnante, les femmes prêtresses se livraient à des orgies rituelles pour les besoins du culte de la fertilité. Les hébreux doivent se démarquer, et faire le contraire : les personnes chargées du culte devront être des hommes (des humains qui ne peuvent pas donner naissance à des enfants, des êtres infertiles qui ont besoin d’un Autre pour donner la vie), et ils devront, je le répète, être habillés soigneusement, avec beaucoup de soin dans le détail, et de plusieurs couches de vêtements : il y a des vêtements supérieurs et des sous-vêtements (des sortes de petits-pantalons, des caleçons…). Les deux doivent être en lin, une matière végétale, afin que les prêtres ne subissent aucune influence/pulsion animale. Les sous-vêtements sont là pour qu’à aucun moment ils ne montrent leur nudité, même par dessous.

Parmi tous les détails sur le costume du grand-prêtre, il y en a un qui intrigue particulièrement :
שמות פרק כח פסוק ל
ונתת אל חשן המשפט את האורים ואת התמים והיו על לב אהרן בבאו לפני יקוק ונשא אהרן את משפט בני ישראל על לבו לפני יקוק תמיד: ס
« Tu ajouteras au pectoral du jugement les ourîm et les toummîm, pour qu'ils soient sur la poitrine d'Aaron lorsqu'il se présentera devant l'Éternel. Aaron portera ainsi le destin des enfants d'Israël sur sa poitrine, devant le Seigneur, constamment. »

Alors qu’il y a des détails pour à peu près tout le reste, ici on nous dit simplement que sur le poitrail du grand-prêtre, là où il y a des pierres précieuses avec les noms des 12 tribus, il faut qu’il y ait aussi des Ourim et des Toumim, sans nous préciser ce que c’est tant cela semble évident !

Un autre texte de la Torah, dans le livre des Nombres, nous indique que les Ourim et Toumim étaient utilisés à des fins de communication avec le divin :
במדבר פרק כז פסוק כא
ולפני אלעזר הכהן יעמד ושאל לו במשפט האורים לפני יקוק על פיו יצאו ועל פיו יבאו הוא וכל בני ישראל אתו וכל העדה:
« II devra se présenter devant le pontife Eléazar, qui interrogera pour lui l'oracle des Ourîm devant le Seigneur: c'est à sa voix qu'ils partiront, à sa voix qu'ils rentreront, lui-même aussi bien que tous les enfants d'Israël et toute la communauté. »

Apparemment il s’agit d’une communication à double sens, puisque Dieu aussi communique ses ordres à Josué par le biais de ces « outils » ou « instruments » (je ne sais pas comment les appeler).

Comme d’habitude, sur la question de la nature de ces Ourim et Toumim, il y a plusieurs avis :
  1. Le Talmud, et les commentateurs Rachi et Nahmanide : ce sont des morceaux de parchemin, sur lesquels est inscrit le Nom Divin. Ils sont placés sur le poitrail, et quand on les interroge (il faut bien faire attention à la formulation de la question, et n’en poser qu’une seule à la fois), quand on les interroge ils répondent en faisant briller les lettres des noms des 12 tribus. Ensuite c’est un peu confus : soit c’est le grand-prêtre qui met lui-même les lettres dans l’ordre pour en former une phrase qui a un sens, soit les lettres s’illuminent dans l’ordre… (autre question pratique que se posent les rabbins du Talmud : quand on met bout à bout les noms des 12 tribus, il n’y a pas toutes les lettres de l’alphabet, il manque le tsadi et le têt, ils vont donc tenter de résoudre à leur façon…).
  2. Pour le rationaliste Maïmonide, qui est réfractaire au concept d’amulettes magiques ayant des propriétés divinatoires, les mots Ourim et Toumim sont simplement une autre façon de désigner les pierres précieuses du poitrail. Il se base sur un Midrach et sur des écrits des Guéonim.
  3. Un autre rationaliste du 12° siècle, Rabbi Yossef Bekhor Schor, pense lui que derrière chaque nom de tribu il y avait une petite carte en parchemin qui définissait exactement le territoire de la tribu, et qu’en cas de conflit il suffisait de s’y référer pour mettre tout le monde d’accord. Avis intéressant car il imagine qu’on ne peut consulter les Ourim et Toumim que pour des questions de luttes internes, et que les conflits ne naissent que pour des questions de territoire.
  4. Rabbi Avraham Ibn Ezra, un célèbre commentateur du 12° siècle, qui était aussi très versé dans l’astrologie, fait une proposition originale : les Ourim et Toumim seraient plusieurs pièces en métaux précieux assemblés en une forme d’astrolabe. Un astrolabe est un instrument qui sert à décrire l’évolution des planètes et des étoiles par rapport à la terre. Pour Ibn Ezra ce serait l’observation de la configuration des étoiles qui donnerait la réponse, par l’astrologie.
  5. Enfin, les chercheurs contemporains, qui se basent sur un passage du livre de Samuel, considèrent qu’il s’agit tout simplement d’un moyen de tirer au sort, soit par une sorte de jeu de dés primitifs, des osselets ou tout autre moyen de cette sorte. Peut-être y avait-il deux objets (Ourim et Toumim) l’un symbolisant le positif et l’autre le négatif, et suivant lequel des deux retomberait par terre en premier, on lit une réponse.

A travers tous ces avis, on observe le développement des deux conceptions : une conception magique, surnaturelle, miraculeuse des vêtements du grand-prêtre, et parallèlement une conception beaucoup plus rationaliste, teintée d’un certain esprit scientifique.

Reste que de toute façon, tout cela est gênant : non, nos ancêtres n’étaient pas forcément des intellectuels adeptes d’une religion abstraite et spirituelle. C’étaient aussi des hommes et des femmes qui vivaient dans leur époque, l’antiquité, et qui tentaient de trouver dans le judaïsme un peu du confort qu’offraient les autres divinités : des oracles, des communications directes avec les êtres supérieurs qui donnent leurs instructions, disent ce qu’il faut faire et ne pas faire, rassurent, autorisent, et prédisent les victoires.

Même quand je parle au passé, je ne suis pas tout-à-fait juste : il y a encore, Dieu merci, dans le judaïsme contemporain au moins deux grandes tendances : mystiques et rationalistes, tenants et héritiers d’une pratique qui apporte bonheur, chance, argent, fertilité etc. et de l’autre sceptiques pour qui la pratique est source d’interrogations intellectuelles et de renouvellement du sens plus que de rétribution immédiate… ou différée.

Il est inutile de préciser à laquelle nous nous rattachons, à supposer que je puisse parler pour l’ensemble du mouvement massorti. Je ne désire pas non plus parler en mon nom propre, parce que je suis de moins en moins sûr d’être rationaliste.

Je voudrais juste insister sur le fait que les deux conceptions font partie intégrante du judaïsme, les deux ont accompagné son développement depuis les origines, et les deux sont constitutives de son identité actuelle.

Un peu comme cette petite fille qui demande à sa maman :
Maman, dis-moi, comment est-ce que je suis venue au monde ?
- Oh réponds sa mère, qui cherche une esquive, c’est une bien longue histoire ! Au commencement il y eut Adam et Eve, puis Avraham et Sarah, et puis des générations et encore des générations, puis ton papa et ta maman et voilà ! … tu es là !
La petite fille, pas très satisfaite de la réponse, tente avec son papa :
- Dis Papa, comme est-ce que je suis venue au monde ?
- Oh ! c’est une bien longue histoire ! D’abord il y avait des singes très poilus, puis ils se sont redressés sur leurs pattes arrière, puis il y a eu des générations et encore des générations, puis ton papa et ta maman, et voilà ! tu es là !
La petite fille qui n’est toujours pas convaincue retourne voir sa mère :
Maman je n’y comprends rien du tout ! Toi, tu dis une chose : Adam et Eve, Avraham et Sarah, puis des générations et des générations et puis Papa et toi ! Mais Papa dit qu’il y avait d’abord des singes, puis des générations et puis toi et Papa…
- C’est normal répond la maman, moi je te parle de ma famille, et lui de sa famille !


Chabbat chalom

Terouma 5774

Chers amis,

Sans aucun doute, la paracha Terouma est une des plus ennuyeuses de toute la Torah. Je dis ennuyeuse en ayant conscience que ce jugement est totalement subjectif : ceux qui se passionnent pour l’architecture, l’art plastique, la sculpture, le modelage des métaux y trouveront sûrement leur compte. Un de mes collègues a l’habitude de dire que ce texte ressemble à un mode d’emploi de chez Ikea… Mais pour ceux qui sont plus sensibles à l’aspect littéraire et narratif du texte biblique, il faut prendre son mal en patience et attendre une ou deux semaines pour retrouver le fil de l’histoire.

Généralement, à propos de ce texte on parle beaucoup de l’amorce, le verset du début :
שמות פרק כה פסוק ב
דבר אל בני ישראל ויקחו לי תרומה מאת כל איש אשר ידבנו לבו תקחו את תרומתי:
« Demande aux enfants d'Israël de me préparer une offrande de la part de quiconque y sera porté par son cœur, vous prendrez mon offrande »
« Une offrande pour moi » = « en mon nom » (Rachi)
« De chacun qui soit porté par son cœur » => valeur du don volontaire
On parle aussi du verset 8 :
שמות פרק כה
(ח) ועשו לי מקדש ושכנתי בתוכם:
« Je résiderai parmi eux » => et non dans le sanctuaire

Ou encore des chérubins, en se demandant que fait une image dans le lieu le plus saint et le plus symbolique du monothéisme, et pourquoi ils se regardent l’un l’autre alors que dans un autre texte du livre des Chroniques ils se tournent vers le Temple. La réponse à la seconde question étant qu’ils se regardent tant que les hébreux suivent les commandements, et détournent le regard lorsqu’ils les transgressent.

Mais cette année j’ai envie de laisser de côté la paracha pour m’intéresser à la Haftara de Terouma, que nous ne lirons pas demain puisque nous sommes Roch Hodech.

Tirée du début du livre des Rois, elle raconte comment le jeune roi Salomon a commencé, dès le début de son règne, à construire le Temple, ce que n’avait pas pu faire son père le roi David. Le lien avec la paracha est évident.

Un passage du livre de Samuel rapporte que, lors d’un bref répit, David avait projeté de commencer la construction, mais Dieu par l’intermédiaire du prophète Nathan l’en avait découragé, en l’assurant qu’il serait construit pas son successeur, qui sera son fils.
  • « Son fils » mais on ne sait pas encore lequel, car il y a  eu une guerre de succession du vivant de David, et Salomon ne sera désigné qu’in extremis sur son lit de mort.
  • Un récit tiré du Livre des Chroniques, qui se trouve à la fin de nos Bibles hébraïques et qui relate l’histoire biblique dans d’autres termes que les livres prophétiques du début (probablement pour des questions de langue), dit que David n’a pas pu construire le Temple car il avait « trop de sang sur les mains ». Explication connue, répandue mais bizarre : en quoi le fait d’avoir fait des batailles pour délivrer le peuple d’Israël de ses agresseurs rend « impur » ? La Torah ne donne-t-elle pas des moyens de se purifier de l’impureté ? Moché et toute la génération du désert, lorsqu’ils ont construit le Michkan, n’avaient-ils pas eux aussi du sang sur les mains, après la bataille contre Amalek ? Que signifie « trop » de sang ? Jusqu’à combien d’ennemis tués on peut encore construire, et à partir de combien cela devient interdit ?

C’est parce que je ne peux donner de réponse à toutes ces questions que je préfère ignorer le livre des Chroniques, un livre tardif dont l’origine est douteuse, pour comprendre le texte de la Haftara indépendamment : David n’a pas pu bâtir le Temple, car durant tout son règne il était occupé par les guerres aux frontières et l’instabilité politique à l’intérieur. Il n’en a donc pas eu le temps.

Salomon, lui en a eu le temps. Shlomo :מלך שהשלום שלו . Le roi qui bénéficie de la paix. La meilleure preuve en est que pour mener à bien son projet il doit s’associer avec un étranger : Hiram, le roi de Tyr, qui règne sur le Liban, va lui fournir des cèdres et des cyprès pour la construction.

Arrivé à ce point, mon esprit qui a une certaine tendance à être pragmatique et terre à terre se demande : si le bois qui servit à la construction du Temple venait du Liban, d’où pouvait bien provenir le bois nécessaire à la construction du Michkan, le sanctuaire du désert ?

Pour les matériaux utilisés, on a l’habitude de dire qu’ils proviennent de ce que les hébreux ont pris aux égyptiens à leur départ, ou qu’ils ont reçu de leur main pour partir plus vite. Cela peut se concevoir pour les pierres précieuses, l’argent et le cuivre. Pour les tentures et les tapis, on peut dire que la laine provient des moutons de leur bétail.

Quant au bois nécessaire pour les poutres de plusieurs mètres de long qui tiennent les tentures pour délimiter l’espace, on aura du mal à me faire admettre qu’il poussait dans le désert du Sinaï. J’ai aussi du mal à croire qu’il provienne des égyptiens.

Le Midrach, qui a réponse à tout, ne s’embarrasse pas de ces détails : « Nissim » il y eut des miracles. 

Ce n’est pas le premier ni le dernier de la période de l’errance dans le désert.

De prime abord ce détail semble n’avoir aucune importance.

Mais la longue description dans le livre des Rois qui décrit comment des milliers de travailleurs hébreux se sont rendus au Liban pour prendre possession du bois, le payer, le charger et l’apporter à Jérusalem est plus qu’un témoignage historique ou un compte-rendu de chantier. C’est le récit d’une paix, d’une coopération entre deux rois, deux peuples limitrophes. C’est aussi le récit d’une division annoncée, et d’une guerre civile qui s’annonce, puisqu’à la mort de Salomon le peuple refusera les impôts sous forme de « corvée » et fera sécession au Nord.

Pour l’instant, Salomon réussit à fédérer toutes les forces vives de la nation autour d’un projet grandiose, mais pacifique. Là où son père mobilisait pour des batailles contre les philistins, lui mobilise pour apporter du bois et des pierres. Des pierres taillées sur place, dans les carrières du Sud, pour s’emboiter sur le chantier sans instrument en fer (la Torah orale relate la légende du Chamir, ce vers qui casse les pierres. Peut-être une métaphore pour dire qu’un être seul, petit, fragile, apparemment innocent, peut réussir encore mieux qu’une armée d’outils forgés et perfectionnés…).

Le Temple de Salomon aura de nombreuses qualités : sa beauté, sa magnificence, sa permanence etc. Mais il pèche par un défaut originel, structurel : pour le construire, il a fallu user de la contrainte. Les milliers de travailleurs mobilisés n’avaient pas le choix, ni le loisir de se soustraire à la corvée. Ils étaient obligés.

Pour le sanctuaire du désert, le texte indique que tous les matériaux proviennent d’offrandes volontaires (כל איש אשר ידבנו לבו). Les matériaux qu’ils ne possédaient pas, Dieu a fait en sorte de leur procurer pour qu’ils aient la possibilité… de les offrir.

Ainsi le parallèle entre les deux sanctuaires met à jour une opposition fondamentale, au-delà des questions de dimension et de matériel : le premier est édifié dans une atmosphère précaire, provisoire, de fragilité face aux agresseurs extérieurs, mais sa réalisation découle d’une adhésion volontaire, bénévole et généreuse du peuple. Le second est construit dans une atmosphère pacifique et pacifiée, mais le chantier se fait par force et autorité, sous la contrainte et la coercition.

L’histoire ne dit pas ce qu’est devenu le sanctuaire du Michkan, ni s’il reste quelque chose des nombreuses pièces détachées qui le composait. En revanche on sait très bien ce qu’est devenu le Temple de Salomon : détruit une première fois par les babyloniens, reconstruit par les perses, profané et souillé par les grecs, purifié par les Hasmonéens, rénové par Hérode puis détruit par les romains, et depuis devenu un symbole utopique de « reconstruction » qui adviendra aux temps messianiques de la fin de l’histoire.

Ce qu’il reste du Temple de Salomon c’est un mur de soutènement, quelques ruines archéologiques, et des descriptions imprécises et parfois contradictoires dans le livre des Rois et dans celui du prophète Ezéchiel.

Ce qu’il reste du sanctuaire du désert… c’est une description hyper précise dans la Torah, et des centaines de drachot sur la générosité, la paix, la synergie du travail en commun dans lequel chacun apporte sa bonne volonté pour la construction d’un lieu supérieur, transcendant, habité… et pacifique.


Chabbat chalom