Tazria-Metsora 5772 (par Maayane Meyer)


Chabbat chalom.

Cette semaine c'est la lecture de la paracha Tazria/Metzora. 
Ce sont les titres de deux sidrot qu'on a coutume de lire ensemble.
Je vous en parlerai donc.

Au préalable je voudrais revenir sur un évènement qui vient de passer : Mercredi dernier nous nous sommes souvenus……C'était le yom hazikaron.

J'aimerais citer à ce propos qques lignes de Vladimir Jankelevitch dans son essai "pardonner" qui date de 1971. 
Vous verrez qu'elles sont malheureusement déjà/toujours d'actualité.

Elles sont là pour maintenir "jusqu'à la fin du monde" le deuil des victimes et ne jamais laisser l'indifférence, voire le temps nous faire oublier ce qu'ont été, comme les a nommées Paul Claudel, "les orgies de l'haine". 

Ne pas accepter que le sentiment de culpabilité entraine un effacement de l'horreur. 

Jankelevitch donc se posait la question :" Comment vont-ils se débarrasser de leur remords latent ? L'antisionisme est à cet égard une introuvable aubaine car il donne la permission et même le droit et même le devoir d'être antisémite (…) 

Et si les juifs étaient eux-mêmes des nazis ? (…). Il ne serait plus nécessaire de les plaindre…..Ils auraient mérité leur sort(…). Nos contemporains se déchargent ainsi de ce souci et pensent à autre chose".

ZAHOR !!!!!!!!!!!!


Eh bien, il y a des femmes et des hommes qui le leur rappellent aujourd'hui, chaque année et qui continueront à leur rappeller.

Revenons maintenant à notre paracha.

Pour vous en parler, je me suis appuyée sur les Leçons Bibliques du Pr Yeshayahou Leibowitz qui les décrit comme faisant suite à la sidra de la semaine dernière qui traitait aussi des lois relatives à la "corporéïté"…….

Chemini édictait les lois sur l'alimentation, fonction essentielle de l'Homme.

Tazria et Metzora traitent d'une manière générale des lois quant au corps et ses manifestations, physiologiques ou pathologiques. 

Tazria commence par redire quelque chose sur l'acte de la circoncision : "au huitième jour on circoncira la chair de son prépuce".

Cela peut paraître étrange puisque déjà dans la Genèse cette opération symbolisant, l'Alliance entre Abraham et Achem est inscrite par un signe, dans le corps même, pour la suite des générations.

Alors, à la suite du Pr Leibovitz, allons voir du côté de Maïmonide : celui-ci affirme que le commandement de la circoncision n'est pas prescrit A CAUSE de l'injonction faite à Abraham dans la Genèse, mais A CAUSE de son inscription comme commandement dans ce livre-ci, Lévitique, dans la sidra Tazria.

Selon Leibovitz, ce qui nous engage du point de vue de la foi, c'est seulement -mais fondamentalement- l'obéissance aux commandements édictés lors de la Révélation au Sinaï et non une reproduction des faits passés. 

Alors, pour bien montrer que dans le judaïsme l'Homme n'est pas qu'esprit comme pourrait le laisser entendre le verset : "Vous vous sanctifierez et vous serez saints" –Lévitique 11,45-, où l'effort vers le divin réside dans la spiritualisation des moindres détails comme par exemple la construction du michkan ou la robe du Grand Prêtre, ici au contraire, il est bien montré que le corps a ses propres manifestations et que l'Homme a aussi pour obligation de rendre un culte à Dieu par et avec son corps.

D'où des commandements très précis sur la manière de régir ce qui a trait au corps, à son intégrité. Il y a un respect et une attention tous particuliers à porter à ce qui entame ou lèse le corps. 

Toute atteinte à la peau, c'est-à-dire au visible de l'être intérieur, à son extériorisation doit être soumise à examen.

Bien que quasiment toutes les lois liées à la pureté et l'impureté aient été annulées il y a 2000 ans, seules subsistent, avec des variantes sur les termes, celles liées aux sécrétions du corps : le sang de l'accouchement, le sang menstruel les émissions physiologiques (pour un homme comme pour une femme).

Les relations sexuelles, réalité corporelle s'il en est et spiritualisée par ailleurs, sont ici aussi soumises à des contraintes, non pour des motifs d'ordre social, hygiénique ou moral comme d'aucuns l'expliquent pour se défausser d'une compréhension plus ardue. 

Ces prescriptions, qui ne sont des interdits que si l'on reste au pchat, sont là encore une fois pour privilégier la discipline qui seule permet d'accomplir le culte rendu à Dieu. 

Selon Leibovitz vous le voyez bien, les pulsions humaines les plus fondamentales doivent se situer dans un cadre, placées dans des limites, mises en acte selon un rituel, afin de rendre ainsi hommage au Créateur.

Il rejoint en cela Freud qui en fait, dit à peu près la même chose : les pulsions non soumises à la Loi symbolique entrainent la pathologie ; seule la limite autorise et laisse se déployer la liberté.

Toda.

Chabbat chalom.

7ème jour de Pessah


Chers amis,
Cette semaine, ayant eu quelques loisirs, j’ai pris le temps de regarder une des vidéos qu’on me signale régulièrement sur les réseaux sociaux : il s’agit d’un rabbin francophone résidant en Israël qui poste régulièrement les cours qu’il donne en français sur son site, et qui sont relayés dans la communauté juive francophone.

Je sais, c’est devenu une banalité, que l’apparition et la diffusion d’internet a révolutionné le monde des études juives comme tant d’autres domaines, et que des leçons qui étaient auparavant accessibles à quelques auditeurs dans les grandes villes sont maintenant disponibles à volonté dans le monde entier, ce qui la plupart du temps est bénéfique et permet l’accès à la connaissance pour les personnes les plus isolées. Dire cela est devenu un lieu commun. Dire que sur internet on peut trouver le meilleur et le pire en est un autre. Mais j’avoue qu’en regardant cette vidéo, même moi, qui pour avoir fréquenté le monde orthodoxe un certain temps pensais connaître à la fois sa diversité et aussi le fait qu’on peut y trouver ce qu’il y a de pire en matière de fanatisme, fondamentalisme fasciste et raciste, j’ai quand même été surpris.

Venons-en aux faits : dans la première vidéo que j’ai consulté, le rabbin se livre à des parallèles entre un enseignement ésotérique, pseudo-kabbalistique à base de citations non référencées (et donc hors du contexte) du Zohar, mis en parallèle donc avec une analyse socio-historico-politique de l’Europe occidentale totalement grossière et subjective : le « zohar » dit que le monde doit-être gouverné par quatre races (et le mot race est utilisé sans aucune précaution) : la race noire, la race jaune, la race rouge ( !?) et la race blanche. Or, la race blanche, dans le berceau de sa civilisation, en Europe, est en danger : elle est envahie par des étrangers appartenant à d’autres races. Comment se fait-il que les blancs, pourtant naturellement d’intelligence supérieure, n’en prennent pas la mesure et ne se défendent pas ? La raison est simple : parce que depuis plusieurs siècles on leur a instillé un poison, à petite dose puis à dose plus massive. Ceux qui cherchent à détruire la race blanche ont commencé à l’infiltrer d’idées pernicieuses dont le but, et l’effet, est de la rendre « féminine », c'est-à-dire faible et sans défense, et non plus « masculine » donc incapable de prendre les armes pour se défendre. Quelles sont donc ces idées destructrices ? Toutes les idées qui visent à « éclairer » (les guillemets sont d’origine) un peuple en lui faisant croire que tous les hommes ont des droits quelles que soient leurs origines ou leur couleur de peau. L’histoire du droit et des libertés, mais aussi le militantisme antiraciste, dont beaucoup de juifs furent les porte-paroles, est considéré comme la bouche de Bilam (j’avoue ne pas avoir bien saisi l’allusion) et sont les responsables de la perte de virilité de l’Europe occidentale qui, si elle n’y prend garde, va bientôt être submergée et voir la fin de la race blanche (le titre de la conférence est « blancs, défendez-vous ! »).

Mais le propos de la conférence n’est pas dirigé envers les européens blancs. Il se sert de cet exemple pour arriver à son message principal : tout comme les européens, les israéliens sont victimes de tentatives d’infiltration idéologique qui visent à leur faire perdre leur conviction, leur virilité dans le combat qu’ils mènent contre les arabes : le processus de paix, les idées de gauche, les négociations ne servent qu’à faire supporter au peuple les attentats et les attaques sans qu’il puisse répliquer pour pouvoir mieux l’affaiblir. Le message délivré est donc clair : l’enseignement religieux (« la Torah ») nous enseigne que les supporters du processus de paix et d’une solution négociée avec les palestiniens sont les inconscients porteurs d’une idéologie qui va mener Israël et le peuple juif à sa perte.
La Torah délivre un enseignement politique prophétique, et nous devrions tous l’écouter.

Dans une deuxième vidéo que j’ai regardé, qui date d’il y a à peine un mois et qui était consacrée à Pourim, au message « ésotérique » caché dans le texte de la Méguilah d’Esther, le même rabbin explique que Haman n’était pas un Perse mais un descendant d’Amalek, qui venait donc de la région d’Erets Israël, et qui avait été envoyé à Suse pour gravir tous les échelons et devenir conseiller du roi de Perse en tant qu’agent secret infiltré, pour détruire et exterminer non pas les juifs en tant que tels, mais pour les empêcher de retourner en Erets Israël et de reconstruire le Temple. La thèse, le message étant : Haman et ceux qui l’ont envoyé ne sont pas antisémites (contre les juifs), mais antisionistes (contre le retour des juifs sur leur terre) (peu importe l’anachronisme, il dit d’ailleurs avec un certain mépris que les historiens sont là pour raconter l’histoire comme des idiots, alors que les « sages » sont là pour découvrir le sens caché derrière les faits ( !)).
Mais le point central du message ne s’arrête pas là : il en vient immédiatement après, par comparaison, par analogie, à l’histoire contemporaine : de même qu’Haman était un agent envoyé par les peuples qui disputaient au peuple juif le territoire d’Erets Israël, agent infiltré en Perse, un pays qui n’est pas le sien, afin d’exterminer les juifs et donc de les empêcher de revenir sur leur terre, de même, Hitler, un autrichien infiltré en Allemagne, était un agent des arabes palestiniens envoyé pour exterminer les juifs afin de les empêcher de revenir sur leur terre.
Moralité : les arabes palestiniens sont nos ennemis héréditaires, comme Amalek, ils sont responsables de la Shoah, qui a eu lieu non par antisémitisme mais par antisionisme, c’est donc entre eux et nous une guerre à mort, il ne faut pas se laisser « tromper » par les négociations et le processus de paix, etc.

Il y a plusieurs manières d’aborder ce discours délirant : l’aspect psychologique du personnage, la déconstruction du discours point par point pour réfuter et prouver que la quasi-totalité des sources citées sont fausses, l’aspect idéologique et politique qui obsède tellement qu’il contamine toute la lecture des textes, on pourrait écrire un livre uniquement à partir de ces petites conférences d’une heure.

Je choisis aujourd’hui de l’aborder par l’aspect qui m’est le plus proche et qui me tient le plus à cœur : le rapport aux sources littéraires de notre tradition. Pour ce rabbin, comme pour un grand nombre d’ignorants ou de novices de la littérature juives, tous les textes qui nous ont été transmis reflètent un message vrai, exact tant sur le plan symbolique et philosophique que sur le plan historique et factuel. Tout est vrai. Eyn Miqra yotsé midé pchato : tout doit-être compris aussi au premier degré.
Ex :

  • Haman est un descendant de Aggag
  • La méguilah d’Esther est une histoire vraie
  • Le roi Assuérus ne voulait lui donner que la moitié de son royaume etc.

Cette lecture littérale des textes est pour moi la définition même du fondamentalisme : si tout est vrai, que tout a un sens caché, je peux (et je dois) révéler le sens caché des écritures et l’adapter, le plaquer comme grille de lecture de l’histoire contemporaine (ex : codes de la Torah). Il faut, pour éviter cette lecture, passer par une phase d’analyse des textes avec des outils nés des sciences contemporaines, développés et utilisés à partir des XIXème et XXème siècles, une analyse grâce à laquelle on arrive à mettre les sources à une certaine distance, à déconstruire la foi simple d’enfant croyant aux contes de fées pour reconstruire une théologie plus subtile, non pas plus faible mais plus forte, parce que non basée sur des croyances d’un autre temps. Ce que Lévinas appelait « une religion d’adulte ».

On pourra objecter : pourquoi donner de l’importance et de la publicité à tel personnage ? A cela je répondrai :

  1. Il nous revient, avant de dénoncer les fanatiques extrémistes chez nos voisins, de faire le ménage chez nous et de les combattre dans notre propre camp.
  2. Parce qu’il s’agit d’un commandement talmudique : combattre haut et fort tout ce qui peut-être considéré comme Hilloul Hachem, profanation du Nom divin.
  3. Parce que ce genre de discours jouit d’une audience très large et d’une réception très favorable, au sein de la jeunesse juive, influençable et en quête de valeurs et d’identité : la diffusion de ces idées, j’en ai été témoin, est très large et il est très difficile premièrement de faire comprendre à ceux qui y adhèrent que ce n’est pas une façon de voir « cachère » (puisque le rabbin en question possède la légitimité du juif orthodoxe à chapeau noir) et deuxièmement de faire comprendre à ceux qui rejettent le judaïsme au nom de ces délires incohérents qu’on peut être un juif religieux et croyant sans adhérer à ce genre de discours simpliste, conspirationniste et paranoïaque.

Personnellement, contrairement à certains, ces discours ne me découragent pas, mais au contraire me donne de la motivation pour diffuser un judaïsme intelligent, intellectuel et profond. Lorsque j’entends ce genre de thèse, je sais pourquoi et contre quoi nous nous battons (même si le combat est inégal, car c’est souvent les populistes et démagogues qui remportent le plus d’adhésions), et je suis fier de représenter une alternative juive à ce genre de discours.

Mais il faut être honnête, et éviter les amalgames : ce personnage est loin de représenter la totalité du monde orthodoxe, et de nombreuses voix, à l’intérieur du monde orthodoxe, se font entendre, comme ce jeune étudiant de Yéchiva auteur d’un blog très intelligent sur l’orthodoxie moderne qui a rédigé une lettre diffusée sur Facebook, dans laquelle il fustige le racisme et le fanatisme de ce rabbin, et appelle ces thèses : « le Hamets dont le peuple juif doit se débarrasser pour mieux se libérer comme à Pessah ».

Joli message de fin de Pessah !

Chabbat chalom et Hag sameah

Pessah 5772


Chers amis,

Chabbat chalom et Hag sameah, puisque, certains ne le savent peut-être pas, Chabbat passe avant Pessah.

Chabbat est la plus importante des fêtes juives du calendrier si on suit ce que nous en dit la Torah, c’est aussi la plus importante théoriquement et théologiquement. Mais on ne peut pas ignorer que sociologiquement, si des juifs qui ont perdu toute attache avec la pratique quotidienne ou hebdomadaire du judaïsme se « réveillent » une fois ou deux dans l’année pour s’approcher d’une synagogue ou de leur famille, c’est en automne à Yom Kippour et au printemps à Pessah.

Autant Yom Kippour a un caractère austère, autant Pessah est synonyme chez la plupart d’entre nous de réunion familiale festive, avec le goût des plats traditionnels et des aliments du plateau du seder.
Je ne sais pas combien de fois chabbat est mentionné dans la Torah, ainsi que Yom Kippour ou Pessah en tant que fête de pèlerinage. Je sais, parce que la tradition rabbinique insiste beaucoup dessus, que la mitsva de raconter la sortie d’Egypte le soir du Seder est mentionnée à 4 reprises. Raconter la sortie d’Egypte. Pas « lire la Haggada » comme certains le croient, car la Haggada n’est à l’origine qu’une suggestion pour ceux qui n’ont pas les moyens de citer midrachim et commentaires sur le livre de l’Exode, puis ce texte s’est fixé et est devenu le texte que nous connaissons tous, avec ces 4 questions, 4 coupes de vin, 4 fils, 4 fois le mot « baroukh », etc. C’est donc tout naturellement que ce soir je vais parler du chiffre… 5.

Oui le chiffre 5, parce que ce chiffre quatre de la Haggada n’est pas considéré comme un chiffre parfait, rond, harmonieux et complet. C’est un chiffre qui appelle à être complété : Au départ, les rabbins basent leur commentaire sur un passage du livre de l’Exode, paracha Vaera, lorsque Dieu annonce à Moché qu’il a entendu la clameur des Bené Israel et qu’il va les délivrer :
Exode 6, 6-7 :
שמות פרק ו

(ו) לכן אמר לבני ישראל אני יקוק והוצאתי אתכם מתחת סבלת מצרים והצלתי אתכם מעבדתם וגאלתי אתכם בזרוע נטויה ובשפטים גדלים:
(ז) ולקחתי אתכם לי לעם והייתי לכם לאלהים וידעתם כי אני יקוק אלהיכם המוציא אתכם מתחת סבלות מצרים:
(ח) והבאתי אתכם אל הארץ אשר נשאתי את ידי לתת אתה לאברהם ליצחק וליעקב ונתתי אתה לכם מורשה אני יקוק:


Ce qui sera ensuite défini comme « arbaa lechonot chel guéoula » 4 verbes, quatre promesses, 4 paroles de délivrance et de réconfort :
- Je vous ferai sortir
- Je vous sauverai
- Je vous délivrerai
- Je vous prendrai pour peuple

Le problème, ou plutôt la question, est que ces 4 verbes sont aussitôt suivis d’un cinquième : « Je vous emmènerai vers le pays que j’ai promis à Avraham, Itzhak et Yaakov… ».

Les sages du Talmud, à leur manière un peu imagée, se posent la question : doit-on boire un cinquième verre de vin ? La solution trouvée étant de remplir une cinquième coupe, que l’on boira lorsque le prophète Elie viendra nous « délivrer » de ce doute, c’est ce verre que nous appelons « koss chel eliyahou » la coupe du prophète Elie. Mais cette petite question de procédure (4 ou 5 verres) ne doit pas cacher une question beaucoup plus profonde : la sortie d’Egypte est-elle achevée lorsque les hébreux ont passé la frontière et se sont mis hors de portée de l’armée de pharaon, ou bien s’achève-t-elle lors de l’entrée en terre de Canaan, 40 ans plus tard ? La délivrance est-elle complète et totale lorsqu’on n’est plus en état d’esclavage, ou bien n’est-elle entière que lorsqu’on accomplit un projet concret dans un lieu donné, un projet dont l’axe principal est le refus de tout asservissement de la personne humaine, comme le prescrivent les lois éthiques de la Torah ?

Les historiens, dont le travail consiste à tracer l’histoire et l’évolution du texte de la haggada et la façon dont le seder a été célébré à différentes époques, pensent qu’à l’origine, à l’époque du second temple, le seder comportait effectivement 5 coupes, en référence aux 5 verbes. Ce n’est qu’après la destruction du Temple et la catastrophe qu’a représenté la perte d’indépendance nationale, puis l’exil, que la cinquième coupe s’est effacée, peut-être parce qu’il était devenu trop douloureux d’évoquer cette indépendance nationale perdue. Même idée pour l’œuf du plateau du seder : korban Haguiga qui n’aura pas lieu, ainsi que deuil du Temple.

Mais plus généralement, l’idée suivant laquelle le chiffre 4 de la haggada en appelle un cinquième est une idée riche en développements : toute une littérature moderne s’empare de la thématique du cinquième fils. Qui est, ou qui peut-être ce cinquième fils de la haggada ?
- certains imaginent une fille => Expression d’une voie souvent absente ou étouffée dans la tradition juive. Qu’aurait-elle à dire ? Quelle question voudrait-elle poser ? Peut-être demanderait-elle pourquoi lorsque la Torah parle de transmission du sens de Pessah c’est toujours à un fils ? Est-ce que les femmes ne sont pas sorties d’Egypte avec les hommes ? Moché lui-même n’insiste-t-il pas auprès de pharaon pour que sorte « tout le peuple », hommes, femmes et enfants ?
- d’autres y voient le fils absent, celui qui n’assiste même pas au seder, qui ne s’est même pas donné la peine de répondre à l’invitation familiale. Pourquoi ? Révolte, refus, rejet… ou tout simplement paresse, autre chose de mieux à faire, il ne désire pas s’arrêter de travailler, interrompre sa vie professionnelle/matérielle pour ce qu’il considère comme des vieilleries qui ne sont plus actuelles.

D’autres encore, après avoir imaginé un cinquième fils, se plaisent à imaginer… une cinquième question. Une question qui n’est pas ritualisée, qui sort du cadre du « Ma nichtana » => en quoi cette nuit est-elle différente des autres nuits ?
  • En quoi ce seder est-il différent des autres seder ?
  • Quelle signification pour nous Pessah cette année ?
  • Quel est le but de ce seder : reproduire à l’identique tous les gestes que faisaient nos ancêtres, ou peut-on le moderniser, l’actualiser le rendre porteur de sens pour nous aujourd’hui, sans lui faire prendre sa signification première, son « goût », « taam » en hébreu qui signifie sens et goût.

Vous l’aurez compris, j’introduis ici la problématique à laquelle le mouvement Massorti, ses créateurs, ses dirigeants, ses rabbins s’attachent à constamment avoir à l’esprit, et à répondre avec plus ou moins de succès : tradition et modernité. Je devrais même dire traditions et modernités.
Nous estimons que la meilleure façon d’être fidèle au message des auteurs de la Haggada, qui nous disent qu’ « à chaque génération la personne doit se sentir comme si elle sortait d’Egypte », c’est de proposer aux gens de réfléchir sur des sujets profonds liés à l’actualité la plus récente, tout en respectant le rythme, les textes, les lois sauvegardées et transmises par les générations qui nous ont précédé.

Cette année, nous avons comme objectif de réaliser un « mini-exploit », une chose et son contraire : que ce seder soit fidèle à tous les autres seders depuis l’époque de la Michna, et qu’en même temps il soit différent du seder de l’année dernière, avec d’autres explications, d’autres commentaires, d’autres explications et d’autres chants. Nous serons un peu aidés et guidés en cela par une petite brochure éditée et envoyée par un organisme centralisateur du mouvement massorti auquel nous appartenons : « Masorti Olami » qui a fait en sorte de proposer, et je dis bien proposer, différentes façons de rendre le seder actuel cette année. Ce qui veut dire que l’année prochaine, peut-être nous aurons une autre version. Personne ne prétend que tout ce qui est proposé est bon et correspond à notre public, mais je suis sûr que vous comprendrez la démarche, et le cas échéant vous proposerez de nous aider à l’améliorer.

Notre démarche, notre slogan/devise, allier tradition et modernité, nous ne la considérons pas comme un but en soi, mais comme un moyen : celui de faire tout ce que nous pouvons pour ramener le cinquième fils (ou la cinquième fille) à la maison le soir du seder, et l’amener à poser des questions, ou au moins à exprimer ce qu’il/elle n’avait jamais eu l’occasion d’exprimer auparavant, en lui permettant de se sentir en confiance dans une atmosphère de partage et de bienveillance.

Pour en revenir à la fameuse cinquième parole, celle de l’aboutissement de la libération, de l’arrivée du peuple sur sa terre pour l’accomplissement du projet porté par la Torah, « ve-hévéti », il faut reconnaître que l’actualité récente, avec la recrudescence de l’antisémitisme en Europe, nous fait regarder vers Israël d’une autre façon, et peut-être nous permet de faire résonner un peu plus fort les derniers mots du seder : « l’an prochain à Jérusalem ». Cela n’a jamais voulu dire, évidemment, que l’année prochaine nous souhaitons prendre une semaine de vacances à l’hôtel en Israël, mais que quelle que soit notre situation de confort et d’intégration dans le pays dans lequel nous vivons, nous ne perdons pas de vue que notre espoir (Hatikva), est de pouvoir faire en sorte qu’un jour nous puissions profiter de cette ère messianique tant attendue, dans laquelle Jérusalem ne sera plus synonyme de conflits multiples et interminables mais d’un havre de paix qui rayonne sur toute la terre.

Une tradition très récente (mais une tradition quand même) est de se souhaiter « Pessah cacher vé-saméah »=> un pessah cacher ( !?) (=> peut-être allusion à quelque chose de technique, élimination du hamets) et heureux (heureux vient en deuxième, peut-être une relation de cause à conséquence ?) une blague très connue et ancienne : « pour vivre heureux, vivons cacher ».

Je préfère de loin souhaiter à tous un Pessah réussi, c’est-à-dire avec un bon mélange d’ancien et de neuf, de profond et d’actuel.

Chabbat chalom et Hag sameah