Emor 5772


« Ne déshonorez point mon saint nom, afin que je sois sanctifié au milieu des enfants d'Israël, moi, l'Éternel, qui vous sanctifie »

Chers amis,

Ce soir j’ai choisi de parler d’un concept très important et même fondamental dans le judaïsme, qui trouve sa source dans un verset que nous lirons demain :
ויקרא פרק כב פסוק לב
ולא תחללו את שם קדשי ונקדשתי בתוך בני ישראל אני יקוק מקדשכם:
Deux commandements :

  1. Ne pas profaner le Nom divin
  2. Sanctifier le Nom divin

Les sages du Talmud, à leur habitude, prennent cette mitsva au sens concret et juridique, même si ce n’est pas forcément le pchat du texte : Kidouch hachem = la sanctification ultime : lorsqu’un juif est prêt à donner sa vie pour ne pas trahir le monothéisme ou profaner les préceptes de la Torah. Mais ce concept, s’il est mal compris, peut s’avérer dangereux ou donner une mauvaise image du judaïsme. Personne ne dit qu’il faut mourir pour Dieu, ou pour la Torah, au contraire ! Qu’est-ce que la profanation du Nom divin (notamment chez Maïmonide, qui compile et résume les discussions du Talmud) ? Dans les époques de persécutions, si un non-juif ordonne à un juif de transgresser un des commandements de la Torah sous peine de mise à mort immédiate, si le juif ne transgresse pas et se laisse tuer, c’est cela la profanation ! 
(La source en est dans la paracha que nous avons lue la semaine dernière :
ויקרא פרק יח
(ה) ושמרתם את חקתי ואת משפטי אשר יעשה אתם האדם וחי בהם אני יקוק:

Si des juifs deviennent fanatiques au point de préférer mourir pour leur religion, c’est une double transgression : au niveau individuel car la Torah doit être perçue comme « Torat Hayim », et au niveau collectif car cela donne une image du judaïsme qui rappelle certaines déviances sectaires ou certains fanatiques de guerres dites « saintes » qui n’ont rien à voir avec l’idéal de sainteté qui nous a été transmis.

Si un juif préfère transgresser la Torah pour sauver sa vie, montrant ainsi que le respect de la vie est au sommet de la hiérarchie des valeurs du judaïsme, alors c’est cela qui est appelé sanctification du Nom divin.

C’est dans ce contexte, et après les précautions d’usage, qu’il faut comprendre les limitations que les sages ont donné à cette loi, pour éviter débordements et cycle de violence : On doit transgresser tous les commandements de la Torah, sauf trois : l’interdit du meurtre (pourquoi préférer une vie plutôt qu’une autre ?), les unions sexuelles interdites (inceste, unions consanguines etc.), et l’idolâtrie (même cela est limité dans certains cas bien précis, impossible de rentrer dans les détails, disons simplement qu’il y a une différence entre « en public » et « en privé ».

Si on préfère la mort plutôt que de transgresser un de ces trois commandements, alors cela s’appelle Kiddouch Hachem Hagadol (=absolu, ultime) et l’on rejoint les « Harougué Malkhout », tous les juifs morts sur le bûcher comme Rabbi Akiva et bien d’autres (les croisades, pogroms, inquisition etc.)

Voilà pour la question juridique. Mais Maïmonide poursuit :
הלכה יא
ויש דברים אחרים שהן בכלל חילול השם, והוא שיעשה אותם אדם גדול בתורה ומפורסם בחסידות דברים שהבריות מרננים אחריו בשבילם, ואע"פ שאינן עבירות הרי זה חילל את השם ט כגון שלקח ואינו נותן דמי המקח לאלתר, והוא שיש לו ונמצאו המוכרים תובעין והוא מקיפן, או שירבה בשחוק או באכילה ושתיה אצל עמי הארץ וביניהן, או שדבורו עם הבריות אינו בנחת ואינו מקבלן בסבר פנים יפות אלא בעל קטטה וכעס, וכיוצא בדברים האלו הכל לפי גדלו של חכם צריך שידקדק על עצמו ויעשה לפנים משורת הדין, וכן אם דקדק החכם על עצמו והיה דבורו בנחת עם הבריות ודעתו מעורבת עמהם ומקבלם בסבר פנים יפות ונעלב מהם ואינו עולבם, מכבד להן ואפילו למקילין לו, ונושא ונותן באמונה, ולא ירבה באריחות עמי הארץ וישיבתן, ולא יראה תמיד אלא עוסק בתורה עטוף בציצית מוכתר בתפילין ועושה בכל מעשיו לפנים משורת הדין, והוא שלא יתרחק הרבה ולא ישתומם, עד שימצאו הכל מקלסין אותו ואוהבים אותו ומתאוים למעשיו הרי זה קידש את ה' ועליו הכתוב אומר ויאמר לי עבדי אתה ישראל אשר בך אתפאר.
« Il y a d’autres choses qui entrent dans la catégorie de la profanation du Nom, qui concernent les personnes grandes dans la Torah et connues pour leur piété, et sur qui les gens prennent exemple, et même si ce ne sont pas [juridiquement] des transgressions cela rentre dans la catégorie de la profanation du Nom :
- celui qui est un mauvais payeur
- celui qui fait trop la fête avec des gens peu fréquentables
 - celui qui n’est pas doux et calme avec les gens mais est de caractère agressif et irascible
De l’autre côté si le sage fait des efforts sur lui-même et fait preuve de calme et d’empathie avec les autres, s’il accepte les vexations sans les rendre, s’il respecte même ceux qui lui manquent de respect, s’il est honnête et de bonne foi dans ses transactions, […] s’il passe son temps à faire le bien lifnim michourat hadin, c’est-à-dire même si ce n’est pas indiqué par les textes, alors cela rentre dans la définition du Kiddouch Hachem. »

Ce développement un peu long pour en arriver à une idée, une seule : la définition de sanctification ou profanation est variable et peut être extensible suivant les personnes et les attitudes : pour faire court, sont dans la catégorie des sanctificateurs tous ceux qui font honneur au peuple juif et à ses valeurs. Sont dans la catégorie des profanateurs ceux qui font honte au peuple juif et le mettent littéralement en danger car comme nous le dit la Michna « tous les juifs sont solidaires les uns aux autres » c'est à prendre au sens spirituel mais aussi et surtout au sens concret de l’attitude face à l’autorité dominante (les romains ou autre : quand un juif fait une bêtise, c’est à tous les juifs qu’on s’en prend (même si ce n’est pas forcément vrai, c’est encore ce que l’on ressent très souvent dans les familles) : lorsqu’on entend qu’un juif a des problèmes avec la justice, il y a une crainte viscérale et irraisonnée : cela va encore retomber sur les juifs !

En France, depuis la Révolution, la création du Consistoire et d’autres évènements, les juifs ont toujours fait très attention à ne pas intervenir politiquement en tant que collectif dans la vie politique nationale. En tant qu’individus, citoyens, aucun problème. Pas en tant que communauté. Par discrétion, par volonté de ne pas laisser prise à des critiques. Même si ce n’est pas interdit.

Pour en venir à une actualité récente, malheureusement je n’ai pas l’impression que ce soit le cas actuellement. Nombre de juifs n’hésitent pas à parler à tort et à travers sur les réseaux sociaux et à prendre parti pour un candidat plutôt qu’un autre.

Il faut donc réaffirmer ce principe de neutralité auquel nous sommes attachés dans la république française, demain nous lirons la prière pour la France, pour la république française et ses dirigeants, quels qu'ils soient, sans les nommer.

Chabbat chalom