Choftim 5772 (Par Romain Nouchi)


« Eyn mazal lé Israël » Il n’y a pas d’astres pour Israël, pas de prédestination astrologique à laquelle le peuple juif serait soumis.

Si je cite cette phrase tirée de la fin du traité Chabbat, dans le talmud de Babylone, c’est qu’elle est la résonnance d’un verset clef de la paracha de cette semaine, Choftim.

Comme nous l’avons vu il y a deux semaines dans la paracha Ekev, les bné Israël rentreront en terre promise, à la condition qu’ils se distinguent des peuples s’y trouvant déjà.

L’une des injonctions auxquelles ils devront se plier est de ne pas user de pratique divinatoire, de sorcellerie, et de n’avoir recours ni à l’astrologie, ni à la nécromancie, ni à la consultation des morts. Puis, comme pour conclure ces interdits, Dieu ajoute : « Tamim tihyé im Hachem Elohekha ». « Tu seras intègre avec Hachem ton Dieu ».

Les commentateurs traditionnels relèvent une connexion directe entre le mot « tamim », et les interdits concernant l’art divinatoire. Dans le Talmud, traité Pessahim, nous est posée la question : « d’où savons-nous qu’il est interdit d’aller consulter une diseuse de bonne aventure ou un oracle » ? Parce qu’il est dit : « Tamim tihyé im Hachem Elohekha ». « Tu seras intègre avec Hachem ton Dieu ».

Une méthode d’exégèse biblique consiste à recenser dans le texte de la Torah, toutes les occurrences du mot tamim, et de systématiquement lier l’usage de ce mot, avec le fait de consulter, ou de refuser de consulter justement, les oracles et le surnaturel. Ainsi dans la genèse, Dieu interpelle notre patriarche Abraham en lui disant : « marche devant moi et soit tamim ».

Dans la paracha Lekh-lekha, lorsque Dieu promet à Abram postérité, celui-ci évoque la stérilité de son couple, dieu le fit sortir de sa tante pour regarder les étoiles. Le Midrash, cité par Rachi, interprète le verset comme suit « sort de ton destin tel qu’il est inscrit dans les étoiles. En effet Abram et Saray, n’auront pas d’enfants, comme annoncé dans les astres, mais Abraham et Sarah, oui ».
Etant donné qu’aux époques bibliques et talmudiques, l’astrologie était considéré comme une science, l’enseignement à saisir n’est pas que le judaïsme est opposée aux arts divinatoires, parce qu’ils seraient faux ou discutables, mais bien parce qu’il s’oppose à toute immobilisme dans un destin scellé, où le sort serait joué d’avance.

La prédiction, inconsciemment ou pas, conditionne l’être.

Il existe d’ultimes moyens d’actions capables d’influer sur le cours des destinés humaines.
L’homme juif doit savoir, s’entend dire Abraham, qu’il possède la capacité de sortir hors de son destin, et de le dominer.

La paracha choftim dénonce donc les pratiques occultes et les qualifie de to’évot, d’abominations. Il est donc intéressant de nous pencher sur une pratique définie par la Bible, présentée comme très cachère et très acceptable, qui a néanmoins d’une certaine manière, beaucoup de choses en commun avec les pratiques divinatoires. Les Ourim et les Toumim
Ils apparaissent pour la 1ère fois dans l’Exode. Ce sont des pierres, des éléments du pectoral sacré porté par le grand prêtre. Elles étaient utilisées pour connaître la volonté divine, quand des questions d’importance nationale nécessitaient une réponse de Dieu. Comment fonctionnait ce pectoral de prédiction ?

Les commentateurs nous disent qu’il y avait sur la tenue du grand prêtre, des lettres gravées, et lorsqu’une question était soumise, il lui suffisait de méditer sur ces lettres, en les regardants, et alors, certaines de ces lettre s’illuminaient, et lui donnaient la réponse à sa question. On pourrait donc rapprocher ces éléments des pratiques divinatoires auxquelles auraient pu se livrer d’autres peuples.

La différence entre cette pratique et celle des peuples païens nous est en fait livrée par certains commentateurs, et notamment par un commentaire du Gaon de Vilna, qui nous explique précisément comment se passait la prédiction : les lettres s’illuminaient sur le pectoral du grand prêtre, il fallait alors que le Cohen Gadol soit capable de remettre ces lettres dans le bon ordre pour pouvoir constituer des mots. Il nous donne un exemple très célèbre, un épisode où «  les jugements de lumière et de pureté » avaient été consultés :
« Le premier jour de Roch Hachana, nous lisons dans la Torah le passage se référant à la naissance d'Isaac. Sa mère Sarah, était longtemps restée sans enfant, puis Dieu écouta ses prières et lui donna un fils. La Haftarah, quant à elle, parle de la naissance du prophète Samuel dont la mère, Hannah, était également restée de nombreuses années sans enfant. Un jour, au cours d'un des pèlerinages annuels à Chilo, Hannah, debout dans le sanctuaire, déversa tout son cœur devant Dieu. Elle Le supplia de lui accorder Sa bénédiction, afin qu'elle puisse enfanter. C’est alors que le grand prêtre Eli la croise et il remarque cette femme, dans l’enceinte du temple, qui semble prier, ses lèvres bougent, mais sans que des mots n’en sortent. Il consulte les Ourim et les Toumim pour savoir l’identité de cette femme et ses qualités. Il va obtenir une réponse en 4 lettres, « kaf sin rech hé ». Combiné d’une façon ou d’une autre, ils peuvent donner quelques mots, pouvant être très différents les uns des autres. Ces lettres nous donnent les mots « kchera » cashere au féminin, comme si Hannah à travers les pierres, était définie comme une femme digne, digne du destin qui lui était promis. Une autre façon de combiner ces lettres donne, « ké sarah », comme sarah, donc peut être que l’illumination des Ourim et Toumim signifie que Hannah est à l’image de la matriarche Sarah.
Mais voilà que le prêtre Eli s’est trompé dans la combinaison des lettres, et le Gaon de Vilna nous dit qu’il a interprété ces lettres comme « chicora » c’est-à-dire ivre, et c’est pour ça qu’il l’accuse d’être saoule dans l’enceinte du temple. »

Nous voyons donc que les lettres apparaissaient, et qu’il restait un rôle au grand prêtre, celui de recombiner ces lettres pour en faire un mot. Les Ourim et Toumim se contentent de livrer une partie de l’information qui doit être interprétée. Elle doit être filtrée par un esprit humain, comme pour nous rappeler que rien, jamais rien, n’est totalement déterminé, même l’oracle le plus fiable, même la détermination la plus cachère dans l’ordre du récit biblique, a besoin d’être lue par l’homme. Il existe une intervention humaine, qui peut être définie comme le constant partenariat entre l’homme et Dieu. L’être humain est encouragé à s’inventer un avenir, à y participer pour changer le futur. Ces éléments du vêtement du Cohen Gadol, qui portent le nom de lumière et de pureté, ont la même racine que le mot tamim, si central dans notre paracha. A travers leur consultation, elles nous convient à chercher un éclairage sur notre avenir tout en conservant notre « témimoute », c’est-à-dire notre pureté et notre capacité à être intègre « Tamim tihyé im Hachem Elohekha ».

En hébreux moderne, le mot tamim signifie naïf, et ce verset semble nous inviter à une certaine naïveté nécessaire dans notre rapport a l’univers, et à la prédestination pour que nous prenions toujours conscience que chacune de nos actions peut changer le monde. La paracha Choftim en ce sens, est une assignation à refuser le pré-écrit, et à nous inscrire dans une existence dans laquelle tout est possible. 

Chabbat chalom

Réeh 5772 (par Romain Nouchi)


Ce chabbat nous lisons la paracha Reeh. 
Elle commence au 26ième chap. du 5ième  livre de Moïse. Conforme au mode de transmission du Deutéronome, Moïse nous livre ses derniers discours. Une fois en terre de Canaan les bné Israel devront détruire les idoles présentes et ne pas en faire de même pour Dieu. De ces versets nos sages en déduisent le devoir de Gueniza qui consiste à enterrer tous supports rendu inutilisable et non conforme comportant l’un des 7 noms Divin qu’on ne peut effacer. Moïse nous rappelle également les règles de la cacherout l’une des caractéristiques spécifiques au judaïsme. La tsedaka, acte de justice. Enfin il mentionne Pessah et l’élimination du hametz ainsi que le commandement de manger de la matsa. Mais le thème qui a retenu mon attention dans cette paracha est un thème qui m’est cher car difficile a appréhender et ô combien délicat car il traite de la foi.

L'ensemble du 5ième livre de la Torah est sillonné par une théologie qui lui est propre la théologie deutéronomiste. De manière assez schématique l’histoire des hebreux nous est contée à la lumière d’une logique manichéenne qui voudrait que la bonne conduite entraîne la prospérité tandis que la mauvaise conduite amène le malheur. Bénédiction et malédiction.

Immédiatement ce système de réflexion se trouve confronté à ses limites et à un paradoxe. Une sorte de décalage se crée entre ce que je fais et ce qui m’arrive. Pourquoi des justes souffrent-ils "tsadik vera lo" et pourquoi des méchants prospèrent-ils « racha vetov lo » ? Les rabbins mais aussi toutes les religions se sont posé cette question et continuent de se la poser.

Une Michna rend cette vision plus explicite. Dans le traité Kedouchin p. 39b il nous est conté l’histoire d’un enfant qui sur la demande de son père grimpe à un arbre afin de séparer d’un nid d’oiseau la mère avant prendre les oeufs (cette mitsva se trouve au  chapitre 22 de Devarim elle est de l'ordre des mitsvot que l’on nomme houkim c'est-à-dire sans explication). Dans cette Michna l’enfant accomplit deux commandements dont la Torah nous dit qu’ils allongent la vie : séparer la mère des oisillons et honorer ses parents. Mais l’enfant tombe et se tue. Voici une fin déconcertante  tout autant que celle de Rabbi Akiva l’un de nos plus grands maitres : il mourut brûlé vif dans un Sefer Torah.  Nous savons que le midrach ne se soucie pas des anachronismes aussi sur cette fin tragique Moïse questionne Dieu « Maitre du monde est-ce là la Torah et est-ce là son salaire » ? Il dit : "Tais-toi". C’est ce qui m’est venu à l’esprit. »

Plusieurs milliers d’années plus tard nous ne comprenons toujours pas ni le sens de ces morts pour le moins étranges ni la réaction de Dieu pour le moins irrecevable. Mais Dieu pense-t-Il comme nous ? A priori l’être humain a tendance à se rapporter aux phénomènes qu’il saisit par le moyen de ses sens. S’il utilise cette démarche dans son rapport à Dieu c’est qu’il sert le produit de son imagination. Il se peut que l’être humain serve ce que Maïmonide appelle "un substitut de Dieu" ("zoulat Hachem"), et qu’il n’en soit pas conscient car la tendance de l’être humain est d’adjoindre à Dieu divers attributs et fonctions. En vérité cette fonction se réfère à ce que l’être humain espère recevoir de Dieu. Ainsi la croyance qui se fonde sur l’espoir d’une rétribution et sur la crainte d’un châtiment peut être du point de vue subjectif très sincère et par ailleurs elle est reconnue comme légitime dans la tradition juive. Pourtant si l’on pousse la réflexion plus avant on comprendra que cette croyance n’exprime tout compte fait que le souci de l’être humain pour lui-même. Il nous faut donc trouver d’autres grilles de lecture et comme nous ne pouvons supposer que Dieu est injuste et que nous ne voyons pas ici bas l’immanence de cette justice on est contraint de trouver des explications des systèmes de logique et aller dans le sens d’une véritable justice qui nous attendrait dans le monde futur. En prenant bien en compte que la définition du monde futur reste à établir. Est-ce la vie après la mort physique ou est-ce la vie de l’Homme une fois qu’il s’accomplit entièrement en tant que tel dans le service de Dieu.

Notre paracha commence ainsi : "Vois Je mets aujourd'hui devant vous bénédiction et malédiction" la bénédiction si vous écoutez les commandements du Seigneur votre Dieu que je vous prescris aujourd'hui et la malédiction si vous n’écoutez pas les commandements du Seigneur votre Dieu. La traduction du rabbinat qui a le mérite d’exister commet parfois d’infimes erreurs qui donnent lieu à des contresens. Ce verset en pâti. Pour la malédiction il est dit « im lo tichmeou el mitsvot Achem ». Im est traduit par si ce qui est exact alors que pour la bénédiction il est dit « acher tichmeou el mitsvot Achem » dont la traduction exacte est que/quand vous obéirez aux commandements. Cela change beaucoup. Nous ne sommes plus dans la pratique intéressée mais dans le service désintéressé. Un judaïsme adulte détaché de l'image de la carotte et du bâton.

Dans cette optique la bénédiction devient le fait de choisir d’accomplir les commandements. Les pirké avot nous disent "la rétribution de la mitsva c’est la mitsva et celle de la transgression est la transgression" l’une et l’autre s’entrainent elles-mêmes. Rabbi Bena’a dit "la loi est un élixir de vie pour quiconque  la pratique de manière désintéressée et est un poison mortel pour quiconque la pratique de manière intéressée". Autrement dit le rapport à la foi comme moyen renferme de très nombreux dangers étant donné que la différence qui sépare cette croyance de l’idolâtrie est infime. A cet égard il convient de rappeler que lors du vidouy de kippour dans la longue liste des fautes est comptée celle du commandement accomplit mais pas au nom du ciel. Bien que la foi désintéressée constitue la finalité on a l’habitude de citer très souvent un dire qui apparait par 3 fois dans le Talmud "l’humain doit toujours accomplir la loi et les commandements même de manière intéressée car à partir de là il en viendra au désintéressement". Ce point de vue est assurément pédagogique, peut-être même la pédagogie par excellence.

Ces deux conceptions de la foi sont donc connues de la tradition juive.  Elles sont déjà présentes dans le 1er document de l’accomplissement des commandements le Chema. Dans le 1er chap. il y est question d’aimer Dieu  de tout son cœur de toute son âme et de tout son pouvoir.  Service désintéressé ainsi que dans la 1ere partie du 1er commandement du Décalogue : "Je suis l’Eternel ton Dieu". Dans le 2ième chapitre du shema il est dit "si vous écoutez mes commandements J’arroserai votre terre de pluie en son temps et prenez garde à vous de ne pas succomber a la séduction d'autres dieux car Ma colère s’enflammerait contre vous". Service intéressé. Ainsi que dans la 2ième partie du 1er commandement du Décalogue « Qui vous ai fait sortir d’Egypte de la maison de servitude. »


N’attendons aucune preuve qui nous ferait opter pour l’une ou l’autre croyance les deux font partie de notre tradition et nous vivons et ressentons d’avantage l’une ou l’autre à différents moments de nos vies. Si Dieu a un dessein, un plan, il nous faut accepter que de nombreux points restent inaccessibles. Le fait d’être libre de choisir entre bénédiction et malédiction nous place devant nos responsabilités parfois lourdes et pesantes et consentir qu’il y a des choses qui nous dépassent et que nous ne contrôlons pas nous décharge un peu de ces responsabilités. Dans un environnement ou le rendement et les résultats immédiats régissent nos sociétés, observer les commandements sans en attendre quelque rétribution que ce soit place l’acte au dessus de tout. Faire pour faire par choix pour la grandeur du geste gratuit et désintéressé. Faire parce que nous sommes juifs et libres de l’être ce n’est ni une prison ni un carcan mais le terreau de nos racines. 

Ekev 5772


Chers amis,

Comme j’ai l’occasion de le dire chaque année, la paracha Ekev est importante pour moi. Il y a 22 ans, jour pour jour, je faisais ma bar mitsva.

Habituellement je ne fais pas grand cas des anniversaires, mais disons que c’est la force des rites de passage que de nous donner des souvenirs forts sur lesquels on revient périodiquement, en l’occurrence tous les ans, et de plus la spécificité de ce rite dans le judaïsme fait qu’on a un rapport étroit avec un texte en particulier, sur lequel on peut revenir et réinterroger régulièrement. Je ne sais plus si j’ai eu l’occasion de le dire ici, l’essentiel de ce que j’ai retenu du discours du rabbin lors de ma bar mitsva tient en ceci : « il faut mettre les Téfilines, c’est très important, c’est indispensable, tous les jours, avant d’aller à l’école etc. » Je ne me souviens pas s’il a expliqué pourquoi c’était important, et je ne sais pas non plus si c’est un message qu’il délivrait à chaque jeune garçon ou bien s’il insistait sur cela parce que la paracha en parle. Je me souviens juste qu’au bout de tous ses arguments, il m’a dit que je devais impérativement mettre les Téfilines avant d’aller à la piscine, car sinon je risquais de me noyer.

Pour nous adultes, cette petite phrase peut prêter à sourire. Elle peut même servir de point de départ à un certain nombre de réflexions : sur l’impréparation et le manque d’adaptation des rabbins d’Afrique du Nord face à la réalité sociale et intellectuelle de la France métropolitaine, sur les avantages et les inconvénients de ce que l’on appelle en hébreu « émouna pchouta » => la foi du charbonnier, sur les difficultés d’interprétation des textes du Deutéronome, parce que, vous l’aurez reconnu, c’est ce que dit plus ou moins la paracha, etc. Mais cela, c’est pour les adultes, qui ont fait des études, et qui ont acquis une certaine manière de réfléchir. Je crois qu’on mesure mal l’effet que peuvent avoir ces paroles, dites avec le plus grand sérieux, par une personne faisant autorité morale, sur un jeune garçon influençable. J’avais l’impression qu’être juif était une malédiction, et que je devais impérativement mettre les Téfilines tous les matins si je ne voulais pas risquer ma vie dans une catastrophe.

Ce n’est que plus tard, quand j’ai lu le Deutéronome, que j’ai compris que ce rabbin, auquel je n’en veux pas du tout, était « coincé » par la théologie deutéronomiste de la rétribution et du châtiment (« sakhar ve’onesh »), et la répétait sans réaliser son aspect problématique et les difficultés qui en découlent.

La théologie deutéronomiste pose problème, comme toutes les théologies. Les rabbins du Midrach en sont conscients :
דברים פרק ז פסוק יב
והיה עקב תשמעון את המשפטים האלה ושמרתם ועשיתם אתם ושמר יקוק אלהיך לך את הברית ואת החסד אשר נשבע לאבתיך:  
« Pour prix de votre obéissance à ces lois et de votre fidélité à les accomplir, l'Éternel, votre Dieu, sera fidèle aussi au pacte de bienveillance qu'il a juré à vos pères. / Il conservera l’alliance et la générosité promise à tes pères. »
דברים רבה (וילנא) פרשה ג
ד [...] כך כל מה שישראל אוכלים בעולם הזה בכח היסורים שהן באין עליהם אבל שכרן צרור ומשומר לעתיד לבא שנא' ושמר ה' אלהיך לך וגו', [...]

Midrach sur « vechamar » => dans le monde futur. Le monde futur, ce monde parallèle qui n’existe pas dans la Torah écrite est développé par la Torah orale pas par envie particulière ou comme croyance véritable, mais comme une nécessité pour répondre à l’exigence de justice qui fait tellement défaut dans la création. Le « contrat » entre Dieu et l’Homme dans le Deutéronome se joue sur la double sémantique du verbe « chamor » : observer/pratiquer et garder/préserver/sauvegarder.

Voilà, brièvement, pour la théologie deutéronomiste.

Mais ça, c’est un message que peuvent recevoir ceux qui ont les moyens d’étudier, ceux à qui on transmet non seulement les textes de la Torah mais aussi les enseignements rabbiniques. Le problème vient quand ces textes sont pris au sens littéral, et lorsque par ignorance on reçoit, pratique et transmet une religion populaire qui tient plus de la superstition que de la réflexion. Pour en revenir aux Téfilines, je me souviens que dans le foyer d’étudiants juifs dans lequel j’habitais pendant mes études à Paris, nous avions beaucoup de mal à réunir un minyan quotidien le matin, sauf pendant les périodes d’examen, où tout-à-coup il devenait très important de mettre les Téfilines.

La question centrale est donc celle de la transmission de ces textes, et de la place des enseignements rabbiniques dans le cursus d’éducation des enfants au Talmud Torah.

Le Deutéronome fait partie de la Torah écrite, et par ce fait sa lecture est insérée dans la liturgie hebdomadaire, alors que malheureusement il y a très peu d’occasions d’étudier le Talmud et le Midrach, qui ne se « lisent » pas de la même façon qu’on lit un livre ou une œuvre littéraire.

Le Talmud trouve prétexte d’un verset du Deutéronome pour expliquer comment doit être faite la transmission orale, de maître à élève :
דברים פרק ה
(כז) ואתה פה עמד עמדי ואדברה אליך את כל המצוה והחקים והמשפטים אשר תלמדם ועשו בארץ אשר אנכי נתן להם לרשתה:
תלמוד בבלי מסכת מגילה דף כא עמוד א
גמרא. תנא: מה שאין כן בתורה. מנהני מילי? אמר רבי אבהו: דאמר קרא +דברים ה'+ ואתה פה עמד עמדי, ואמר רבי אבהו: אלמלא מקרא כתוב אי אפשר לאומרו, כביכול אף הקדוש ברוך הוא בעמידה. ואמר רבי אבהו: מנין לרב שלא ישב על גבי מטה וישנה לתלמידו על גבי קרקע - שנאמר ואתה פה עמד עמדי. תנו רבנן: מימות משה ועד רבן גמליאל לא היו למדין תורה אלא מעומד, משמת רבן גמליאל ירד חולי לעולם והיו למדין תורה מיושב. והיינו דתנן: משמת רבן גמליאל בטל כבוד תורה.

A l’origine, le maître et l’élève étaient debouts => au même niveau !

C’est la raison pour laquelle tous les cours de TT ne remplaceront pas un rapport entre maître et élève, un vrai maître qui aidera l’élève à lire les textes avec la distance adéquate, et à les interroger, à dialoguer avec eux sans risquer de se « brûler » à leur contact.

Personnellement, heureusement pour moi j’ai eu la chance de croiser d’autres maîtres après ma bar mitsva, mais je continue à me poser la question du but des mitsvot à chaque fois que je prépare un élève à la bar mitsva et que je lui enseigne à mettre les Téfilines.

En général, je dis à mes élèves que la pratique des mitsvot n’a pas de valeur en soi si elle n’est accompagnée d’une réflexion sur l’action, l’éducation et la transmission. C’est en tout cas ce que je comprends du texte du deuxième paragraphe du chéma :
דברים פרק יא
(יח) ושמתם את דברי אלה על לבבכם ועל נפשכם וקשרתם אתם לאות על ידכם והיו לטוטפת בין עיניכם:
(יט) ולמדתם אתם את בניכם לדבר בם בשבתך בביתך ובלכתך בדרך ובשכבך ובקומך:
Deutéronome 11, 18-19 : « Imprimez donc mes paroles dans votre cœur et dans votre pensée; attachez-les, comme symbole, sur votre bras, et portez-les en fronteau entre vos yeux. 19 Enseignez-les à vos enfants en les répétant sans cesse, quand tu seras à la maison ou en voyage, soit que tu te couches, soit que tu te lèves. »

Chabbat chalom