Bechalah 5773


Chers amis,

Il y a deux semaines j’ai fait quelque chose que je fais rarement (à tort) j’ai acheté un hebdomadaire de la presse juive francophone et je l’ai lu. Pour différentes raisons (le nombrilisme, la partialité, la mauvaise foi, la politisation univoque etc.) je lis très rarement la presse juive, n’écoute pas la radio communautaire (même celle sur laquelle j’interviens !) et ne visite pas les sites internet dédiés à l’information communautaire ou israélienne. Mais cette fois j’avais été attiré par le dossier spécial, consacré aux intellectuels juifs de France, ainsi que par l’envie de me tenir au courant de l’actualité de la communauté.

Arrivé à un certain point, j’ai été intrigué par le grand nombre de publicités d’une association caritative très connue qui réalise de belles actions auprès d’une population défavorisée. Ces publicités parlaient de « parachat haman ». Intrigué car malgré mes longues années d’études, je n’avais jamais entendu cette expression. Je ne vous cache pas que j’ai d’abord cru que c’était en lien avec Pourim : Haman. En creusant un peu j’ai vu que c’était en fait de la manne qu’il s’agissait, et ce qu’ils appellent « parachat Haman » se trouve vers la fin de la paracha de cette semaine, Bechalah. C’est tout simplement le passage dans lequel les Bené Israël reçoivent pour la première fois la manne dans le désert. Et alors ? Pourquoi en faire de la pub et un big deal, comme si c’était un grand évènement ?

Il se trouve qu’un passage du célèbre code du 16° siècle, le Choulhan Aroukh, dit, en citant le Talmud de Jérusalem :

שולחן ערוך אורח חיים סימן א

סעיף ה
טוב לומר (יג) <ד> פ' ז העקדה (בראשית כב, א - יט) ופ' המן ועשרת הדברות * ופ' ח עולה (ויקרא א, א - ז) ומנחה (ויקרא ב, א - יג) (יד) [י] ושלמים (ויקרא ג, א - יז) (טו) וחטאת (ויקרא ד, א) ואשם. הגה: <ה> ודוקא ביחיד מותר לומר עשרת הדברות בכל יום, אבל אסור לאומרם (טז) ט [יא] בצבור (תשובת הרשב"א סי' קפ"ד).
משנה ברורה סימן א ס"ק יג

ופרשת המן כדי שיאמין שכל מזונותיו באין בהשגחה פרטית וכדכתיב המרבה לא העדיף והממעיט לא החסיר להורות שאין ריבוי ההשתדלות מועיל מאומה ואיתא בירושלמי ברכות כל האומר פרשת המן מובטח לו שלא יתמעטו מזונותיו


Reprenant cela, un maitre hassidique du 18°, le rabbi de Rimanov (ville de Galicie, dans le Sud-Est de la Pologne), affirme que « le jour propice pour réclamer de la parnassa est le mardi de la paracha Bechalah » pourquoi le mardi ? Pour des raisons secrètes et cabbalistiques que lui seul connaissait. Donc ce que vous devez faire pour avoir une bonne parnassa pendant l’année, c’est lire avec ferveur la fin de la paracha Bechalah le mardi, deux fois en hébreu et une fois en araméen, comme le veut une halakha ancienne.

Puis assez vite on arrive au but avoué de la brochure : lire la paracha tout seul, chez soi à la maison, c’est bien. Mais demander à un tsaddik, un sage qui connaît de nombreux secrets de Kabbale et qui jouit d’un accès direct au créateur, c’est mieux. Demander à un tsaddik de le lire dans un « lieu saint », c’est encore mieux (cela met plus de chance de votre côté pour que la prière soit entendue).

Alors pour vous rendre service, cette association caritative vous propose d’organiser cela pour vous, avec plusieurs forfaits :
  • Sur 4 lieux saints d’Israël (le Kotel évidemment, puis les tombes de Rabbi Chimon bar Yohaï, Rabbi Meïr Baal Haness et Rabbi Yéhouda Bar Ilaï) = 26€
  • Sur la tombe même du Rabbi de Rimanov = 52€
  • Il y a encore des autres forfaits plus « personnalisés »

Mon premier réflexe est d’analyser le discours (défaut professionnel), mais je vais essayer de le faire sans mépris ni condescendance.

La brochure au centre du journal insiste sur le fait que ce n’est pas « un bon conseil » ou « une bonne chose à faire », mais une promesse. Autrement dit cela se réalisera de façon certaine, absolue et définitive. A ce stade de la lecture, je n’ai pas pu m’empêcher de me dire que c’était bien dommage que cette segoula, ce truc infaillible n’ait pas été révélé plus tôt dans l’histoire, car on aurait pu empêcher quelques millions de morts de faim à cause des sécheresses, des disettes, des épidémies, des mauvaises récoltes… et évidemment à cause des guerres.

Je n’ai absolument aucun doute sur l’honnêteté et la probité des organisateurs, et je suis sûr que les sommes récoltés sont employées pour la Tsedaka. Mais en plus de la question théologique, se pose une question de logique : pourquoi demander aux riches de payer afin de devenir plus riches, alors qu’il suffirait de prier directement (gratuitement) pour les pauvres ?

Enfin, un étonnement : dans une seule et même édition, un dossier sur les intellectuels juifs de France, et… un message de foi du charbonnier, « emouna pchouta ».

Ce texte naïf serait anecdotique, serait lu comme l’expression d’une foi populaire un peu surannée s’il n’était pas « couvert » par des grandes personnalités érudites. Le problème c’est justement que des rabbins, des sages, des érudits, de grands maîtres acceptent de participer à cela, et contribuent à mettre en avant une conception archaïque et superstitieuse de la foi et de la pratique du judaïsme.

Quel intérêt ont-ils ?
  • Ils y croient vraiment, et dans ce cas c’est inquiétant : que vont-ils dire aux gens qui meurent de faim bien que leur nom ait été lu ?
  • Ils laissent utiliser leur image par naïveté et se font abuser.
  • Ils le font par intérêt. A priori, c’est inimaginable de la part de rabbins. Et pourtant ! Même de rabbins, on peut s’attendre à tout, car les études et les diplômes n’ont jamais préservé personne de comportements inadaptés.

Je fais référence particulièrement à la dernière campagne législative israélienne dans laquelle, comme toutes les autres campagnes malheureusement, apparaît au grand jour ce que nous, dans notre mentalité de juifs français, parvenons à peine à réaliser. Même les partis politiques religieux, avec à leur tête des rabbins (=> des gens qui ont pris sur eux d’éduquer, guider le peuple juif et de lui servir de référent dans la pratique des mitsvot et l’étude de la sagesse transmise par nos ancêtres), même des rabbins peuvent se livrer à ce que la politique a de plus bas, dégoûtant et obscène. Violences verbales, anathèmes, dénonciations calomnieuses, publicités caricaturales, spots TV indécents… et je ne parle que de ce qui se voit et qui était étalé sur la place publique, pas des financements de campagne, des détournements de fonds publics etc.

Attention ! Je ne suis pas en train de dire que tous les rabbins sont corrompus ! Je dis simplement que le comportement de quelques-uns rejaillit sur la majorité, et qu’à cause de cela, irrémédiablement, le soupçon plane chaque fois qu’un rabbin accède à un poste public, qui plus est lié à de l’argent.

Pour en revenir à mon journal, j’en étais à ce point de mes réflexions lorsque de manière presque automatique, comme un réflexe, j’allais jeter la brochure à la poubelle pour continuer à lire mon journal.
Mais je me suis souvenu qu’on était chabbat. Même si on a évidemment le droit de jeter un journal à la poubelle à chabbat, il y a une règle, une halakha, un interdit qui fait partie des 39 travaux originels dont tous les autres interdits dérivent : Borer. « haborer psolet mitokh okhel » : chabbat, lorsque nous avons devant nous une assiette avec des produits comestibles et d’autres qui le sont moins, ou pas à notre goût, il est interdit de jeter ce qui ne nous convient pas, car ce serait « trier ». Il faut s’astreindre à manger ce que vous voulez/pouvez, et laisser le reste dans l’assiette.

Pourquoi est-ce que j’ai pensé à cela alors que cela n’a apparemment aucun rapport ? Peut-être parce que tout ce qui a trait à Chabbat renvoie à un futur fantasmé, idéalisé : ‘olam haba. Dans cet avenir, et chabbat nous en donne un « avant-goût », on se gardera de jeter négligemment tout ce qui ne nous convient pas dans l’instant. On se contentera de prendre ce qui nous convient, sans rejeter, éloigner, mépriser. En laissant une possibilité de retour. De techouva. Et quand je parle de Techouva, je ne parle pas nécessairement de repentir. Je ne suis pas en train de dire qu’un jour les auteurs de cette brochure comprendront leur erreur et admettront qu’ils ont eu tort. Je parle de mon retour. La possibilité que j’ai de regarder les choses une deuxième fois, d’y revenir, d’y réfléchir, et de les considérer à nouveau.

Car peut-être que la lecture du passage de la manne dans la paracha de cette semaine peut nous rendre riche : en nous aidant à réaliser, dans les moments d’angoisse, de panique, de désespoir, que la solution est peut-être devant nous, au pied de la tente, qu’elle était « envoyée » sans que nous l’ayons vue, faute d’avoir regardé.

Dans la paracha Bechalah, le début est tellement spectaculaire qu’il éclipse la fin. La sortie d’Egypte, la traversée de la mer à pieds secs, la mort de l’armée égyptienne, fait de l’ombre aux débuts difficiles de l’errance dans le désert. Et pourtant les miracles relatés (autour des sources d’eau et de la nourriture) ne sont pas moins étonnants et remarquables. Mais pour marquer les esprits, ils ont un handicap : leur permanence, leur durée. C’est une règle que tous les spécialistes en communication connaissent : plus un évènement est unique, exclusif, inédit, plus il est populaire. S’il se répète, il risque de « lasser le public », et on en parlera moins. La manne qui tombe dans le désert est un « scoop » incroyable… la première semaine, le premier chabbat. Après, on s’habitue.

Et pourtant, lorsque les rabbins du Talmud veulent expliquer à quel point Dieu fait de gros efforts pour arranger et organiser les étapes les plus anodines de la vie d’un homme, comme son travail (parnassa) ou son mariage, ils emploient l’expression « kaché (lo) kekri’at yam souf » => aussi dur que la déchirure de la mer.
Ce qu’ils essaient de nous transmettre est tout simplement ce que tous les organisateurs d’évènements ou tous les responsables de communauté savent : plus les choses paraissent lisses, naturelles, évidentes, plus l’effort fournit en amont est grand. Plus l’ingratitude des intéressés est facile (les bené Israël qui se plaignent dans le désert). Mais comme pour le désert, ce qui compte n’est pas la popularité de Moché et Aaron, ou de Dieu lui-même. L’important c’est le sentiment de travailler pour l’avenir, et d’être les bâtisseurs d’un projet qui traversera l’Histoire.

Chabbat chalom

Vaéra 5773 (par Joanna Kubar)


Shabbat Shalom
Au début de la parasha de ce Shabbat - « Vaera », car le récit commence par le rappel par Dieu à Moshé, qu’il est apparu, va-era, à ses ancêtres Abraham, Isaac et Jacob - Dieu fait la promesse à Moshé d’adopter le peuple d’Israël et de le délivrer de l’esclavage : « je vous affranchirai avec un bras étendu, à l’aide de châtiments terribles. »
Voici le récit des sept premières plaies:
1) Sur l’ordre de Dieu, Moshé et Aaron demandent à Pharaon de renvoyer le peuple d’Israël pour qu’il puisse adorer son Dieu. Le pharaon n’obéit pas.
Dieu ordonne à Moshé et Aaron d’aller trouver le Pharaon le matin quand il se dirige vers le fleuve, et de changer les eaux en sang (première plaie).
2) Sur l’ordre de Dieu, Moshé et Aaron demandent à Pharaon de renvoyer le peuple d’Israël pour qu’il puise adorer son Dieu. Le pharaon n’obéit pas.
Dieu ordonne à Moshé et Aaron d’aller trouver le Pharaon et de faire monter du fleuve les grenouilles qui envahissent tout le pays (deuxième plaie).
3) Sans un nouvel avertissement, Dieu ordonne à Moshé et Aaron de transformer la poussière en vermine (troisième plaie). Le Pharaon refuse d’obéir.
4) Dieu ordonne à Moshé et Aaron d’aller trouver le Pharaon le matin quand il se dirige vers le fleuve et demander de renvoyer le peuple d’Israël pour qu’il puise adorer son Dieu. Le pharaon n’obéit pas. Dieu envoie les bêtes sauvages qui détruisent tout, sauf le pays de Goshen (quatrième plaie).
5) Dieu ordonne à Moshé et Aaron d’aller trouver le Pharaon et demander de renvoyer le peuple d’Israël pour qu’il puise adorer son Dieu. Le pharaon n’obéit pas. Dieu fait périr tout le bétail des Egyptiens mais pas le bétail du peuple d’Israël (cinquième plaie).
6) Sans un nouvel avertissement, Dieu ordonne à Moshé et Aaron de lancer la cendre vers le ciel et la transforme en éruption d’ulcères (sixième plaie). Le Pharaon refuse d’obéir.
7) Dieu ordonne à Moshé et Aaron d’aller trouver le Pharaon le matin quand il se dirige vers le fleuve et demander de renvoyer le peuple d’Israël pour qu’il puisse adorer son Dieu. Le Pharaon n’obéit pas. Dieu fait pleuvoir une grêle intense qui détruit tout, sauf le pays de Goshen. C’est la  septième plaie et c’est la fin du récit pour cette semaine.

Dans ma drasha il y a deux ans je me suis interrogée sur le comportement du Pharaon. Au sujet de ses refus répétitifs j’ai émis des hypothèses inspirées par les recherches en neurosciences. Egalement j’ai posé la question que tout le monde se pose d’habitude : pourquoi Dieu qui est tout puissant impose les plaies à l’Egypte au lieu de libérer les hébreux simplement et sans souffrances. En réponse j’ai cité le commentaire d’Etz Haim, (une publication du mouvement Masorti): Dieu veut que le Pharaon, l’Egypte, et les nations, le reconnaissent en tant que Dieu unique mais ce n’est pas pour faire briller sa réputation. C’est pour démontrer et établir le principe qu’il est inacceptable qu’un être humain réduise un autre être humain à l’esclavage. C’est pour prouver que la liberté c’est la volonté de Dieu et non un bon vouloir ou un choix d’un tyran.
Je répète ici ce commentaire car je crois qu’il est d’importance capitale, mais je ne m’y arrête pas.

Aujourd’hui je souhaite m’interroger sur le comportement de Moshé et Aaron qui, contrairement au comportement du Pharaon, n’est pas souvent analysé. Au delà d’une structure littéraire élaborée, nous voyons leur comportement répétitif : Moshé et Aaron adressent une demande au Pharaon. Le Pharaon refuse d’accéder à leur demande. Ce refus est suivi d’une punition sans effet. Moshé et Aaron adressent de nouveau leur demande au Pharaon. Ils se heurtent à un nouveau refus. Ce nouveau refus est suivi d’une nouvelle punition qui reste toujours sans effet. Et caetera. 9 fois !

Le comportement de Moshé et Aaron est le plus souvent considéré comme allant de soi. Ils persévèrent. Ils ne se découragent pas. Ils persistent. Ils tiennent bon. Ils n’abandonnent pas. Ils ne capitulent pas. Ils sont exemplaires ! C’est vrai qu’ils ont Dieu avec eux. Mais oublions un instant l’aide divine car dans nos vies elle n’est pas explicite ; pour nous la protection et l’aide divine ne sont pas, souvent, faciles à percevoir.

Dans notre vie réelle nous devons parfois faire face à un échec et parfois cet échec devient répétitif. Nous n’avons pas l’accès direct à l’opinion divine. Face aux revers successifs, nous nous posons des questions. Nous devons nous les poser, pour en sortir.
Tout d’abord il est parfois difficile d’établir que notre but soit valable ou que notre demande soit légitime et d’en être sûr.
Et même quand nous sommes raisonnablement persuadés du bien fondé de notre objectif, ou de notre requête ou de notre désir, il est parfois difficile de reconnaître qu’ils sont impossibles à satisfaire. Que les forces en présence, humaines ou naturelles, soient en notre défaveur. Il est parfois difficile de ne pas confondre persévérer et s’entêter ; persister et se battre contre les moulins à vents ; continuer et traîner sur place. Ainsi persévérer peut conduire parfois à s’enfoncer dans l’échec.
Persister ou abandonner ? Continuer ou arrêter ? De telles interrogations surviennent dans les circonstances les plus diverses, dans les relations individuelles - dans la famille, parmi les amis, et dans les interactions collectives - administratives, commerciales, politiques, nationales et internationales, …
En conclusion, contrairement à Moshé et à Aaron conduits par la parole directe de Dieu, nous-mêmes, nous ne pouvons compter que sur ses indices indirects, discrets et incertains. Ainsi nous restons avec les questions, c’est souvent difficile mais c’est bien ainsi.
En conclusion, nous sommes guidés par notre expérience, nos conversations, nos lectures et notre tradition. Mais seulement guidés. Dans la vie les interrogations, le recul, le doute sont nécessaires et salutaires.


Shabbat Shalom

Chemot 5773 : Masculin et Féminin dans le narratif


Chers amis,

Par hasard, en même temps que nous commençons une nouvelle année civile nous commençons un nouveau livre, le livre de l'Exode, Chemot. Ce livre est placé sous le signe de la souffrance de l'exil en Egypte, puis la délivrance de l'esclavage et le don de la Torah.

Dans notre paracha de cette semaine, qui marque le début de ce livre, nous assistons à l'installation des Bené Israël en Egypte, au début de l'esclavage et de la persécution, et à la naissance et aux premières années de la vie du personnage central qui nous accompagnera jusqu'à la fin de la Tora, Moché.

Le texte que nous lisons ce Chabbat est évidemment extrêmement riche, et peut s'aborder de différentes manières. Une des façons de l'aborder, de le commenter, est d'analyser le conflit, la tension entre masculin et féminin.

Les enfants de Jacob, Bené Israel qui viennent s'installer en Egypte sont au nombre de 70, mais ne cherchez pas 70 noms dans le texte, il n'y a que les noms importants : ceux des hommes, les 12 fils de Jacob, les 12 tribus. Plus loin, lorsqu'un nouveau roi accède au pouvoir en Egypte, il décide, afin d'enrayer le développement démographique de ce peuple qui est en train de naître, de tuer systématiquement tous les nouveaux nés garçons. Il décide d'employer pour cela deux femmes, qu'il cherche à utiliser comme des alliées, pour mettre en œuvre son plan. Plus tard, après le refus de ces deux sages-femmes, il devra donner ordre à tout son peuple de persécuter les hébreux. Cependant, c'est une femme, la propre fille de Pharaon, qui va jouer un rôle déterminant en sauvant le bébé Moïse des eaux du fleuve.

Les femmes, dans le livre de l'Exode comme la plupart du temps dans le reste de la Bible, ont un rôle décisif dans l'action, mais ce rôle n'est pas au premier plan. Dans le livre de Chemot les hommes décident, donnent des ordres, agissent, se battent, les femmes au contraire sauvent, donnent naissance, soignent, allaitent, protègent, etc. Comme si, comme le disent les lecteurs féministes contemporains, la Torah se faisait l'écho des préjugés de la société patriarcale de laquelle elle est issue, en décrivant deux positions antagonistes, un conflit frontal entre le féminin, doux, calme, protecteur, représenté et symbolisé par l'élément liquide, le fleuve, et l'élément masculin, fort, autoritaire et violent, représenté et symbolisé par le feu.

De plus, les personnages en opposition représentent leur peuple.

Pharaon, un homme, représente l'Egypte, et pour Israël on ne les entend que par la voix de ces deux femmes, deux résistantes certes, mais on se pose la question "où sont les hommes?" Pourquoi ne se sont-ils pas défendus? Pourquoi se laissent-ils faire en silence, sans rien dire, sans se révolter? Pourquoi se laissent-ils représenter par ces deux femmes?

Le midrach, dont le génie consiste à "sentir" le texte et en accentuer les tendances, donne cette histoire de la naissance de Moche : "vayikah ich mibeit levy …"
רש"י שמות פרק ב פסוק א

(א) ויקח את בת לוי - פרוש היה ממנה מפני גזירת פרעה (וחזר ולקחה. וזהו וילך, שהלך בעצת בתו שאמרה לו גזרתך קשה משל פרעה, אם פרעה גזר על הזכרים, ואתה ג"כ על הנקבות). והחזירה ועשה בה לקוחין שניים. ואף היא נהפכה להיות נערה. ובת מאה שלושים שנה היתה שנולדה בבואה למצרים בין החומות, ומאתים ועשר שנה נשתהו שם, וכשיצאו היה משה בן שמונים שנה. אם כן כשנתעברה ממנו היתה בת מאה שלושים וקורא אותה בת לוי:

Rôle central des femmes : Miriam, Yokheved, qui sont, d'après le midrach, les sages-femmes.

Si nous récapitulons : Egypte = homme et Israël = femme. Couple dominateur/dominé. Agresseur/agressé. Violent/violenté.

Symboliquement, nous sommes donc en présence d'un couple qui a des problèmes. Le peuple égyptien et le peuple hébreu se sont aimés profondément du temps de Joseph, et puis pour telle et telle raison la vie ensemble est devenue impossible. L'homme, l'égyptien, est devenu irascible, violent et tyrannique. La femme, le peuple hébreu, de plus en plus soumise et effacée, battue, maltraitée, une victime.

Il est donc largement temps de divorcer. Une fois le décor planté, toute l'histoire du début du livre de Chemot peut être résumée par l'histoire de ce divorce, un long déchirement, qui va avoir lieu par l'action d'un homme, dont le texte nous raconte l'histoire depuis la naissance, entre autres pour bien nous faire passer le message que c'est un enfant né de cette union entre Israël et l'Egypte : même si ethniquement il est le fils de deux juifs de la tribu de Lévi, culturellement Moïse a été élevé à la cour de Pharaon, il est donc issu d'un mariage mixte. C'est en cherchant dans son parcours que l'on comprendra pourquoi c'est lui et pas un autre qui devait être l'artisan de cette séparation.

Au début le personnage se révèle impulsif et violent : il tue un égyptien et doit partir précipitamment en exil. Il fait lui-même un mariage mixte, puisqu'il rencontre sa femme (autour d'un point d'eau, là encore ce n'est pas innocent) dans le désert de Midian, où il devient berger (et ici aussi la symbolique du pasteur n'est pas un hasard, cf rabbins du midrach).

Mais l'événement décisif, fondateur, qui va donner l'impulsion de sa carrière est la rencontre avec le buisson ardent, cette théophanie personnelle qui va lancer sa carrière de "sauveur et guide du peuple juif". Qu'est ce que ce récit a de si extraordinaire ?

1. vous connaissez ma méthode d'analyse, que je tiens de mes maitres : l'intertextualité. Or ici un élément nous engage a faire le rapprochement avec trois autres textes, trois autres théophanies, trois autres personnages : Dieu appelle Moche en redoublant son nom, et il répond "hineni". Allusion, rapprochement avec Avraham (Aqueda), Yaakov (qui hesite avant de venir en Egypte) et plus tard le prophète Samuel (anecdotique).

2. Dans les autres scènes : ce n'est pas Dieu qui parle mais un ange. Ce n'est pas d'un endroit particulier mais d'une voix qui vient du ciel (bat kol) ou lors d'un rêve. Ce n'est pas au début de la carrière d'un personnage mais a la fin. Ce n'est pas l'annonce d'un événement mais le dénouement d'une tension dramatique qui va permettre la suite.

3. Mais l'épisode du buisson ardent est central dans le sens ou il va annoncer le don de la Torah sur le mont Sinaï, puisque c'est au mont Sinaï (midrach), et il se singularise surtout par le long dialogue entre Moché et Dieu, dans lequel il y a une longue négociation. Sans même rentrer dans le détail, le simple fait qu'il y ait cette négociation montre que Moché est conscient de ce qui se joue et cherche à ce que l'expérience de l'Egypte ne se reproduise pas : "Donc si je comprends bien, Tu vas devenir notre nouveau Pharaon. Tu vas nous permettre de divorcer de lui pour que nous fassions alliance (=mariage) avec toi. Mais qu'est-ce qui me prouve qu'avec Toi ce ne sera pas pire que ce que nous allons quitter? Quels engagements tu prends pour que la femme battue ne le redevienne pas avec quelqu'un d'autre?

Réponse : j'accepte de dialoguer avec toi, et tu ne seras pas mon "envoyé" ou mon "émissaire", mais mon "Elohim", toi et Aaron. = Sur un pied d’égalité avec moi. Je te permettrai de discuter avec Pharaon en face. Je te ferai revenir ici-même pour que tu prennes connaissance du contrat que je te propose, et j'attendrai que tu exprimes ton accord.

Apres un mariage catastrophique, il faut beaucoup de temps pour se reconstruire. Il faut que l'épouse violentée reprenne confiance en elle, de l'estime de soi, et sache exactement comment s'impliquer dans une nouvelle relation.

C'est une thérapie expresse que Dieu propose a Moché avant de partir rejoindre son peuple.

Chabbat chalom