Vaéra (par Joanna Kubar)

La paracha Vaéra est la deuxième paracha du deuxième livre, nommé Chemot qui signifie en hébreu « les noms » ou le livre de l’Exode dans la traduction et tradition chrétienne.

Nous nous souvenons, la semaine dernière, dans la première paracha du livre, Chemot, Moshé a été chargé par Dieu de la tâche de la libération des hébreux de l’esclavage.
Nous nous souvenons la semaine dernière - où était-ce il y a trois mille ans - au terme d’une négociation dans un époustouflant dialogue avec Dieu, Moshé a accepté ce défi de conduire la sortie d’Egypte, qui est devenue le paradigme de toutes les libérations. Moshé a donc accepté cet utopique pari, en réalité une injonction de Dieu, mais à condition (!) d’agir avec son frère Aaron.

Depuis la Genèse nous avons participé aux histoires des familles dysfonctionnelles et aux fratries antagonistes, hostiles, malveillantes : Isaac et Ismaël, Jacob et Essav, Joseph et ses frères, et même fratricide dans le cas de Caïn et Abel. C’est donc la première fois depuis le début du début que deux frères vont se soutenir, coopérer, s’aider, s’encourager, s’épauler, affronter les mêmes difficultés, concourir à une même visée, à une même vision. Et, ultimement, réussir (l’amour fraternel c’est mon premier très bref « message »).

Dieu rappelle donc à Moshé qu’il est apparu, « Vaéra », à ses ancêtres Abraham, Isaac et Jacob et qu’il avait établi une alliance avec eux. Devant Moshé Dieu fait une divine et céleste promesse:

« Donc, parle ainsi aux enfants d’Israël : je suis l’Éternel ! Je veux vous soustraire aux tribulations de l’Égypte, et vous délivrer de sa servitude ; et je vous affranchirai avec un bras étendu, à l’aide de châtiments terribles.
Je vous adopterai pour peuple, je deviendrai votre Dieu ; et vous reconnaîtrez que moi, l’Éternel, je suis votre Dieu, moi qui vous aurai soustraits aux tribulations de l’Égypte.
Puis, je vous introduirai dans la contrée que j’ai solennellement promise à Abraham, à Isaac et à Jacob ; je vous la donnerai comme possession héréditaire, moi l’Éternel. » (Exode 6 :6-8)

Moïse commence sa nouvelle carrière - carrière dans le sens du métier, de la profession et non dans le sens d’une position sociale, ou d’une clinquante dignité, ou d’un titre ronflant - à l’âge de 80 ans ; son frère aîné Aaron a 83 ans.

Rachi utilise leur âge dans le calcul de la durée de l'esclavage, 400 ans. Ovadia Sforno, rabbin italien médiéval, médecin et philosophe, l'un des nos plus importants commentateurs, dit que leurs âges sont cités intentionnellement pour souligner qu’ils ont entrepris la difficile mission malgré leur âge avancé. Ainsi Moshé et Aaron illustrent l’idée qu’« il n’est jamais trop tard » ; c’est une source d’encouragement et d’inspiration (« il n’est jamais trop tard » est mon deuxième message).

La paracha Vaéra traite des sept premières étapes du processus de très dures tractations entre les émissaires de Dieu et le Pharaon, le processus qui aboutira à la libération ; elle raconte donc les sept premières plaies d’Egypte.

Nous avons l’impression de bien connaître cette histoire car nous la racontons chaque année, non seulement lors de la lecture annuelle de la Torah, comme aujourd’hui, mais aussi lors du Seder de Pessah. Ainsi nous redécouvrirons demain les châtiments qui s’abattent sur l’Egypte : le sang, les grenouilles, la vermine ; les bêtes féroces, la peste, les ulcères ; la grêle, et dans une semaine suivront les sauterelles, les ténèbres et enfin la mort de premiers nés. Nous connaissons l’histoire mais je trouve qu’il est parfois difficile de s’y retrouver, car le récit comporte des répétitions. Du point de vue littéraire la narration est construite de la façon suivante : les premières 9 plaies d’Egypte sont racontées par 3 groupes de 3. Dans chaque groupe, les 2 premières sanctions sont précédées par les avertissements que font explicitement Moshé et Aaron alors que la troisième sanction tombe toujours brusquement, sans annonce. Dans la première plaie de chaque série le Pharaon est informé par Moshé dès le matin quand il sort de la rivière ; dans la deuxième plaie de la série Dieu dit à Moshé d’aller trouver le Pharaon chez lui. Cette architecture littéraire symétrique suggère l’idée que les plaies ne sont pas dues aux désastres naturels pris au hasard mais les actes délibérés de la volonté divine. La dixième plaie, extrême, cruciale, finale, a son caractère propre.

Mais pourquoi donc Dieu qui est tout puissant impose les plaies à l’Egypte au lieu de faire en sorte que les hébreux puissent sortir sans souffrances qui semblent inutiles. Tout le monde, ou presque, se pose cette question, à la première lecture du texte, et au delà.

La réponse standard est que Dieu veut que le Pharaon, l’Egypte, et les nations, le reconnaissent en tant que Dieu unique. Mais, le commentaire « Etz Haim », qui est une publication du mouvement Massorti, ajoute : « ce n’est pas pour faire briller sa réputation. C’est pour démontrer et établir le principe qu’il est inacceptable qu’un être humain réduise un autre être humain à l’esclavage. C’est pour prouver que la liberté c’est la volonté de Dieu et non un bon vouloir ou un choix d’un tyran. »

Nous connaissons le moyen utilisé par Dieu dans cette affaire : quand Moshé et Aaron demandent à Pharaon de laisser sortir le peuple, le Pharaon refuse car Dieu endurcit son cœur. Chaque fois c’est, là, l’explication de chaque nouvelle plaie, c’est la première explication qui s’impose à l’esprit, par l’habitude : le Pharaon se comporte de façon dure à l’égard de ses esclaves car il a le cœur dur (ou endurci par Dieu).

Mais il est possible de voir les choses autrement, on peut même les voir d’une perspective exactement opposée : c’est parce qu’il se comporte de cette façon que son cœur s’endurcit.

Erich Fromm commente : «  Le cœur de Pharaon s’endurcit, car il continue à faire le mal. Il durcit à un point où il ne peut plus changer où le repentir n’est plus possible. Plus il refuse de choisir l’équité, plus son cœur devient dur jusqu’au point où il ne lui reste plus aucune liberté de choix. » Autrement dit, Dieu a structuré le cœur de l'homme de telle manière que par son comportement Pharaon s’empêche lui-même de changer.

Les connaissances actuelles sur le fonctionnement du cerveau humain me permettent de proposer des éclairages supplémentaires sur l’attitude du Pharaon. Voici mes trois hypothèses,

- le Pharaon souffre d’une amnésie antérograde, c’est à dire d’un déficit de la mémoire épisodique. Comme dans les pathologies telles que la maladie d’Alzheimer, ou l’alcoolisme, cette amnésie se manifeste par l’oubli des faits récents. Dans cette hypothèse, chaque refus de Pharaon et donc chaque plaie sont vécus par lui comme un événement nouveau.

- le Pharaon souffre d’un déficit des neurones miroirs. Ces neurones miroirs, découverts en 1990 au département de neurosciences de la faculté de médecine de Parme par l'équipe de Giacomo Rizzolatti sont supposés jouer un rôle dans des capacités cognitives liées à la vie sociale, notamment dans l'apprentissage par imitation, mais aussi dans les processus affectifs, tels que l'empathie. Dans cette hypothèse le Pharaon n’est pas capable de ressentir de la compassion, il ne voit tout simplement pas les autres, il n’est pas capable de comprendre le désir d’autrui.

- le Pharaon, par son tempérament ou par l’éducation, agit principalement par l’habitude, c’est quelqu’un dont les circuits neuronaux depuis l’enfance prennent les voies de l’automatisme. Il refuse par routine, son refus est un réflexe.

Quelle que soit l’interprétation, ou l’éclairage, la question posée par cette histoire est celle du libre arbitre humain, c’est la question de notre responsabilité dans nos actes.

C’est une question philosophique, éthique, à laquelle il n’existe pas de réponse sûre, claire ou incontestable et qu’il est cependant indispensable de se poser jour après jour.

Shabbat Shalom et bonne année 2011.                                    

Joanna Kubar

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