Yitro

Chers amis,
Ce chabbat à Maayane Or nous recevons tous les enfants du Talmud Torah, avec leurs parents/familles, tous réunis autour d'un évènement nouveau (nouveau pour cette année), un diner chabbatique qui leur est réservé, un évènement créé pour eux et auquel ils ont été directement associés. Pour certains, ce soir est l'occasion de la première visite à la synagogue pour chabbat… cette année. Pour d'autres, ce soir est littéralement la première visite à la synagogue pour un chabbat.
Par le plus grand des hasards, cette semaine, demain, nous raconterons un évènement très, très lointain, dans lequel nos ancêtres, le peuple d'Israël, se trouvaient tous réunis, hommes, femmes, enfants, vieillards, pour la première fois, dans un endroit qu'ils ne connaissaient pas, au pied d'une montagne, pour un évènement dont ils n'avaient aucune idée. On leur avait demandé de se préparer, soigneusement, pendant trois jours, en se lavant, se purifiant, lavant leurs vêtements, mais rien ni personne n'aurait pu les préparer vraiment à ce qu'ils allaient vivre, ce fameux jour, le jour de la révélation, du don de la Torah, de l'alliance de tout le peuple avec le divin.
Personne n'était vraiment préparé, mais on dit que malgré tout Moché l'était plus que les autres. S'il n'était pas préparé à l'évènement en lui-même, on ne lui avait pas communiqué auparavant le déroulement de la cérémonie, il avait néanmoins été préparé à ce qui suivrait : quelques jours auparavant, alors qu'il tentait tant bien que mal de s'acquitter de sa charge, de guider le peuple, physiquement et spirituellement, son beau-père, Yitro, lui avait donné un précieux conseil : "si tu cherches à tout faire tout seul, tu n'y arriveras pas." Jour après jour, du matin au soir, les gens venaient le voir pour des conseils, des conflits, des enseignements, des questions, des jugements aussi (ce qui pose à tous les commentateurs un sérieux problème de chronologie : si Moché jugeait avant le don de la Torah, suivant quelle loi jugeait-il? Certains en ont déduit que le texte n'était pas dans l'ordre chronologique, mais je ne veux pas rentrer dans les détails…) et Moché passait ses journées à écouter les gens et à tenter de résoudre les conflits.
La Torah nous raconte que son beau-père, Yitro, lui a donné le conseil vital de déléguer une partie de sa charge. S'il voulait continuer et avoir une certaine influence sur le peuple, il fallait à tout prix déléguer, s'entourer, choisir des gens intègres, honnêtes et sages pour le remplacer, faire une hiérarchie, un début d'organisation sociale. En un mot, dès ses débuts de dirigeant, sa mission est d'enseigner aux gens… à se passer de lui.
Pour cette raison, il fallait que le passage de Yitro soit avant le don de la Torah et pas après. Car c'était une condition sinéquanonne : pour être celui qui va recevoir la Torah de Dieu lui-même, tu dois être capable de transmettre et de faire transmettre, d'enseigner et d'enseigner à enseigner, car sinon le risque est que tu t'appropries le savoir, que la Torah reste ta propriété privée et qu'elle disparaisse avec toi.
Généralement, les commentateurs se posent la question : comment Moché n’a-t-il pas eu cette idée tout seul, pourquoi a-t-il fallu attendre que Yitro vienne lui souffler une idée aussi simple et de bon sens ? Il semble que les choses soient un peu plus complexes, et qu’il ne s’agit pas de définir qui a eu l’idée en premier : Moché craignait trop, en partageant son pouvoir, de créer une organisation politique semblable à celle de l’Egypte, structurée dans une organisation pyramidale dans laquelle la corruption règne à tous les niveaux. En ne comptant que sur lui-même pour trancher les conflits, il était au moins sûr que cela serait fait de manière équitable et juste. Or le conseil de Yitro est pour lui et pour nous tous une grande leçon de sagesse : si tu fais tout tout seul, cela sera bien fait, certes, mais premièrement tu vas t’épuiser, et deuxièmement lorsque tu ne seras plus là tout va s’effondrer, et ton travail n’aura servi à rien. Au-delà de la satisfaction immédiate du travail bien fait, ton devoir est de penser à l’avenir de ta fonction, et de former des gens aptes à te remplacer. Le travail que cela demande n’est pas moins pénible et difficile : il faut trier et choisir des personnes sur qui on peut compter, les former, les laisser agir, et surtout, intérieurement, personnellement, il faut accepter que ce qu’ils feront, les décisions, initiatives qu’ils prendront ne ressembleront pas forcément aux décisions que toi-même tu aurais pris.
Déléguer, c’est enseigner, mais c’est aussi accepter que l’autre saura s’approprier cet enseignement et en faire un usage qui lui est propre, et aussi qu’il enseignera à d’autres qui en feront de même.
Le but de la révélation du Mont Sinaï telle qu’elle est décrite dans la Torah est que chacun puisse s'identifier à Moché, un dirigeant dont le seul objectif est d'enseigner aux autres à se mettre à sa place, chacun à son niveau, et de transmettre un certain sens des responsabilités dans le but d'acquérir une autonomie dans le rapport à la loi et au divin.
Parallèlement, nous, éducateurs, spécialistes de l'enseignement juif, avons un objectif, le but du Talmud Torah : préparer à ce pour lequel aucune préparation valable n’existe, rien ne sera jamais suffisant : préparer les enfants (et leurs parents) à transmettre la révélation, à transmettre un certain rapport à cette révélation, une identité, alors même que cette identité n’est clairement définie par personne et est sujette à de nombreuses interprétations. Préparer à l’impréparable. Préparer à devenir des juifs.
Pour cela il n’existe aucune méthode, aucune règle fixe écrite ou orale. Pas plus que lorsqu’on devient parent. Il faut savoir faire preuve d’adaptation, d’initiative, de créativité. Etre à l'écoute de chaque enfant pour le guider sur sa voie, être à l'écoute de chaque parent pour l'aider à définir sa volonté de transmettre et l'aider à réaliser cette transmission. Savoir repérer et encourager ceux qui seront les futurs dirigeants, les chefs de dix, de cent, de mille dont parle Yitro.
Mais il y a néanmoins des conditions indispensables pour rendre possible cette transmission : commentaire humoristique sur le "miracle" du don de la Torah : le vrai miracle, ce ne sont pas les nuées, les tonnerres etc. le vrai miracle, un miracle divin, surnaturel, c'est d'avoir pu réunir tous les juifs ensemble, à un moment donné. Quel travail de les mettre tous d'accord!
Un travail ingrat, difficile, de longue haleine, qui demande énormément de patience. Et dont on est jamais sûr de la nature du résultat, ni même si on verra un jour ce résultat.
Le travail de l'éducation.
Par métaphore => parallèle avec le travail agricole.
Tou Bichevat : voir les fruits de nos actions, de nos investissements, de notre travail. Et dans chaque fruit se trouve une graine, un noyau, la possibilité d'un autre arbre.
Une des façons de mesurer l'efficacité de notre travail auprès des enfants et de leurs parents est de réussir à leur faire prendre conscience de l'importance de l'implication communautaire pour transmettre ce petit "miracle" qui est notre bien à tous, une communauté vivante et accueillante. Comme Moché, qui avait commencé à transmettre avant même d'avoir reçu la Torah, je ne peux m'empêcher de me poser des questions avant même d'avoir commencé le diner du Talmud Torah : qui prendra la suite ? Ayant vu le travail extraordinaire des bénévoles, qui prendra sur lui d’organiser le prochain diner chabbatique du TT? Qui va nous aider à proposer des activités aux ados après le TT et la BM? Ce n'est qui si nous apportons des réponses à ces interrogations que se réalisera les mots de Yitro à Moché :
"Si tu adoptes cette conduite, Dieu te donnera ses ordres et tu pourras suffire à l'œuvre; et de son côté, tout ce peuple se rendra tranquillement où il doit se rendre."
Chabbat Chalom

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