Chemot 5773 : Masculin et Féminin dans le narratif


Chers amis,

Par hasard, en même temps que nous commençons une nouvelle année civile nous commençons un nouveau livre, le livre de l'Exode, Chemot. Ce livre est placé sous le signe de la souffrance de l'exil en Egypte, puis la délivrance de l'esclavage et le don de la Torah.

Dans notre paracha de cette semaine, qui marque le début de ce livre, nous assistons à l'installation des Bené Israël en Egypte, au début de l'esclavage et de la persécution, et à la naissance et aux premières années de la vie du personnage central qui nous accompagnera jusqu'à la fin de la Tora, Moché.

Le texte que nous lisons ce Chabbat est évidemment extrêmement riche, et peut s'aborder de différentes manières. Une des façons de l'aborder, de le commenter, est d'analyser le conflit, la tension entre masculin et féminin.

Les enfants de Jacob, Bené Israel qui viennent s'installer en Egypte sont au nombre de 70, mais ne cherchez pas 70 noms dans le texte, il n'y a que les noms importants : ceux des hommes, les 12 fils de Jacob, les 12 tribus. Plus loin, lorsqu'un nouveau roi accède au pouvoir en Egypte, il décide, afin d'enrayer le développement démographique de ce peuple qui est en train de naître, de tuer systématiquement tous les nouveaux nés garçons. Il décide d'employer pour cela deux femmes, qu'il cherche à utiliser comme des alliées, pour mettre en œuvre son plan. Plus tard, après le refus de ces deux sages-femmes, il devra donner ordre à tout son peuple de persécuter les hébreux. Cependant, c'est une femme, la propre fille de Pharaon, qui va jouer un rôle déterminant en sauvant le bébé Moïse des eaux du fleuve.

Les femmes, dans le livre de l'Exode comme la plupart du temps dans le reste de la Bible, ont un rôle décisif dans l'action, mais ce rôle n'est pas au premier plan. Dans le livre de Chemot les hommes décident, donnent des ordres, agissent, se battent, les femmes au contraire sauvent, donnent naissance, soignent, allaitent, protègent, etc. Comme si, comme le disent les lecteurs féministes contemporains, la Torah se faisait l'écho des préjugés de la société patriarcale de laquelle elle est issue, en décrivant deux positions antagonistes, un conflit frontal entre le féminin, doux, calme, protecteur, représenté et symbolisé par l'élément liquide, le fleuve, et l'élément masculin, fort, autoritaire et violent, représenté et symbolisé par le feu.

De plus, les personnages en opposition représentent leur peuple.

Pharaon, un homme, représente l'Egypte, et pour Israël on ne les entend que par la voix de ces deux femmes, deux résistantes certes, mais on se pose la question "où sont les hommes?" Pourquoi ne se sont-ils pas défendus? Pourquoi se laissent-ils faire en silence, sans rien dire, sans se révolter? Pourquoi se laissent-ils représenter par ces deux femmes?

Le midrach, dont le génie consiste à "sentir" le texte et en accentuer les tendances, donne cette histoire de la naissance de Moche : "vayikah ich mibeit levy …"
רש"י שמות פרק ב פסוק א

(א) ויקח את בת לוי - פרוש היה ממנה מפני גזירת פרעה (וחזר ולקחה. וזהו וילך, שהלך בעצת בתו שאמרה לו גזרתך קשה משל פרעה, אם פרעה גזר על הזכרים, ואתה ג"כ על הנקבות). והחזירה ועשה בה לקוחין שניים. ואף היא נהפכה להיות נערה. ובת מאה שלושים שנה היתה שנולדה בבואה למצרים בין החומות, ומאתים ועשר שנה נשתהו שם, וכשיצאו היה משה בן שמונים שנה. אם כן כשנתעברה ממנו היתה בת מאה שלושים וקורא אותה בת לוי:

Rôle central des femmes : Miriam, Yokheved, qui sont, d'après le midrach, les sages-femmes.

Si nous récapitulons : Egypte = homme et Israël = femme. Couple dominateur/dominé. Agresseur/agressé. Violent/violenté.

Symboliquement, nous sommes donc en présence d'un couple qui a des problèmes. Le peuple égyptien et le peuple hébreu se sont aimés profondément du temps de Joseph, et puis pour telle et telle raison la vie ensemble est devenue impossible. L'homme, l'égyptien, est devenu irascible, violent et tyrannique. La femme, le peuple hébreu, de plus en plus soumise et effacée, battue, maltraitée, une victime.

Il est donc largement temps de divorcer. Une fois le décor planté, toute l'histoire du début du livre de Chemot peut être résumée par l'histoire de ce divorce, un long déchirement, qui va avoir lieu par l'action d'un homme, dont le texte nous raconte l'histoire depuis la naissance, entre autres pour bien nous faire passer le message que c'est un enfant né de cette union entre Israël et l'Egypte : même si ethniquement il est le fils de deux juifs de la tribu de Lévi, culturellement Moïse a été élevé à la cour de Pharaon, il est donc issu d'un mariage mixte. C'est en cherchant dans son parcours que l'on comprendra pourquoi c'est lui et pas un autre qui devait être l'artisan de cette séparation.

Au début le personnage se révèle impulsif et violent : il tue un égyptien et doit partir précipitamment en exil. Il fait lui-même un mariage mixte, puisqu'il rencontre sa femme (autour d'un point d'eau, là encore ce n'est pas innocent) dans le désert de Midian, où il devient berger (et ici aussi la symbolique du pasteur n'est pas un hasard, cf rabbins du midrach).

Mais l'événement décisif, fondateur, qui va donner l'impulsion de sa carrière est la rencontre avec le buisson ardent, cette théophanie personnelle qui va lancer sa carrière de "sauveur et guide du peuple juif". Qu'est ce que ce récit a de si extraordinaire ?

1. vous connaissez ma méthode d'analyse, que je tiens de mes maitres : l'intertextualité. Or ici un élément nous engage a faire le rapprochement avec trois autres textes, trois autres théophanies, trois autres personnages : Dieu appelle Moche en redoublant son nom, et il répond "hineni". Allusion, rapprochement avec Avraham (Aqueda), Yaakov (qui hesite avant de venir en Egypte) et plus tard le prophète Samuel (anecdotique).

2. Dans les autres scènes : ce n'est pas Dieu qui parle mais un ange. Ce n'est pas d'un endroit particulier mais d'une voix qui vient du ciel (bat kol) ou lors d'un rêve. Ce n'est pas au début de la carrière d'un personnage mais a la fin. Ce n'est pas l'annonce d'un événement mais le dénouement d'une tension dramatique qui va permettre la suite.

3. Mais l'épisode du buisson ardent est central dans le sens ou il va annoncer le don de la Torah sur le mont Sinaï, puisque c'est au mont Sinaï (midrach), et il se singularise surtout par le long dialogue entre Moché et Dieu, dans lequel il y a une longue négociation. Sans même rentrer dans le détail, le simple fait qu'il y ait cette négociation montre que Moché est conscient de ce qui se joue et cherche à ce que l'expérience de l'Egypte ne se reproduise pas : "Donc si je comprends bien, Tu vas devenir notre nouveau Pharaon. Tu vas nous permettre de divorcer de lui pour que nous fassions alliance (=mariage) avec toi. Mais qu'est-ce qui me prouve qu'avec Toi ce ne sera pas pire que ce que nous allons quitter? Quels engagements tu prends pour que la femme battue ne le redevienne pas avec quelqu'un d'autre?

Réponse : j'accepte de dialoguer avec toi, et tu ne seras pas mon "envoyé" ou mon "émissaire", mais mon "Elohim", toi et Aaron. = Sur un pied d’égalité avec moi. Je te permettrai de discuter avec Pharaon en face. Je te ferai revenir ici-même pour que tu prennes connaissance du contrat que je te propose, et j'attendrai que tu exprimes ton accord.

Apres un mariage catastrophique, il faut beaucoup de temps pour se reconstruire. Il faut que l'épouse violentée reprenne confiance en elle, de l'estime de soi, et sache exactement comment s'impliquer dans une nouvelle relation.

C'est une thérapie expresse que Dieu propose a Moché avant de partir rejoindre son peuple.

Chabbat chalom

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