Chers amis,
Par hasard, en même temps que nous commençons
une nouvelle année civile nous commençons un nouveau livre, le livre de
l'Exode, Chemot. Ce livre est placé sous le signe de la souffrance de l'exil en
Egypte, puis la délivrance de l'esclavage et le don de la Torah.
Dans notre paracha de cette semaine, qui
marque le début de ce livre, nous assistons à l'installation des Bené Israël en
Egypte, au début de l'esclavage et de la persécution, et à la naissance et aux
premières années de la vie du personnage central qui nous accompagnera jusqu'à
la fin de la Tora, Moché.
Le texte que nous lisons ce Chabbat est
évidemment extrêmement riche, et peut s'aborder de différentes manières. Une
des façons de l'aborder, de le commenter, est d'analyser le conflit, la tension
entre masculin et féminin.
Les enfants de Jacob, Bené Israel qui viennent
s'installer en Egypte sont au nombre de 70, mais ne cherchez pas 70 noms dans
le texte, il n'y a que les noms importants : ceux des hommes, les 12 fils de
Jacob, les 12 tribus. Plus loin, lorsqu'un nouveau roi accède au pouvoir en
Egypte, il décide, afin d'enrayer le développement démographique de ce peuple
qui est en train de naître, de tuer systématiquement tous les nouveaux nés
garçons. Il décide d'employer pour cela deux femmes, qu'il cherche à utiliser
comme des alliées, pour mettre en œuvre son plan. Plus tard, après le refus de
ces deux sages-femmes, il devra donner ordre à tout son peuple de persécuter
les hébreux. Cependant, c'est une femme, la propre fille de Pharaon, qui va
jouer un rôle déterminant en sauvant le bébé Moïse des eaux du fleuve.
Les femmes, dans le livre de l'Exode comme la
plupart du temps dans le reste de la Bible, ont un rôle décisif dans l'action,
mais ce rôle n'est pas au premier plan. Dans le livre de Chemot les hommes
décident, donnent des ordres, agissent, se battent, les femmes au contraire sauvent,
donnent naissance, soignent, allaitent, protègent, etc. Comme si, comme le
disent les lecteurs féministes contemporains, la Torah se faisait l'écho des
préjugés de la société patriarcale de laquelle elle est issue, en décrivant
deux positions antagonistes, un conflit frontal entre le féminin, doux, calme,
protecteur, représenté et symbolisé par l'élément liquide, le fleuve, et l'élément
masculin, fort, autoritaire et violent, représenté et symbolisé par le feu.
De plus, les personnages en opposition
représentent leur peuple.
Pharaon, un homme, représente l'Egypte, et
pour Israël on ne les entend que par la voix de ces deux femmes, deux
résistantes certes, mais on se pose la question "où sont les hommes?"
Pourquoi ne se sont-ils pas défendus? Pourquoi se laissent-ils faire en silence,
sans rien dire, sans se révolter? Pourquoi se laissent-ils représenter par ces
deux femmes?
Le midrach, dont le génie consiste à "sentir"
le texte et en accentuer les tendances, donne cette histoire de la naissance de
Moche : "vayikah ich mibeit levy …"
רש"י שמות פרק ב פסוק א
(א) ויקח את בת לוי - פרוש היה ממנה מפני גזירת פרעה (וחזר ולקחה. וזהו
וילך, שהלך בעצת בתו שאמרה לו גזרתך קשה משל פרעה, אם פרעה גזר על הזכרים, ואתה
ג"כ על הנקבות). והחזירה ועשה בה לקוחין שניים. ואף היא נהפכה להיות נערה.
ובת מאה שלושים שנה היתה שנולדה בבואה למצרים בין החומות, ומאתים ועשר שנה נשתהו
שם, וכשיצאו היה משה בן שמונים שנה. אם כן כשנתעברה ממנו היתה בת מאה שלושים וקורא
אותה בת לוי:
Rôle central des femmes : Miriam, Yokheved,
qui sont, d'après le midrach, les sages-femmes.
Si nous récapitulons : Egypte = homme et Israël
= femme. Couple dominateur/dominé. Agresseur/agressé. Violent/violenté.
Symboliquement, nous sommes donc en présence
d'un couple qui a des problèmes. Le peuple égyptien et le peuple hébreu se sont
aimés profondément du temps de Joseph, et puis pour telle et telle raison la
vie ensemble est devenue impossible. L'homme, l'égyptien, est devenu irascible,
violent et tyrannique. La femme, le peuple hébreu, de plus en plus soumise et
effacée, battue, maltraitée, une victime.
Il est donc largement temps de divorcer. Une
fois le décor planté, toute l'histoire du début du livre de Chemot peut être
résumée par l'histoire de ce divorce, un long déchirement, qui va avoir lieu
par l'action d'un homme, dont le texte nous raconte l'histoire depuis la
naissance, entre autres pour bien nous faire passer le message que c'est un
enfant né de cette union entre Israël et l'Egypte : même si ethniquement il est
le fils de deux juifs de la tribu de Lévi, culturellement Moïse a été élevé à
la cour de Pharaon, il est donc issu d'un mariage mixte. C'est en cherchant
dans son parcours que l'on comprendra pourquoi c'est lui et pas un autre qui
devait être l'artisan de cette séparation.
Au début le personnage se révèle impulsif et
violent : il tue un égyptien et doit partir précipitamment en exil. Il fait
lui-même un mariage mixte, puisqu'il rencontre sa femme (autour d'un point
d'eau, là encore ce n'est pas innocent) dans le désert de Midian, où il devient
berger (et ici aussi la symbolique du pasteur n'est pas un hasard, cf rabbins
du midrach).
Mais l'événement décisif, fondateur, qui va
donner l'impulsion de sa carrière est la rencontre avec le buisson ardent,
cette théophanie personnelle qui va lancer sa carrière de "sauveur et
guide du peuple juif". Qu'est ce que ce récit a de si extraordinaire ?
1. vous connaissez ma méthode d'analyse, que
je tiens de mes maitres : l'intertextualité. Or ici un élément nous engage a
faire le rapprochement avec trois autres textes, trois autres théophanies,
trois autres personnages : Dieu appelle Moche en redoublant son nom, et il répond
"hineni". Allusion, rapprochement avec Avraham (Aqueda), Yaakov (qui
hesite avant de venir en Egypte) et plus tard le prophète Samuel (anecdotique).
2. Dans les autres scènes : ce n'est pas Dieu
qui parle mais un ange. Ce n'est pas d'un endroit particulier mais d'une voix
qui vient du ciel (bat kol) ou lors d'un rêve. Ce n'est pas au début de la
carrière d'un personnage mais a la fin. Ce n'est pas l'annonce d'un événement
mais le dénouement d'une tension dramatique qui va permettre la suite.
3. Mais l'épisode du buisson ardent est
central dans le sens ou il va annoncer le don de la Torah sur le mont Sinaï,
puisque c'est au mont Sinaï (midrach), et il se singularise surtout par le long
dialogue entre Moché et Dieu, dans lequel il y a une longue négociation. Sans même
rentrer dans le détail, le simple fait qu'il y ait cette négociation montre que
Moché est conscient de ce qui se joue et cherche à ce que l'expérience de
l'Egypte ne se reproduise pas : "Donc si je comprends bien, Tu vas devenir
notre nouveau Pharaon. Tu vas nous permettre de divorcer de lui pour que nous
fassions alliance (=mariage) avec toi. Mais qu'est-ce qui me prouve qu'avec Toi
ce ne sera pas pire que ce que nous allons quitter? Quels engagements tu prends
pour que la femme battue ne le redevienne pas avec quelqu'un d'autre?
Réponse : j'accepte de dialoguer avec toi, et
tu ne seras pas mon "envoyé" ou mon "émissaire", mais mon
"Elohim", toi et Aaron. = Sur un pied d’égalité avec moi. Je te
permettrai de discuter avec Pharaon en face. Je te ferai revenir ici-même pour
que tu prennes connaissance du contrat que je te propose, et j'attendrai que tu
exprimes ton accord.
Apres un mariage catastrophique, il faut
beaucoup de temps pour se reconstruire. Il faut que l'épouse violentée reprenne
confiance en elle, de l'estime de soi, et sache exactement comment s'impliquer
dans une nouvelle relation.
C'est une thérapie expresse que Dieu propose a
Moché avant de partir rejoindre son peuple.
Chabbat chalom
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