"La Vie de Sarah" que je traduirai plutôt
par "Deux mariages et un enterrement" ou encore "Sois
belle et tais-toi".
C'est ainsi en effet que j'aborde cette paracha : autour
d'une présence /absence, d'une vie marquée par sa part prophétique c'est vrai,
mais surtout par sa part humaine, de femme tout simplement.
Voici donc une saga, celle de Imanou, notre 1ère
matriarche.
Et alors qu'elle devait nous conter les évènements d'une vie,
eh bien elle commence par un enterrement ! Et justement celui de l'héroïne !
Comme pour dire que c'est de son absence dont il va être question, comme d'ailleurs
dans les parachiot précédentes comme je vais vous le rapporter d'après le texte
même.
Sarah commence à être citée comme épouse. Epouse d'Abraham,
fils de Terah, chef du clan quittant Ur Quasdim, pays idôlatre.
Les midrashim la mettent en scène soit comme demi-sœur
d'Abraham, soit comme sa nièce ... bref elle n'existe que par rapport à ……
Elle suit le mouvement du clan mené par son époux et arrive
en Egypte où, très cavalièrement, pour se sauver et sauver sa tribu, Abraham la
déclare comme étant sa sœur plutôt que sa femme…..
Le même scénario se produit un peu plus tard devant le roi
Abimelek ……
Sarah, objet, que l'on prend, que l'on donne, qu'on ne
considère que par les avantages qu'on peut en tirer, à savoir principalement
son apparence, sa beauté !
Ajouté à cela, sa stérilité, c'est-à-dire son impuissance à
engendrer, à transmettre.
Femme donc décrite comme n'ayant pas de vie propre. N'étant
en rien actrice de son histoire.
Commentaire désabusé vous en conviendrez, mais tout-à-fait
possible.
Mais voilà, c'était sans compter sur Dieu, un Dieu plus féministe
qu'il n'y parait !
Lorsque Sarah est livrée de manière assez peu élégante par
Abraham au Pharaon, eh bien, Dieu fait en sorte que rien ne se passe entre elle
et le monarque. Il envoie une série de plaies à l'Egypte que le Pharaon
décrypte et attribue au "rapt" de Sarah appartenant déjà à un autre
homme.
Et nous avons droit au même scénario, plus tard, avec
Avimelek.
Dieu se manifeste donc. Il redresse le cours de l'histoire
des Bnei Israel que les hommes, Abraham pour être précis, allaient détourner de
son but.
Puis, quand Abraham reçoit la visite des anges, il demande à Sarah
de préparer le repas. Elle s'y s'empresse !
Sarah n'y est toujours pour rien ………
Elle commence vraiment à être sujet lorsque la naissance d'un
fils lui est annoncé (ce n'est encore pas d'elle que ça vient, même si on voit
bien que Dieu veille sur elle) : elle rit ! C'est sa manière à elle d'exprimer
ce qu'intimement elle ressent. Elle pose enfin un acte dont elle est responsable
!
Elie Munk avance une interprétation un peu iconoclaste : ce
vocable signifierait "fait rire". Eprouverait-elle de la honte devant
les autres ? "Que va-t'on penser de moi ?" se dit-elle.
Mais tenons-nous en à l'interprétation classique : son fils, Isaac
portera le nom de son désir. C'est en tant que mère, c'est-à-dire d'origine de
l'engendrement, qu'elle marquera cet épisode de la saga des Bnei Israel : elle
sera mère malgré la nature, elle défendra devant Abraham, sa position de femme
légitime face à sa rivale Hagar et surtout elle affirmera la place de son fils Isaac
car elle pressent –et c'est là que son don de prophétie se révèle-, qu'il est
l'héritier et le seul vrai porteur du message divin.
D'ailleurs, Abraham est contraint de céder à cette parole car
une nouvelle fois, c'est Dieu "en personne" si j'ose dire, qui donne
du "kavod" à Sarah en enjoignant Abraham d'honorer et de respecter les dires de Sarah. C'est elle qui
détient le cours de l'Histoire.
Là, on peut enfin dire que Sarah est
la prophétesse n°1 de notre Histoire, puisque par son action, elle révèle le
futur. Jacques Lacan dit une jolie chose à ce sujet :
"La Révélation comme telle, à savoir
la parole comme porteuse de vérité".
Mais revenons aux 1er versets de la paracha et
continuons : la vie de Sarah est condensée en quelques mots nous signifiant
………. sa mort.
Sarah, que la naissance d'un fils a couronné sa vie de femme,
eh bien Sarah s'entend dire –soit par le diable, dit un midrash, soit par la
"rumeur" que son fils, son unique vient d'être tué par son propre
époux…
Tout ce à quoi elle a adhéré sa vie durant, tout ce qui lui
donnait un sens, s'effondre : le respect et la fidélité à son époux, l'amour de
son fils, la foi en ce Dieu qui s'est révélé à elle …… Tout ça pourquoi ?
Car ce n'est ni le sacrifice d'Isaac (pseudo en réalité) ni
l'épreuve infligée à Abraham qui s'avèrera mortelle ; non, la victime c'est elle qui voit sa vie,
ses 127 ans, ses certitudes, ses espoirs anéantis…. Elle n'est plus soutenue
par rien…. Elle renonce à la vie.
Alors, c'est vrai, elle a droit à un bel enterrement de la
part d'Abraham qui ne lésine pas sur les moyens ni financiers (il insiste pour
acheter à prix fort le caveau), ni spirituels (il veut que Sarah soit la 1ère
à être ensevelie près d'Eve et d'Adam afin d'initier un rite funéraire
universel).
Et pour couronner ce qui s'intitule "La vie de
Sarah", deux mariages : celui d'Isaac avec Rébecca (Isaac n'est donc pas
mort et elle, Sarah, serait morte pour rien ?) et, celui, ironie de tout,
d'Abraham avec Ketoura qui, selon le midrash, n'est autre que Hagar, honnie par
Sarah.
Je vous l'accorde, ces commentaires très personnels sont un
peu déprimants. D'autres existent, plus rassurants. Je vous invite à les
consulter afin d'édulcorer ce regard assurément trop sombre.……..
M.A. Meyer
Novembre 2012
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