Nasso

Chers amis,

La paracha Nasso est particulièrement riche et comporte plusieurs sujets, parmi lesquels on trouve l’ordre de mission de la tribu de Levy (ceux qui seront chargés de transporter les objets du sanctuaire pendant les voyages du désert), les règles concernant la femme « sota » c’est-à-dire la femme soupçonnée d’adultère par son mari, les règles concernant le « naziréat » => une personne qui pour une raison ou une autre ferait un vœu d’abstinence et se priverait de boire du vin et de se couper les cheveux pendant une période donnée, on trouve aussi, presque perdu au milieu de la narration, la fameuse « birkat cohanim » cette bénédiction que les prêtres sont habilités à nous transmettre et qui est encore utilisée aujourd’hui dans la liturgie, et enfin une description assez précise de la façon dont Dieu parle à Moché à l’intérieur du sanctuaire. Mais l’unité textuelle qui prend une place démesurée dans cette paracha est un corpus qui détaille les sacrifices apportés par chaque tribu à l’occasion de l’inauguration du sanctuaire (entre parenthèses on a vraiment l’impression que cette inauguration n’en finit pas depuis le livre du Lévitique et la paracha Chemini…) : chaque tribu offre exactement le même sacrifice : « une écuelle d'argent, du poids de cent trente sicles; un bassin d'argent de soixante-dix sicles, au poids du sanctuaire, tous deux remplis de fleur de farine pétrie à l'huile, pour une oblation; une coupe de dix sicles, en or, pleine de parfum; un jeune taureau, un bélier, un agneau d'un an, pour holocauste; un jeune bouc, pour expiatoire; puis, pour le sacrifice de rémunération, deux taureaux, cinq béliers, cinq boucs, cinq agneaux d'un an. » si la Torah nous avait dit simplement que chaque représentant de tribu a offert la même chose, on aurait peut-être gagné du temps, économisé un peu d’encre et de parchemin, et l’office de demain aurait été un peu plus court. Au lieu de cela, la Torah nous impose de répéter ce texte exactement douze fois, en précisant à chaque fois le nom du représentant de chaque tribu (Nahchon ben Aminadav de la tribu de Judas, Nethanel ben Tsouar de la tribu de Issakhar etc.).

La semaine dernière, nous avons parlé des problématiques soulevées par le recensement pour la culture des hébreux du désert, et l’impossibilité de citer chacun par son nom. Cette semaine, il semble qu’il soit primordial que nous sachions que chaque tribu a contribué au sanctuaire exactement de la même façon. Ce sanctuaire, qui a été financé par chacun des membres du peuple par un impôt égalitaire, le demi sicle, n’est pas complet tant que n’y est pas associé la totalité des entités « politiques » ou plutôt claniques, familiales qui sont une composante de l’identité de chacun.

Le but recherché est que chacun puisse se sentir, pour une petite part, représenté dans et représenté par le sanctuaire. Ce sanctuaire n’est pas seulement l’endroit spatial dans lequel des gens se réunissent pour rendre un culte, il est aussi l’endroit qui rappelle à Dieu l’existence d’Israël, en tant que peuple et en tant que multitude d’individualités. Or si la représentation de chacun se limitait à la somme symbolique du demi-shekel, c’est-à-dire une représentation liée au seul mérite d’exister, d’être là et d’être compté, chacun aurait vraiment l’impression d’être comptabilisé comme du bétail. Il faut que la contribution de chacun soit aussi le reflet de son identité.

Dans le désert comme dans toutes les époques, pour les juifs en particulier comme pour tous les hommes en général, il n’existe pas d’identité simple. L’identité est par nature quelque chose de complexe, de multiple et de composé. Homme ou femme, blanc ou noir, premier né ou cadet, appartenant à telle famille, de tel clan à l’intérieur de telle tribu… Aujourd’hui nous dirions achkénaze ou séfarade, né en France ou ailleurs, juif de naissance ou juif de choix, français ou « binational » etc. mais c’est la même chose. Il faut donc payer, est c’est là que c’est difficile, au minimum deux impôts, voir plus. Un pour dire qu’on existe et qu’on est là, et l’autre pour représenter qui on est. (Moi + de la tribu de untel).

Ayant dit cela, on n’a pas expliqué pourquoi les offrandes de chaque tribu sont identiques. Cela peut même paraître problématique puisque la diversité semble se transformer en uniformisation.

C’est là qu’il faut faire intervenir la littérature rabbinique, qui donne à chaque détail des offrandes apportées un sens, une signification symbolique, historique, théologique, conceptuelle, je dirais même presque « cosmique » : par le biais de méthodes d’exégèse que je ne peux pas développer ici, chaque élément fait référence à un passage de la Torah :
-         l’écuelle d’argent est rapprochée du premier homme « Adam Harichon »
-         Le bassin de 70 sicles fait référence à Noé
-         La coupe : la Torah « donnée de la main de Dieu »
-         Dix sicles : les dix paroles
-         Pleine de parfum => ce sont les mitsvot
-         Un taureau => c’est Avraham
-         Un bélier => c’est Itzhak
-         Un agneau => c’est Jacob
-         Un jeune bouc pour expiatoire => pour expier la vente de Joseph
Etc. pour la suite il faudra venir demain matin suivre la lecture de la Torah.

Ainsi, payer son impôt, apporter une offrande ce n’est pas seulement s’acquitter de son devoir pour contribuer à la réalisation d’une œuvre commune. C’est aussi montrer que l’on adhère à la communauté à deux niveaux :
-         sur le plan identitaire
-         sur le plan idéologique, intellectuel et spirituel.

C’est s’inscrire et souscrire. S’inscrire en tant que présent, et souscrire en tant que militant.
Personne n’aime payer ses impôts. Mais pour faire passer la pilule on a besoin, en plus de compte précis sur ce que devient cet argent, s’il est bien utilisé et s’il a servi à quelques choses (ce qu’on trouve dans le livre des Nombres qui est aussi appelé Houmach Hapekoudim ou livre des comptes), on a besoin de savoir qu’on met son bien au service d’un idéal.

Une des caractéristiques du peuple juif, que l’on trouve déjà dans le livre des Nombres et qui se poursuit jusqu’à nos jours, c’est d’être rebelle à l’autorité. De râler.

À Maayane Or, j’ai parfois des échos au sujet de la participation à certaines activités : c’est trop cher, pourquoi ce doit être payant alors qu’on a déjà payé une cotisation, ou pire : « le prix ne correspond pas au service rendu » comme si nous étions un restaurant avec des consommateurs, et non une association avec des bénévoles et des militants.

J’invite donc chacun à ne pas oublier que les efforts que nous vous demandons ne sont pas dans un but commercial mais au service d’une idée, même si évidemment comme toujours nous tenons compte des cas particuliers.

Pour en revenir au texte de notre paracha, les commentateurs remarquent que l’ordre des tribus ne suit pas l’ordre hiérarchique de naissance des fils de Jacob, mais suivent un autre ordre : celui de la marche dans le désert. Comme si ce qui on cherchait à nous montrer que ce qui est important n’est pas d’être simplement présent, mais de se mettre en marche, en ordre de bataille au service de ce que nous croyons être juste.

Chabbat chalom

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