Chelakh Lekha (par Sergio Wax)


Chelah Lekha traite, pour presque 2/3 (78 versets), de l’expédition des explorateurs, de la punition divine et du désastre qui s’ensuivit ; le dernier tiers (41 versets), donne les instructions pour les oblations à adjoindre aux sacrifices (à offrir une fois entrés à Canaan), quelques versets sur le prélèvement de la chala, d’autres prescriptions pour les sacrifices de réparation des erreurs involontaires, la condamnation du transgresseur du Chabbat et finalement le troisième paragraphe du Chemá qui conclut notre Sidra.

C’est une paracha fameuse, qui a fait couler beaucoup d’encre et qui nous interpelle un peu.
Avant tout, on fait spontanément le rapprochement avec le Lekh Lekha de Bereshit. Sauf que le “lekha“ ordonné à Abram est l’indication d’un chemin à suivre, pour tout être humain d’ailleurs, à la recherche d’une dimension qui le dépasse, “la terre que je t’indiquerai“, comme dit le texte. Dans notre paracha, en revanche, le “lekha“ est bien plus modeste ; Rachi interprète “d’après ton opinion, je ne t’ordonne pas, mais si tu veux, envoie….“ Autrement dit, Dieu n’ordonne pas à Moshe d’envoyer les explorateurs mais Il comprend que le défi est important et que le peuple veut être rassuré. Dans le Deutéronome (1,22) Moché rappellera plus clairement les faits : “Mais vous vîntes envers moi tous en disant : “Nous voudrions envoyer quelques hommes en avant qui exploreraient pour nous ce pays, et qui nous renseigneraient sur le chemin que nous devons suivre et sur les villes où nous devons aller“ Donc le “lekha“ de notre paracha n’est pas du tout un commandement. Au contraire, c’est le peuple qui demande d’envoyer des explorateurs, Moche qui, comme d’habitude, intercède et Dieu qui concède. Le lekha d’Abram est une impulsion puissante vers la Foi, le “lekha de notre paracha est une concession aux tremblements de la Foi.

Et comme ce sont des humains qui décident s'ils doivent aller et comment, le désastre ne tarde pas. Les explorateurs choisis par Moshé, reviennent avec des propos incontrôlés, des fabulations invraisemblables (deux personnes pour transporter une grappe, les géants, la terre qui dévore ses habitants etc.) Le peuple se révolte et presque lapide Caleb et Joshua, Dieu fini par punir toute cette génération ; toute personne de plus de 20ans, Moshe compris, bien entendu, devra mourir dans le désert - une pérégrination de 38 ans, alors qu’on était si proche de Canaan.

Mais finalement, qui avait raison ? C’est vrai que le texte s’en prend aux explorateurs et semble les condamner sans appel. Mais Dieu, en vérité, ne fait que corroborer la décision des explorateurs. S’Il condamne toute une génération à périr dans le désert c’est justement parce qu’elle n’était pas prête à entrer à Canaan – un peuple encore trop habitué à l’esclavage, encore trop proche des rituels idolâtres et donc vulnérable aux pratiques des Cananéens avec qui il se serait forcément mélangé. Ne s’adonna-t-il pas aux rites de Baal Peor (à la fin de la paracha Balak) quelque temps après, suscitant, par ailleurs, le fondamentalisme de Pinhas ? L’exercice de la liberté exige une maturité que le peuple évidemment n’avait pas encore atteinte, si, comme le texte le montre clairement, à chaque difficulté il évoque l’Egypte et il est tenté d’y retourner.

En revanche la paracha sauve Joshua (qui s’appelait Hoshea, mais Moche lui rajouta un yud, comme pour signaler l’investiture divine ; autre parallèle avec Abram qui devient Abraham avec l’addition d’un hé), et pour Caleb, dont on parlera assez peu dans tout le Tannach. Ce n’est peut-être pas par hasard que la paracha critique les dix Nassi des tribus et sauve justement Caleb de la tribu de Juda et Joshua de la tribu d’Ephraïm, qui traditionnellement représente le royaume du Nord ; les deux personnages seraient donc les symboles, dans un texte qui incorpore sûrement l’idéologie de la période monarchique, d’une unité retrouvée, peut-être même de l’espoir messianique du grand Israël.

Et dans ce cadre de vision messianique, je ne peux m’empêcher de citer un commentaire du Rabbin Léon Askenazi, Manitou, qui établit un parallèle entre nos explorateurs, un peu prudents, et les juifs de la Diaspora d’aujourd’hui, pour lesquels Israël serait la Terre Promise, mais non la terre “donnée“, la patrie ; ces juifs maintiendraient avec Israël la même relation ambiguë que le peuple hébreux, dans le désert, avait avec Canaan. On peut réfléchir sur ce point de vue, mais je ne suis pas du tout convaincu que les conditions soient exactement les mêmes 30 siècles après nos pérégrinations dans le désert, et que la comparaison soit valable 100%. Sans compter que la plupart des archéologues ont la tendance à démonter toutes les théories sur la glorieuse conquête de Canaan …

Malgré tout, malgré l’histoire qui semble donner raison aux explorateurs (il fallait bien laisser le temps à Joshua de mûrir pour conduire le peuple vers son destin), ce que j’aime retenir est ce que Rachi fait remarquer au tout début de la paracha. L’épisode des explorateurs suit immédiatement celui de la médisance d’Aaron et Myriam: Miriam aurait parlé mal de son frère et les dix explorateurs, qui n’avaient pas appris la leçon, auraient annihilé par leur discours, l’enthousiasme du peuple. C’est la terrible responsabilité de la parole qui peut détruire des rêves mêmes possibles et réalisables, en dépit des difficultés. Eux, les chefs choisis par Moché étaient ´des princes, des hommes “cachèrs“ au départ, mais ils se sont rendus responsables d’un désastre au retour.

L’autocontrôle, le recul et, souvent, le silence ne sont pas les moindres des vertus des chefs… 

Chabbat Chalom


17 juin 2011

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