Vayakhel-Pekoudé 5773


Chers amis,

Dans la paracha de cette semaine, une paracha qu’on peut légitimement considérer comme plutôt ennuyeuse sur le plan de la narration, apparaissent deux personnages qu’on ne voit ni avant, ni après dans la Torah : Betsalel ben Ouri ben hour de la tribu de Judah et Aholiav ben Ahisamakh de la tribu de Dan.


Betsalel est et restera dans la tradition juive l’artiste par excellence, l’archétype de quelqu’un de doué qui possède tous les talents, tous les dons pour assembler, créer et façonner :

וַיְמַלֵּא אֹתוֹ, רוּחַ אֱלֹהִים, בְּחָכְמָה בִּתְבוּנָה וּבְדַעַת, וּבְכָל-מְלָאכָהלב וְלַחְשֹׁב, מַחֲשָׁבֹת--לַעֲשֹׂת בַּזָּהָב וּבַכֶּסֶף, וּבַנְּחֹשֶׁתלג וּבַחֲרֹשֶׁת אֶבֶן לְמַלֹּאת, וּבַחֲרֹשֶׁת עֵץ; לַעֲשׂוֹת, בְּכָל-מְלֶאכֶת מַחֲשָׁבֶתלד וּלְהוֹרֹת, נָתַן בְּלִבּוֹ: הוּא, וְאָהֳלִיאָב בֶּן-אֲחִיסָמָךְ לְמַטֵּה-דָןלה מִלֵּא אֹתָם חָכְמַת-לֵב, לַעֲשׂוֹת כָּל-מְלֶאכֶת חָרָשׁ וְחֹשֵׁב, וְרֹקֵם בַּתְּכֵלֶת וּבָאַרְגָּמָן בְּתוֹלַעַת הַשָּׁנִי וּבַשֵּׁשׁ, וְאֹרֵג; עֹשֵׂי, כָּל-מְלָאכָה, וְחֹשְׁבֵי, מַחֲשָׁבֹת.
« Moïse dit aux enfants d'Israël: "Voyez; l'Éternel a désigné nominativement Beçalel, fils d'Ouri, fils de Hour, de la tribu de Juda. 31 Il l'a rempli d'un souffle divin; d'habileté, de jugement, de science, d'aptitude pour tous les arts; 32 lui a appris à combiner des tissus; à mettre en œuvre l'or, l'argent et le cuivre; 33 à tailler la pierre pour la sertir, à travailler le bois, à exécuter toute œuvre d'artiste. 34 Il l'a aussi doué du don de l'enseignement, lui et Oholiab, fils d'Ahisamak, de la tribu de Dan. 35 II les a doués du talent d'exécuter toute œuvre d'artisan, d'artiste, de brodeur sur azur, pourpre, écarlate et fin lin, de tisserand, enfin de tous artisans et artistes ingénieux. »

Les Sages du Midrach se posent des questions sur  la personnalité de Betsalel et de son acolyte, puisque la Torah ne raconte aucun détail sur sa personne. D’où tenait-il ses dons ? A-t-il bénéficié d’une prophétie particulière, comme semble le dire le texte ? Etait-il prédestiné depuis l’enfance pour cette mission particulière, ou bien a-t-il été choisi et s’est ensuite débrouillé pour faire ce qu’on lui demandait le mieux possible ?

Un midrach célèbre s’intéresse à sa désignation, car la formule utilisée par la Torah est assez inhabituelle (Dieu le désigne par son nom)
"אמר רבי יצחק: אין מעמידין פרנס על הציבור אלא אם כן נמלכים בציבור, שנאמר[2]: רְאוּ קָרָא ה' בְּשֵׁם בְּצַלְאֵל. אמר לו הקדוש ברוך הוא למשה: משה, הָגוּן עליך בצלאל? אמר לו: רבונו של עולם, אם לפניך הגון - לפנַי לא כל שכן? אמר לו: אף על פי כן, לך אמור להם. הלך ואמר להם לישראל: הגון עליכם בצלאל? אמרו לו: אם לפני הקדוש ברוך הוא ולפניך הוא הגון - לפנינו לא כל שכן?".
Pour Rabbi Itzhak, on ne doit pas désigner de Parnass, c’est-à-dire de personne chargée d’une mission pour la communauté, de dirigeant public, si cette personne ne réunit pas tous les suffrages, n’obtient pas l’assentiment de tous.

Autrement dit, il ne s’agit pas d’une désignation autoritaire et imposée d’en haut, mais Dieu propose, Moché et le peuple acceptent.

Personne ne sera étonné que les rabbins du Talmud voient en Betsalel un des leurs avant de voir en lui un artiste particulièrement génial et doué.
"אמר רב יהודה אמר רב: יודע היה בצלאל לצרף אותיות שנבראו בהן שמים וארץ, כתיב הכא: וימלא אותו רוח אלהים בחכמה ובתבונה ובדעת, וכתיב התם: ה' בחכמה יסד ארץ כונן שמים בתבונה, וכתיב: בדעתו תהומות נבקעו, אמר רבי יוחנן: אין הקב"ה נותן חכמה אלא למי שיש בו חכמה שנאמר יהב חכמתא לחכימין וגו', שמע רב תחליפא בר מערבא ואמרה קמיה דרבי אבהו אמר ליה אתון מהתם מתניתו לה אנן מהכא מתנינן לה דכתיב ובלב כל חכם לב נתתי חכמה".
Pour Rabbi Yohanan, Dieu ne donne de don particulier qu’à ceux qui possèdent déjà une certaine sagesse, et le mot Hokhma renvoie à l’érudition rabbinique.

L’utilisation du mot Hakham dans la Torah se prête particulièrement à cette interprétation : il était un artiste doué d’abord et avant tout parce qu’il était un érudit, un penseur, un intellectuel. S’il n’avait été qu’un ouvrier (je me rends compte qu’en le disant cela peut paraitre un peu méprisant pour les ouvriers manuels, mais c’est véritablement comme cela que les sages le perçoivent), il n’aurait été qu’un des Hakhmé lev anonymes qui l’aident à tout réaliser.

La deuxième question autour de l’action de Betsalel est celle de son résultat final : le texte nous dit qu’en gros, il a bien travaillé, et c’est symbolisé par le fait que Dieu « s’installe » dans le Sanctuaire et en prend possession. Mais que signifie cette réussite ? Est-ce que cela veut dire qu’il a fait exactement ce que Dieu a ordonné à Moché et que Moché lui a transmis ? Ou bien lui a-t-on « commandé » un ouvrage, et lorsqu’il l’a livré le ou les commanditaires en ont été satisfaits ? Autrement dit, Betsalel est-il l’architecte ou le maître d’œuvre ? L’artiste ou l’artisan (en hébreu c’est le même mot, oman, mais en français ce sont deux choses différentes)? Ce qui est passionnant à la lecture du texte, comme toujours, c’est que les deux sont possibles.
Pour certains, il a bien travaillé, mais n’a rien inventé. Pour d’autres, il a tout décidé, et cela fut approuvé. Vous pouvez facilement vous rendre compte que la différence est de taille. D’un côté une vision totalitaire et englobante, où le responsable est chargé de faire respecter la volonté divine dans ses moindres détails, de l’autre côté une vision beaucoup plus responsabilisante, dans laquelle l’individu a la possibilité de s’exprimer, de donner libre court à son imagination et aux possibilités que lui donnent la nature et la matière, pour inventer une façon d’être fidèle à la volonté initiale tout en l’adaptant, en la travaillant, en la mettant en forme, ce qui est déjà une façon de se l’approprier.

Inutile de dire quelle interprétation je préfère. Je ne peux pas m’imaginer que la Torah ait choisi de citer le nom de Betsalel s’il n’avait été qu’un simple exécutant. Chacun des personnages bibliques, lorsqu’ils sont cités comme sujets dignes de l’intérêt de la narration, le sont pour leur liberté, leur libre-arbitre, leur possibilité de faire le Bien ou le Mal, de bien faire… ou de mal faire. Considérer que dès le départ Betsalel n’avait pas le choix de faire autrement, c’est à mon avis ne pas lui rendre justice.

Nous n’avons aucune source sur la façon dont l’œuvre de Betsalel a été accueillie par ses contemporains. Mais tel que je connais le peuple juif, je suis sûr que les commentaires et les critiques n’ont pas manqué : j’imagine qu’il s’en est trouvé quelques-uns pour critiquer la couleur des tentures, les dimensions de l’Arche, le choix du bois, les ornements de la Ménorah etc.

Mais à la fin de la paracha Pekoudé, Dieu lui-même prend possession du Sanctuaire, et cela équivaut à une acceptation, une approbation du travail de Betsalel.
וַיַּרְא מֹשֶׁה אֶת-כָּל-הַמְּלָאכָה, וְהִנֵּה עָשׂוּ אֹתָהּ--כַּאֲשֶׁר צִוָּה יְהוָה, כֵּן עָשׂוּ; וַיְבָרֶךְ אֹתָם, מֹשֶׁה.
« Moïse examina tout le travail: or ils l'avaient exécuté conformément aux prescriptions du Seigneur. Et Moïse les bénit. »

Moché ne porte pas de jugement sur l’esthétique, mais sur la fidélité à la commande initiale. Pour expliquer l’image à l’aide d’un anachronisme, je dirais que Betsalel a respecté le « cahier des charges ». Il l’a fait suivant sa vision esthétique et suivant ses capacités artistiques, suivant sa vision du beau et du laid, mais il a fait le job qu’on attendait de lui.

Dans la paracha Pekoudé on assiste à une opération de transparence sur l’utilisation des fonds publics. Qui rend compte ? Moché, Itamar (représentant des Cohanim), Betsalel et Aholiav. Certains rendent compte de l’argent utilisé, d’autres rendent compte de leur art et de la beauté de leurs œuvres. Un jugement objectif, un autre subjectif. Un bilan financier, et un rapport moral.

L’allusion est suffisamment claire : il s’agit d’une étape obligée dans la vie de tout groupe humain : les parnassim (les dirigeants, ceux qui prennent sur eux bénévolement d’assurer le fonctionnement de la communauté, ce que l’on appelle en hébreu tsorkhé tsibour) expliquent et montrent leur travail à toute la communauté, ce que nous pourrions appeler aujourd’hui l’assemblée générale.

Je le disais dans une de mes chroniques à la radio, la communauté juive azuréenne se distingue par une profusion d’associations dans lesquelles se démènent des centaines de bénévoles pour des tâches souvent ingrates et fastidieuses. En cette saison des bilans comptables et des clôtures d’exercices, qu’il me soit permis de leur rendre hommage et de saluer leur travail, à tous, et particulièrement ceux de Maayane Or dont l’Assemblée Générale s’est tenue hier soir dans une atmosphère de cordialité, de respect du travail fourni, de confiance renouvelée et d’espoir pour l’avenir.

Un immense merci à ceux qui se reconnaîtront.

Bonne semaine, chavoua tov !

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