Chers amis,
Dans une dracha précédente sur la
Genèse je définissais le personnage de Joseph comme un personnage féminin. Je
donnais à cela plusieurs raisons:
1. Il
ressemble à sa mère, Rachel, qui était de grande beauté.
2. Contrairement
à ses frères il est le fils qui ne travaille pas dans les champs, il reste à
l’intérieur, dans la tente, en compagnie des femmes. Position féminine de la
gardienne du foyer.
3. Il se
distingue par un vêtement particulier (koutonet passim) dont on ne sait
pas grand-chose si ce n’est qu’il est différent de tous les autres, ceux de ses
frères.
4. Il
est victime de violence de la part de ses frères qui le déshabillent.
5. Il
est jeté dans un puits, symbole féminin dans la littérature du Proche-Orient
ancien (fertilité, sexualité féminine etc.)
6. En
Egypte il est acheté par un maître et il réussit dans une fonction de gestion
de la maison (fonction féminine)
7. Il
est victime de harcèlement sexuel et même d’une tentative de viol de la part de
la femme de Putiphar.
Inutile de préciser que lorsque je
parle de personnage féminin il n’est question ni de sexe ni de genre, mais d’un
rapport au monde particulier qui se caractérise par une certaine douceur, une
fragilité, mais aussi un véritable génie pour les fonctions traditionnellement
dévolues aux femmes : la gestion du foyer, l’organisation des tâches,
l’optimisation des ressources, des recettes et des dépenses. Littéralement,
étymologiquement, cette fonction c’est l’économie (mot composé de
deux mots grecs qui signifient « loi de la maison » ou
« administration du foyer »).
Une dimension qui m'avait échappée et
qui m'est apparue à la relecture de la paracha Mikets cette année, c'est que
Joseph voit l'histoire comme une succession de cycles. Les rêves de Pharaon,
sept vaches ou sept épis de blé, auraient pu être interprétés de mille
manières. Lui choisit de donner à ces objets une dimension temporelle : un
cycle de sept ans et un autre de sept ans. Ce chiffre sept lié à l'agriculture
fait évidemment allusion à la règle de la chemita, l'année sabbatique
obligatoire règle que l’on trouve à la fin du Lévitique. Mais la réaction
enthousiaste de Pharaon fait penser que Joseph fait plus que trouver la
solution d’un problème, une interprétation à un rêve : il apporte à
l’Egypte une nouvelle façon de voir et de considérer le temps.
L’Egypte est une superpuissance
politique, militaire et économique, qui se croit invincible sur le plan de la
production et donc de la croissance économique, puisque ses récoltes ne dépendent
pas des pluies mais des crues du fleuve. Même les années sans pluie, l’économie
n’est pas en danger tant que le fleuve continue à irriguer les champs qui
l’entourent grâce à un astucieux réseau de canaux. Une civilisation aussi
confiante dans l’avenir peut légitimement se croire invincible puisque non
tributaire des aléas du climat.
A l’inverse le jeune Joseph est issu
d’une famille de nomades, qui eux ont beaucoup voyagé et rencontré d’autres
cultures, et d’autres façons de pratiquer l’agriculture.
Ce que Joseph annonce à Pharaon,
au-delà de l’interprétation d’un rêve qui est l’expression littéraire, narrative
de quelque chose de beaucoup plus profond puisque ce qui se joue ici est la
rencontre de deux civilisations que tout oppose, ce qu’il annonce donc à
Pharaon et qui lui fait l’effet d’une révélation tient en ceci : le monde
qui t’entoure fonctionne suivant des cycles, et toi, ne te crois pas au-dessus
des lois de la nature. Jusqu’à présent, tu voyais l’histoire comme la
succession des évènements qui doivent perpétuer ta suprématie sur le territoire
connu. Ton règne, et après toi ta dynastie, n’auront pour seul objectif que
d’assurer cette domination qui vous revient de droit, et tout retard ou
empêchement ne seront que des accidents, des accros dans ce long règne destiné
à durer pour l’éternité. Moi, en tant qu’héritier d’une vieille famille nomade,
je viens t’annoncer quelque chose d’extraordinaire : la vie -l’histoire-
n’est pas un long fleuve. Elle est au contraire une succession de périodes, de
crises, d’époques fastes et d’époques malheureuses, de périodes de croissance
économiques et de récessions plus ou moins longues, et tu n’as pas, tu n’auras
jamais la maîtrise du temps. Tes dieux sont des animaux qui représentent un des
domaines de l’existant (le dieu du soleil, le dieu du fleuve etc.) qui sont
tous nécessaires à la vie, mais aucun d’eux, pris séparément, n’a le pouvoir de
se passer des autres. Moi je viens de la part d’un Dieu qui maitrise le temps,
et qui te fait la grâce de t’annoncer ce que personne de ton entourage n’ose te
dire : tu es maître de beaucoup de choses, tu es très puissant et des
millions de gens t’obéissent. Mais tu n’auras jamais la maîtrise du temps, et
des cycles qui s’écoulent en faisant l’histoire.
קהלת
פרק ג
(ד) עת לבכות
ועת לשחוק עת ספוד ועת רקוד:
Ecclésiaste 4, 3: “Un temps pour pleurer et un temps
pour rire, un temps pour se lamenter et un temps pour danser;”
Maintenant que tu sais cela, tu peux
choisir de ne pas l’accepter, de te draper dans l’illusion de ta toute
puissance et de ta toute suffisance, et en quelques années tu causeras ta perte
et celle de tout ton pays. Ou alors tu choisis de l’accepter et de t’adapter,
de ruser, de prévoir. Ce n’est pas très compliqué et c’est un conseil qui par
sa simplicité ridiculise tous les conseillers de Pharaon : tant que les
récoltes sont bonnes, fait des réserves, des économies, qui te serviront pour
les jours maigres, en attendant que les jours fastes reviennent. Car ils
reviendront.
Le danger avec le message de Yossef,
c’est qu’il peut nous apparaître comme simpliste, évident, et connu de tous,
alors qu’il ne l’est pas. S’il l’était, personne ne serait en surendettement,
en dépression, ou ne ferait de tentative de suicide à cause du désespoir. S’il
l’était, il y aurait peut-être des crises économiques, mais sûrement pas de
crise financière.
Le message de Yossef est
désespérément vrai, pour Pharaon, mais aussi pour lui : il y a un temps
pour tout, des cycles, des périodes : un temps pour être le fils détesté
et rejeté par ses frères, et un temps pour faire fortune dans la maison de son
maître. Un temps pour pourrir en prison, un temps pour réussir en politique au
plus haut niveau. Et au moment du passage de l’histoire familiale/tribale à
l’histoire collective, un temps pour être accueilli très chaleureusement en
Egypte, et un temps pour qu’un nouveau roi se lève « qui ne connaissait
pas Yossef » et que le pays d’accueil se transforme en terre
d’asservissement et d’oppression.
Attention ! Dire cela n’est pas
adhérer à une conception pessimiste voire nihiliste de l’histoire dans laquelle
il n’y aurait qu’un enchaînement de cycles sur lesquels les hommes n’auraient
aucune influence ! L’histoire n’est pas un éternel recommencement. Mais
l’attitude de l’homme devant l’histoire doit être celle d’un être constamment
sur ses gardes et jamais dans l’illusoire confort d’une stabilité éternelle et
définitive.
Le psaume que nous lisons à Hanouka
est le psaume 30, qui n’a aucun rapport avec Hanouka à part le titre, mais
apparemment les sages ont conclu qu’il convenait particulièrement à la période
du solstice d’hiver pour assurer et affirmer que l’hiver ne durera pas
éternellement :
Psaume. Cantique de la dédicace du temple; par David.
5 Chantez l’Eternel, vous ses fidèles, rendez grâce à
son saint nom;
6 car sa colère ne dure qu’un instant, mais sa bienveillance est pour la vie;
le soir dominent les pleurs, le matin, c’est l’allégresse.
7 J’avais dit en ma quiétude: "Jamais je ne chancellerai."
Chabbat chalom
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