Mikets 5773


Chers amis,

Dans une dracha précédente sur la Genèse je définissais le personnage de Joseph comme un personnage féminin. Je donnais à cela plusieurs raisons:
1.     Il ressemble à sa mère, Rachel, qui était de grande beauté.
2.     Contrairement à ses frères il est le fils qui ne travaille pas dans les champs, il reste à l’intérieur, dans la tente, en compagnie des femmes. Position féminine de la gardienne du foyer.
3.     Il se distingue par un vêtement particulier (koutonet passim) dont on ne sait pas grand-chose si ce n’est qu’il est différent de tous les autres, ceux de ses frères.
4.     Il est victime de violence de la part de ses frères qui le déshabillent.
5.     Il est jeté dans un puits, symbole féminin dans la littérature du Proche-Orient ancien (fertilité, sexualité féminine etc.)
6.     En Egypte il est acheté par un maître et il réussit dans une fonction de gestion de la maison (fonction féminine)
7.     Il est victime de harcèlement sexuel et même d’une tentative de viol de la part de la femme de Putiphar.

Inutile de préciser que lorsque je parle de personnage féminin il n’est question ni de sexe ni de genre, mais d’un rapport au monde particulier qui se caractérise par une certaine douceur, une fragilité, mais aussi un véritable génie pour les fonctions traditionnellement dévolues aux femmes : la gestion du foyer, l’organisation des tâches, l’optimisation des ressources, des recettes et des dépenses. Littéralement, étymologiquement, cette fonction c’est l’économie (mot composé de deux mots grecs qui signifient « loi de la maison » ou « administration du foyer »).

Une dimension qui m'avait échappée et qui m'est apparue à la relecture de la paracha Mikets cette année, c'est que Joseph voit l'histoire comme une succession de cycles. Les rêves de Pharaon, sept vaches ou sept épis de blé, auraient pu être interprétés de mille manières. Lui choisit de donner à ces objets une dimension temporelle : un cycle de sept ans et un autre de sept ans. Ce chiffre sept lié à l'agriculture fait évidemment allusion à la règle de la chemita, l'année sabbatique obligatoire règle que l’on trouve à la fin du Lévitique. Mais la réaction enthousiaste de Pharaon fait penser que Joseph fait plus que trouver la solution d’un problème, une interprétation à un rêve : il apporte à l’Egypte une nouvelle façon de voir et de considérer le temps.

L’Egypte est une superpuissance politique, militaire et économique, qui se croit invincible sur le plan de la production et donc de la croissance économique, puisque ses récoltes ne dépendent pas des pluies mais des crues du fleuve. Même les années sans pluie, l’économie n’est pas en danger tant que le fleuve continue à irriguer les champs qui l’entourent grâce à un astucieux réseau de canaux. Une civilisation aussi confiante dans l’avenir peut légitimement se croire invincible puisque non tributaire des aléas du climat.

A l’inverse le jeune Joseph est issu d’une famille de nomades, qui eux ont beaucoup voyagé et rencontré d’autres cultures, et d’autres façons de pratiquer l’agriculture.

Ce que Joseph annonce à Pharaon, au-delà de l’interprétation d’un rêve qui est l’expression littéraire, narrative de quelque chose de beaucoup plus profond puisque ce qui se joue ici est la rencontre de deux civilisations que tout oppose, ce qu’il annonce donc à Pharaon et qui lui fait l’effet d’une révélation tient en ceci : le monde qui t’entoure fonctionne suivant des cycles, et toi, ne te crois pas au-dessus des lois de la nature. Jusqu’à présent, tu voyais l’histoire comme la succession des évènements qui doivent perpétuer ta suprématie sur le territoire connu. Ton règne, et après toi ta dynastie, n’auront pour seul objectif que d’assurer cette domination qui vous revient de droit, et tout retard ou empêchement ne seront que des accidents, des accros dans ce long règne destiné à durer pour l’éternité. Moi, en tant qu’héritier d’une vieille famille nomade, je viens t’annoncer quelque chose d’extraordinaire : la vie -l’histoire- n’est pas un long fleuve. Elle est au contraire une succession de périodes, de crises, d’époques fastes et d’époques malheureuses, de périodes de croissance économiques et de récessions plus ou moins longues, et tu n’as pas, tu n’auras jamais la maîtrise du temps. Tes dieux sont des animaux qui représentent un des domaines de l’existant (le dieu du soleil, le dieu du fleuve etc.) qui sont tous nécessaires à la vie, mais aucun d’eux, pris séparément, n’a le pouvoir de se passer des autres. Moi je viens de la part d’un Dieu qui maitrise le temps, et qui te fait la grâce de t’annoncer ce que personne de ton entourage n’ose te dire : tu es maître de beaucoup de choses, tu es très puissant et des millions de gens t’obéissent. Mais tu n’auras jamais la maîtrise du temps, et des cycles qui s’écoulent en faisant l’histoire.
קהלת פרק ג
(ד) עת לבכות ועת לשחוק עת ספוד ועת רקוד:
Ecclésiaste 4, 3: “Un temps pour pleurer et un temps pour rire, un temps pour se lamenter et un temps pour danser;”

Maintenant que tu sais cela, tu peux choisir de ne pas l’accepter, de te draper dans l’illusion de ta toute puissance et de ta toute suffisance, et en quelques années tu causeras ta perte et celle de tout ton pays. Ou alors tu choisis de l’accepter et de t’adapter, de ruser, de prévoir. Ce n’est pas très compliqué et c’est un conseil qui par sa simplicité ridiculise tous les conseillers de Pharaon : tant que les récoltes sont bonnes, fait des réserves, des économies, qui te serviront pour les jours maigres, en attendant que les jours fastes reviennent. Car ils reviendront.

Le danger avec le message de Yossef, c’est qu’il peut nous apparaître comme simpliste, évident, et connu de tous, alors qu’il ne l’est pas. S’il l’était, personne ne serait en surendettement, en dépression, ou ne ferait de tentative de suicide à cause du désespoir. S’il l’était, il y aurait peut-être des crises économiques, mais sûrement pas de crise financière.

Le message de Yossef est désespérément vrai, pour Pharaon, mais aussi pour lui : il y a un temps pour tout, des cycles, des périodes : un temps pour être le fils détesté et rejeté par ses frères, et un temps pour faire fortune dans la maison de son maître. Un temps pour pourrir en prison, un temps pour réussir en politique au plus haut niveau. Et au moment du passage de l’histoire familiale/tribale à l’histoire collective, un temps pour être accueilli très chaleureusement en Egypte, et un temps pour qu’un nouveau roi se lève « qui ne connaissait pas Yossef » et que le pays d’accueil se transforme en terre d’asservissement et d’oppression.

Attention ! Dire cela n’est pas adhérer à une conception pessimiste voire nihiliste de l’histoire dans laquelle il n’y aurait qu’un enchaînement de cycles sur lesquels les hommes n’auraient aucune influence ! L’histoire n’est pas un éternel recommencement. Mais l’attitude de l’homme devant l’histoire doit être celle d’un être constamment sur ses gardes et jamais dans l’illusoire confort d’une stabilité éternelle et définitive.

Le psaume que nous lisons à Hanouka est le psaume 30, qui n’a aucun rapport avec Hanouka à part le titre, mais apparemment les sages ont conclu qu’il convenait particulièrement à la période du solstice d’hiver pour assurer et affirmer que l’hiver ne durera pas éternellement :

Psaume.  Cantique de la dédicace du temple; par David.
5 Chantez l’Eternel, vous ses fidèles, rendez grâce à son saint nom;
 6 car sa colère ne dure qu’un instant, mais sa bienveillance est pour la vie; le soir dominent les pleurs, le matin, c’est l’allégresse.
 7 J’avais dit en ma quiétude: "Jamais je ne chancellerai."

Chabbat chalom

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