Hayé Sarah 5772


Chers amis,

Le texte de la paracha de cette semaine tourne autour de la personnalité de deux femmes : Sarah et Rébecca (Rivka). Même si on ne parle de Sarah que pour annoncer sa mort, son ombre plane toujours sur la famille, sur son mari et sur son jeune fils Itshak. La semaine dernière la Torah se faisait l’écho du caractère capricieux, imprévisible et irrationnel de cette femme, qui, souffrant au plus haut point de sa stérilité, jette sa servante dans les bras de son mari pour en faire une mère porteuse, puis, dévorée de jalousie, exige d’Avraham qu’il la renvoie, puis l’accepte à nouveau, finit par tomber enceinte et avoir un fils, exige de nouveau le départ de sa servante Hagar et de son fils Ishmael, comme si elle ne supportait pas de « concurrence », d’autre présence féminine dans la famille. Comme si sa jalousie extrême, maladive, l’empêchait de « partager » ses hommes. Ce n’est donc qu’après sa mort que la venue d’une nouvelle femme dans la famille est possible, et qu’apparaît le personnage de Rivka. L’histoire de sa venue, le fait que le mariage ait été « arrangé » par Avraham et Eliezer son fidèle serviteur, viennent mettre en relief la passivité du personnage d’Itshak et l'hyperactivité de Rivka, comme une introduction à ce qui va se produire un peu plus loin dans le récit.

Mais en regardant la composition du texte, le thème qui tient une place centrale dans le récit est celui de la négociation.

Avraham négocie avec les gens qui occupent les environs de la ville de Hébron pour acheter un caveau où il pourra inhumer Sarah, et plus tard se faire lui-même enterrer. C’est là le signe d’un début d’enracinement sur la terre où il n’est jusque là qu’un étranger. Eliezer, arrivé à destination après un long voyage, se demandant comment il va procéder pour trouver une jeune femme qui accepte de le suivre pour épouser Itshak, fait une sorte de prière intérieure qui se présente sous la forme d’un long monologue dans lequel il fait littéralement un contrat avec Dieu, un contrat dont il négocie les termes en dictant à Dieu les signes qu’il attend pour « reconnaître » la jeune femme qu’il lui faut. Enfin, une troisième négociation se joue entre la famille de Rivka et Eliezer pour arranger le mariage et permettre à Rivka de partir le plus vite possible.

Ce thème, ce sujet de la négociation est un axe de réflexion qui s’impose à la lecture du texte biblique comme à la lecture de la presse quotidienne.

Dans la Tora, celui avec lequel les hommes négocient le plus souvent c’est… Dieu lui-même. Avraham bien sûr (avant la destruction de Sodome et Gomorrhe) mais surtout Moché, à maintes reprises, demande à Dieu de changer d’avis sur tel ou tel sujet, et use de persuasion pour se faire entendre. L’idée qu’un homme puisse se placer au même niveau que Dieu pour lui parler d’égal à égal, et que Dieu puisse se laisser convaincre par ses arguments, est une idée révolutionnaire, une idée biblique, une idée fondamentalement juive. Plus que cela, certains théologiens dont le plus célèbre est Avraham Heschel, affirme que c’est ce que Dieu recherche, et que la finalité de la création de l’Homme trouve sa source dans une quête divine, la recherche d’un partenaire qui puisse se confronter à Lui et se « hisser » à son niveau.

Quoi qu’il en soit, dans le texte de Hayé Sarah, les principales négociations se font entre hommes.

Il est peut-être inutile de le rappeler, mais une négociation est avant tout la rencontre entre deux parties, chacune cherchant à obtenir quelque chose de l’autre. C’est toujours un processus long et difficile, lorsque deux partis opposés essaient de se mettre d’accord sur un objectif, sur un prix. Mais l’accord fixé fait loi et fait autorité pour ceux qui l’ont conclu comme pour leurs familles et le groupe qu’ils représentent, même si dans ce groupe certains sont opposés aux termes du contrat. Ce même processus se retrouve lors des questions de dette : lorsque je mandate quelqu’un pour contracter un emprunt en mon nom ou au nom de mon pays, je suis « solidaire de cette dette » même si l’utilisation de l’argent ne me convient pas.
Ce qui est remarquable dans notre histoire, c’est que les négociateurs ne sont pas des tyrans : le représentant demande l’accord des individus concernés. (Le roi demande à Efron, et Bethouel demande à Rivka).

La négociation est un pas vers l'autre : je dois lui présenter une image de moi en position de force. (Que ce soit vrai ou que ce soit du bluff). Le but est de se mettre d'accord : il faut qu'il comprenne mon intérêt et que je comprenne le sien. Chacun doit être conscient qu'il devra bouger un peu de sa position initiale.

Ainsi, il serait malvenu de prendre au premier degré ce que nous dit le texte de la négociation pour le caveau : les Bné Het paraissent supplier Avraham de prendre possession du champ gratuitement, mais c’est la forme que doit prendre une négociation entre nomades sémites ! Chacun se jauge, se juge, évalue son adversaire, et finit par dire un prix. Ce qui est étonnant, c’est qu’Avraham ne négocie le prix à aucun moment !

Pour négocier, c'est encore une évidence mais il faut toujours le rappeler, il faut une langue et un langage commun. Langue : aspect technique de communication minimale. Langage : connaître les codes et usages, l'arrière plan culturel de l'autre. C'est cela qui est extrêmement difficile. Ex : Les hittites ne comprennent pas l'importance pour Avraham d'acquérir un champ dans cet endroit là particulièrement. Pourquoi là et pas ailleurs? Pourquoi insiste-t-il pour l'acheter à prix d'argent? C'est qu'au-delà de la question financière, il y a un arrière-plan politico-religieux. Pourquoi Betouel et Lavan acceptent-ils immédiatement de laisser partir Rivka avec cet inconnu? Parce qu'il a convaincu grâce aux bijoux. Parallèle : une version très ancienne des négociations internationales. Aujourd'hui la langue n'est plus un problème.
Trouver un langage commun est un des grands drames de l'humanité : combien de négociations, de traités de paix, d’échanges commerciaux ou technologiques ont échoué car l’une ou l’autre des parties n’arrivait pas à comprendre non pas la langue, mais la culture de l’autre, ses tabous, ses formes, sa politesse, tout ce qui fait sa manière d’être au monde et d’échanger avec les autres. Sa « communication non-orale ».
Pour faire un parallèle avec le thème de ce chabbat, la Tsédaka, les sages font grand cas de la relation que l’on entretient avec la personne nécessiteuse qui vient nous demander de l’argent, des vêtements ou de la nourriture. L’exigence que les rabbins nous transmettent c’est la volonté de ne pas humilier la personne, déjà humiliée par la situation, et de faire en sorte que pour un instant, dans le regard de l’autre, cette personne retrouve toute sa dignité. Il existe une méthode pour cela : faire sentir à cette personne qu’elle possède quelque chose dont nous avons besoin, et que le don ponctuel se fait dans le cadre d’un échange, d’une négociation, sur la base de laquelle les deux parties sont égales.

Dans cette optique la fameuse maxime talmudique prend tout son sens : « Tsedaka tatsil mimavet » => « La tsedaka sauve de la mort » habituellement, cette expression est très mal comprise : on croit que donner de l’argent aux pauvres encouragera Dieu à nous récompenser en nous accordant une longue vie. Mais il s’agit d’abord et avant tout d’empêcher le pauvre de mourir de faim ! Il faut aussi l’aider à conserver ce qu’il ne doit surtout pas perdre : sa dignité.

Chabbat chalom

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