Noah 5772 (par Romain Nouchi)

Ce chabbat nous lisons la paracha Noah. La Torah nous raconte son histoire, à travers le récit du déluge.

"Dieu vit que les méfaits de l’Homme se multipliaient sur la terre, Il se ravisa de l’avoir créé, et s’affligea en son cœur." Visiblement, Dieu se repent d’avoir créé l’Homme, Il décide donc de l’effacer de la surface du globe pour recommencer à zéro.

Néanmoins Dieu sauve un homme, Noah. Est-ce par pur bonté et espoir d’un renouveau pour l’humanité, ou bien pour garder un témoin de sa toute-puissance ?
Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de résumer d’avantage l’épisode du déluge, ses pluies diluviennes, son arche et ses animaux.

Le déluge a-t-il existé ? Voilà une question récurrente.
Au début du siècle dernier, des spécialistes d’histoire antique ont découverts d’anciens textes Sumériens, qui précèdent d’environ 2000 ans le don de la Torah: "l'épopée de Gilgamesh" Ces récits complètent une dizaine d’autres récits, contenant tous une histoire similaire à la nôtre, soit une inondation planétaire.
Puisqu’il semble que la Torah puise ses sources littéraires dans ce mythe fondateur qui appartient à l’humanité, pourquoi devrais-je plus m’attacher au texte Biblique, plutôt qu’au texte Sumérien qui prime par son ancienneté.

Premièrement, comme je l’ai dit précédemment, ce texte appartient à l’humanité.
Deuxièmement, comme tous les mythes fondateurs, la mise par écrit est la fixation d’une tradition millénaire transmise oralement. En venant à la synagogue, un conte hassidique m'est revenu en mémoire, et je vais vous le raconter car je trouve qu’ il éclaire mon propos au sujet de la transmission oral : Lorsque le grand Rabbi Israël Baal Shem-Tov voyait qu'un malheur se tramait contre le peuple juif, il avait pour habitude d'aller se recueillir à un certain endroit de la forêt ; là, il allumait un feu, récitait une certaine prière et le miracle s'accomplissait, révoquant le malheur. Plus, tard lorsque son disciple, le célèbre Maguid de Mezeritsch devait intervenir auprès du ciel pour les mêmes raisons, il se rendait au même endroit dans la forêt et disait : Maître de l'univers, prête l'oreille. Je ne sais pas comment allumer le feu, mais je suis encore capable de réciter la prière. Et le miracle s'accomplissait. Plus tard, le Rabbi Moshe-Leib de Sassov, pour sauver son peuple, allait lui aussi dans la forêt et disait : je ne sais pas comment allumer le feu, je ne connais pas la prière, mais je peux situer l'endroit et cela devrait suffire. Et cela suffisait, là encore le miracle s'accomplissait. Puis ce fut le tour de Rabbi Israël de Riszin d’écarter la menace. Assis dans son fauteuil, il prenait sa tête entre ses mains et parlait à Dieu : Je suis incapable d'allumer le feu, je ne connais pas la prière, je ne peux même pas retrouver l'endroit dans la forêt. Tout ce que je sais faire, c'est raconter cette histoire : cela devrait suffire. Et cela suffisait…
Troisièmement, parce que la Torah reprend le conte, à son compte, pour lui insuffler un message révolutionnaire pour l’époque, et qui perdure encore de nos jour
Quatrièmement, parce que je suis juif, et que la seconde paracha de la Torah, au même titre que toute la tradition juive précieusement gardée depuis le mont Sinaï, fait partie de mon patrimoine.

Mais en quoi le texte Biblique se distingue?
Le héros Sumérien Gilgamesh, est un roi, et pour cela sa destinée est exceptionnelle.
Noah lui, n’est qu’un Homme, vous moi, et parce qu’il est maitre de ses actes, son destin devient exceptionnel.
Les dieux Sumériens (car les Sumériens son polythéistes) haïssent Gilgamesh car il souhaite les atteindre.
Le Dieu de la Bible instaure un dialogue avec l’Homme, et ce depuis Adam, puis à la fin de la paracha Noah, il conclue une alliance avec l’Homme.
Gilgamesh est en quête d’immortalité.
Noah sauve sa famille, car l’immortalité ne doit pas être une quête individuelle mais s'accomplir dans la transmission.
Enfin, les dieux Sumériens entreprennent de réduire les naissances humaine, alors que le 1er commandement du Dieu de la Torah est "croissez et multipliez-vous".

On voit à quel point la Torah désire casser tous les codes établis.
Dès lors, vous comprendrez que la question « le déluge a-t-il existé », perd tout intérêt. Et quand bien même aurait-il eu lieu tel que le décrit la bible, observeriez-vous les commandements ? Non, car la foi juive ne réside pas en  la croyance de ce qui existe, mais en un engagement  personnel.

Puisque j’en conclue que le judaïsme ne dépend pas de la vérité littérale de ses textes, de quoi dépend-il ?
Qu'est-ce que la Torah, que me dit-elle, Etant donné qu’elle est là sur terre, et non dans les cieux comme nous l’enseigne notre maitre Rabbi Yehoshoua?
Les sages du Talmud déjà, nous éclairent sur la manière d’aborder les textes. Ils ne cherchaient rien d’autre que le sens moral et symbolique des récits tels que celui du déluge. Ils ne se privaient d’ailleurs pas d’y ajouter dans une lecture Midrashique, quelques détails croustillants et parfois même invraisemblables, dans le seul but de développer une réflexion éthique et herméneutique. Plutôt qu'une boite à récit, la Torah devient une boite à outil. Ce n’est donc pas l‘histoire qui importe, c’est ce qu’elle dit. Le texte me parle, il ne parle pas à des historiens ou à des archéologues, il ne parle pas au passé, il parle au présent, l’interprétation est sans cesse renouvelée, suivant l’humeur, l’actualité, ou bien les connaissances engendrés. Comprendre un texte, c’est ce comprendre soi-même. Comme le dit le philosophe russe Jacob Gordin « le 1er personnage du livre, c’est toi ». Déjà dans la 1er paracha Berechit, que nous avons lus la semaine dernière, le texte nous interpelle à ce propos. Apres leur faute, Adam et Eve se cachent dans le gan éden. « Ils entendirent la voix de l’Eternel parmi les arbres du jardin. L’Eternel appela l’homme et lui dit : où est tu » ? A cet instant, Dieu interroge chacun de nous. Car aussitôt que nous « entendrons et comprendrons » la question Biblique comme nous étant  personnellement adressé, nous prendrons conscience de ce que cela signifie lorsque Dieu demande « où es-tu, où te situes-tu dans ce monde » ? Que la question soit adresse à Adam ou à qui que ce soit, quand Dieu questionne ainsi, ce n’est pas pour que l’homme lui apprenne une chose qu’il ne saurait pas encore, Adam se cache, pour ne pas avoir à se justifier, pour échapper à la responsabilité de sa vie. C’est maintenant que j’en reviens à Noah, car c’est tout ce que je lui reproche.

La paracha débute en nous disant que Noah était un homme juste, parfait dans ses générations. Rien de plus n’est ajouté sur le caractère de Noah. Il est juste et parfait, tout est dit. Comme si le choix de supposer les choses autrement nous était volontairement retiré. Mais c’est mal connaitre les rabbins.
Noah est qualifié de tsadik, le mot tsadik seul, sans adjectif, caractérise la relation entre l'homme et Dieu, en comparaison avec le tsadik tov, qui ajoute une détermination relative à la relation entre l'homme et son prochain.   « Juste et parfait », Nahmanide y attribue un sens restrictif. Il nous dit que Noah obéit strictement aux impératifs de la justice, alors qu’Avraham est allé au de la, en alliant l’idéal de justice, à celui de charité, clémence et accueil (tsadik tov).
Ensuite, quand le texte nous dit : « dans ses générations » Rachi en déduit que s’il était né dans la génération d’Avraham, il n’aurait pas était au niveau. A l’expression « Noah marchait avec Dieu » Rachi, encore lui, nous dit qu’Avraham marchait devant Dieu, il en conclut donc que Noah avait besoin d’un appui pour le soutenir.  De manière un peu schématique, Noah est un juste défini de façon essentiellement négative. Il ne fait pas le mal, car il en est incapable, comme tout aussi incapable d’accomplir le bien. Il est  un tsadik malgré lui.
Après l’énumération des couples d’animaux qui seront accueillis sur l’arche, Dieu dit à Noah « Je ferais pleuvoir sur la terre pendant 40 jours et 40 nuits. Si la Torah parle le langage des hommes, 40 jours et 40 nuits c’est clair, or au 7iem chap. de la paracha, on nous dit que les eaux furent grosses sur la terre pendant 150 jours. Dieu a visiblement débordé sur les délais prévus. Pourtant, Noah ne réagit pas, il reste impassible. Il faut attendre le chapitre suivant pour que Dieu, le soutient de Noah, daigne enfin se rappeler qu’Il a son serviteur (si c’est pas l’inverse) en train de croupir sur les eaux.  Précédemment dans la paracha, lorsque Dieu annonce qu’Il va détruire la terre et tout ce qu’elle renferme, Noah accompli l’ordre de construire l’arche, sans s’émouvoir un seul instant du  sort de l’humanité.
Comme le dit le Midrash, il ne pleure pas. Alors qu’entendant le même jugement, la même sanction annoncée contre Sodome et Gomorrhe dont la Thora nous dit qu'ils étaient les plus grands méchants (rechaim), Avraham plaide, discute avec Dieu lui-même, pour essayer de les sauver. Ainsi que moise, pour sauver les bné Israël après la faute du vœu d’or.
Quoi qu’il en soit, de tous les tsadikim présents à cette époque (car le texte ne nous dit à aucun moment que Noah était le seul) c’est lui qui est sauvé, c’est également lui qui sauve l’humanité. Mais ce n'est pas arbitraire. Il y a une raison à son salut, ce n'est pas son mérite, c'est sa descendance, c'est parce qu'il portait en lui la possibilité d'Avraham. C'est ce qu'annonce notre premier verset : « Voici l'histoire des engendrements de Noah... », ce qui aboutira à Avraham. Les contemporains de Noah ne peuvent pas comprendre pourquoi c'est lui qui est sauvé plutôt qu'un autre, Dieu seul le sait. Dieu seul sait que Noah porte en lui la possibilité d'Avraham. En réalité, c'est Avraham qui a sauvé Noé.

Vous trouverez surement que je juge sévèrement  Noah, voir que je lui en veux, mais c’est en réalité une autocritique, ferions-nous mieux que Noah, somme nous capable de choisir entre le monde et sa famille, même sans aller vers ce choix radical, somme nous capable de réels sacrifices pour le bien commun.

Je n’attends pas de mes héros qu’il soit irréprochable, car c’est seulement en m’identifiant à eux, de par leurs comportements très humains, qu’il me sera possible de faire ma propre connaissance.
« Lekh lekha », va pour toi, va vers toi, mais ça nous le verrons dans la prochaine paracha.

CHABBAT CHALOM.

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