Behouqotaï

Chers amis,
La paracha Behouqotaï est la suite logique de la paracha Behar, c'est aussi la dernière paracha du Lévitique. Après avoir lu la semaine dernière les lois relatives aux Chabbat de la terre, c'est-à-dire les années chabbatiques (chmita) et le jubilé tous les cycles de sept fois sept années, la fin du texte nous décrit avec des détails un peu dissuasifs ce qui se passera, quelles seront les punitions divines qui auront lieu si une fois installé sur leur terre les hébreux cessaient de pratiquer ces lois de justice sociale. Comme nous l'avons vu la semaine dernière, certains pensent que la loi du jubilé résume en elle toutes les Mitsvot de la Torah, et que sa pratique, l'établissement d'une société juste et accueillante, justifiait à elle seule la présence des bené Israël sur la terre, et qu'a contrario son non respect les disqualifiait pour occuper la terre eux plutôt que d'autres.
C'est plus ou moins ce que l'on trouve dans la paracha Behouqotaï, avec parmis ces malédictions qui frapperont les hébreux cette répétition du chiffre 7 : 7 années + j'en rajouterai 7 fois plus.
Est-ce le chiffre 7 qui m'a fait penser aux sept années d'abondance et aux sept années de famines que prédit Joseph en Egypte? Peut-être. Trouver un axe dans la paracha pour parler de ce qu'on veut est un art qu'on développe quand on fait des études de rabbin, et plus le lien paraît naturel plus c'est réussi. Mais l'honnêteté m'oblige à dire que même si je n'avais trouvé aucun lien avec la paracha, j'aurais quand-même parlé ce soir de Joseph. Car toute la semaine, j'ai pensé à ce personnage du livre de la Genèse.
Joseph est dès le départ, dès son enfance dévoré par une ambition : celle d'être tout en haut, d'avoir du pouvoir. C'est cette ambition, maladroitement avouée, qui le fera haïr de ses frères au point qu'ils le jettent au fond d'un puits, un trou duquel il ne sortira que pour être vendu, exilé en Egypte, un pays où il réussira au-delà de toutes ses espérances. Par ses qualités, son intelligence et son travail il s'élève pas à pas au sommet de la gestion économique de son maître, avant d'être envoyé en prison pour une sombre histoire de mœurs. Son ascension est en dents de scie, faite de lentes montées et de chutes spectaculaires. Il fait partie des personnages qui sont totalement incapables d'être "moyens". Il est soit tout en haut soit tout en bas. Soit presque en haut de la pyramide, soit au sommet d'une pyramide inversée (au fond du trou). A chaque fois, on le croit mort, fini, "oublié". A chaque fois, il finit par sortir et grimper les marches de l'échelle sociale encore plus haut.
Il existe de nombreux midrachim qui racontent ce que Joseph a pu ressentir, lors de son séjour en prison, lui qui était très gâté par son père, un peu délicat et féminin, jeté au milieu de barbares et de sauvages dont il ne connaissait pas la langue, battu, humilié, torturé par l'attente, l'angoisse, le sentiment d'être "oublié".
Ce qui le tire d'affaire, lui permet de tenir et de s'en sortir, c'est qu'il possède une sagesse en lui qui lui permet d'interpréter. Interpréter les rêves. Interpréter aussi les évènements qui le touche et le sort qui s'acharne sur lui. Lors de l'épisode dans lequel Pharaon le fait intervenir pour interpréter les rêves, la Torah nous dit qu'il a délivré son explication après celle de tous les sages d'Egypte "hartouméi Mitsraïm" => les "sages", les "mages" d'Egypte. Qui étaient-ils? (Job, Yitro…) Je les imagine un peu comme ces gens qui ont toujours un avis sur tout, qui savent tout, qui comprennent tout mieux que tout le monde, et qui racontent en détail ce qu'ils n'ont pas vu. On raconte que leurs interprétations des rêves de Pharaon ne lui convenaient pas. Peut-être parce qu'il la connaissait au fond de lui-même mais qu'il n'osait pas la formuler. Peut-être aussi que par leur certitude Pharaon ressentait qu'on lui faisait violence en ne laissant aucune marge à la subjectivité, à l'incertitude, à l'espoir. Lorsque Joseph arrive et qu'il lui demande "est-ce que c'est toi qui sait interpréter les rêves?" il répond "ce n'est pas moi, c'est Dieu" et par là laisse entendre qu'il n'y a pas de fatalité, que les choses peuvent se passer autrement que de la façon dont les hommes l'ont compris.
Pour en revenir au thème de notre paracha (et du diner du Talmud Torah), le chabbat, j'avoue que personnellement j'ai eu envie de faire chabbat toute la semaine, et de ne pas entendre un certain vacarme médiatique qui fait irrésistiblement penser aux "mages d'Egypte".
Le texte de cette paracha est un peu gênant pour nos esprits modernes, et fait un peu penser aux textes du Deutéronome : si le peuple d'Israël respecte les chabbats, tout ira bien, mais s'il ne les respectera pas, voici tous les malheurs et les malédictions qui vont lui arriver. Cette théologie dite "de la rétribution et du châtiment" est extrêmement problématique, et nous aurons l'occasion d'en parler plus longuement. Mais il faut quand même savoir que lorsque la Torah nous "menace" en nous disant que pour le non respect du chabbat les cultures seront frappées ainsi que les enfants, à propos de ce passage un rabbin /prophète du 20ème siècle, A. B. Heschel, a dit "on croit souvent que ce sont les juifs qui gardent/observent le chabbat. Mais plus que cela, à travers l'histoire c'est le chabbat qui a gardé/protégé les juifs". Que voulait-il dire? Probablement que ce qui a fait qu'au fil des générations une certaine transmission du judaïsme a réussi, c'est grâce à ces rendez-vous hebdomadaires, familiaux mais aussi communautaires, durant lesquels on se retrouve on échange et on partage, on apprend, on chante, et incidemment, presque inconsciemment, nous donnons à nos enfants des outils pour grandir avec le judaïsme et le transmettre à leur tour.
Heschel au 20ème siècle, les sages du Midrach, la Torah, tous s'accordent sur un seul message : le Talmud Torah sert à enseigner quelques rudiments de lecture de l'hébreu, de la liturgie et des fêtes. Mais pour réussir la transmission d'une identité et d'un lien communautaire, il est indispensable de venir régulièrement passer chabbat dans une communauté.
Chabbat chalom

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