Pessah/Ivri : l'entre-deux (Par Maayane Meyer)

En ce chabat de khol ha moed, qui prend place entre deux bords, le 1er et le 8ème jour de Pessah, je voudrais que vous m'accompagniez dans un voyage précisément dans cette notion d'entre-deux, présente dans tout le texte, dans les mots même de toute l'aventure des  b'nei Israel : PESSAH et IVRI.

Tout d'abord PESSAH : vous savez que ce mot veut dire SAUT, (pass over en anglais qui image bien ce dont il est question), impulsion d'un lieu vers un autre.
Puis IVRI –hébreu- qui veut dire passeur, de lui vers lui –lekh lekha- et vers l'autre, le prochain.
Vous voyez, le rapprochement entre les deux termes se fait d'emblée : il définit ce qu'est être juif : celui qui est en mouvement, jamais immobile. Tout ce qui cristallise, paralyse, fige lui est étranger.
D'ailleurs le Talmud dans son traité Méguila ne nous dit pas autre chose quand il énonce
"Quiconque rejette l'idolâtrie est appelé Juif".

Cet espace intermédiaire donc, cet enjambement d'une rive à l'autre –de Mitsraim au désert puis à Canaan- l'ivri va le traverser.
Se faisant, il va construire sa liberté et accomplir le sens de la promesse.
C'est une rupture radicale dans le temps et l'espace, un saut qualitatif de l'état d'esclave où les heures et les jours, comme les briques, se ressemblaient dans une similitude mortifère, à un état où l'individu et le peuple, s'autonomisent et donc se responsabilisent.
Cet "entre-deux" entre les 1ères contractions de la naissance, une nuit de Nissan, et la séparation définitive d'avec le lieu de l'étroitesse, de l'angoisse, autorise le déploiement du désir, de l'élan vers la vie.

L'homme hébreu ne nous invite pas seulement à passer d'une rive à l'autre au prétexte que "l'herbe est plus verte ailleurs", non, il nous fait comprendre que le vivant réside dans le passage même, dans l'intervalle : l'Ivri est en devenir, jamais installé, en constante tension.
A l'image de Dieu dénommé par les 4 consonnes imprononçables car  précisément séparée par du vide, l'Ivri se coule dans le sens de l'expression "Eyeh acher Eyeh".
Son identité se construit, elle a à être.

Rabbi Tsadock affirme quant à lui que l'espace, le "blanc" entre les mots de la Torah, constitue le creuset du sens de la Loi. C'est le secret de l'herméneutique qui toujours à l'œuvre au présent, actualise la pensée en empêchant qu'elle se paralyse.
Et puis, m'appuyant sur la KBL, je ne vous apprendrai rien en vous disant que l'Homme a été créé à partir d'une rétraction de la divinité qui, instaurant ainsi un espace, a non seulement fait œuvre de création mais a rendu possible la vie des Hommes.


Et, dans un autre registre, toujours pour continuer à approfondir la notion d'entre-deux, je citerai la Michnah –Traité Avot : "Tous mes jours, j'ai grandi entre les Maitres" : c'est-à-dire qu'au-delà de ce qui est dit, la Makhloket entre Sages, révèle un espace fécond d'interprétations.

Vous l'avez compris, quand les Bnei Israel laissent derrière eux l'Egypte, ce n'est ni en fuyards ni en clandestins cherchant un hypothétique refuge dans une hypothétique terre d'accueil.
Non, ils ont entendu un appel et ils y croient : ils seront les bâtisseurs et les garants d'un projet particulier : un pied sur la rive de l'esclavage -Mitzraïm- et l'autre sur la rive opposée  de la Mer Rouge, l'écart –le grand écart- se veut être le creuset de la liberté et de son corollaire, la responsabilité
Il n'y aura pas de "repos du guerrier" pour les Ivrim arrivés à pied sec sur la berge opposée qui, quoiqu'inconnue, génère moins d'angoisse que l'enfermement de l'esclavage : le désir et l'élan vital sont préférables, ils ouvrent un chantier, celui de l'accomplissement de la Parole prophétique.

J'espère vous avoir sensibilisés à la notion essentielle à mon avis, d'entre-deux.
Pour terminer, je reprendrais à mon compte le titre d'un ouvrage de Raphael Draï pour qui l'essence de l'homme hébreu, l'IVRI, le passeur ou celle de PESSAH, le saut, c'est "l'invention de la liberté".

Chabat chalom

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