Metsora

Chers amis,
Comme nous l’avons vu déjà dans la paracha précédente, la paracha Metsora parle de la lèpre, et de la façon dont les prêtres doivent « traiter » les personnes contaminées. Je mets le mot traiter entre guillemets car la médecine antique étant ce qu’elle est, et consciente de son impuissance, le seul traitement consistait à isoler le malade pour éviter la contamination des autres, attendre pour voir si la maladie évoluait, si la tache sur la peau ne grossissait pas plus après sept jours on réintégrait la personne car on considérait que ce n’était pas contagieux, mais si la maladie de peau s’aggravait et que les taches grossissaient… alors le texte ne nous dit rien de précis mais nous laisse seulement deviner le drame qui se joue. Le malade devra être mis en quarantaine, car tous les traitements à leur connaissance seront impuissants, et devra souffrir et mourir isolé de tous afin d’éviter la propagation de la maladie dans le peuple. Pour sauver toute la communauté, il faut sacrifier ceux qui la mettent en danger. Comme lorsqu’on tente une amputation d’un membre infecté afin de sauver la vie de la personne et du reste de son corps.
Dans le droit Talmudique, cela porte un nom : DIN RODEF. « Rodef » c’est quelqu’un qui pourchasse une personne pour tenter de l’assassiner. Le Talmud codifie dans ce cas les règles que nous appellerions de « légitime défense », dans lesquelles non seulement la personne dont la vie est en danger a le droit de se défendre par tous les moyens, mais aussi un témoin de la scène peut décider de prendre une part active dans les évènements et décider de neutraliser voire de tuer le « rodef » afin d’éviter un assassinat.
Cette règle qui à l’origine appartient au droit pénal a été étendue à certains cas d’éthique médicale, lorsque par exemple un accouchement se présente mal et l’enfant met en danger la vie de sa mère, il est appelé « rodef » et on donne l’autorisation de le faire sortir par tous les moyens même si on doit aller jusqu’à –l’expression de la michna est très dure- « Hotrim oto evarim evarim » « on le découpe en morceaux ».

Dans ce cas précis comme pour les lépreux de notre paracha, la fonction d’un texte « technique », qu’il soit juridique ou médical, n’est pas de s’apitoyer sur le sort des personnes touchées par ces épreuves terribles, mais d’assurer la survie du groupe et sa cohésion sociale. Néanmoins, sans tomber dans un travers larmoyant, on peut s’imaginer la souffrance endurée par des familles touchées par le malheur, divisées, séparées, déchirées entre le désir de soigner leurs proches et la nécessité de se tenir éloignés pour leur propre santé. Combien ont tenté de dissimuler leur maladie pour éviter l’exil, le déshonneur, la mort sociale ? Combien de personnes saines ont décidé malgré tout de suivre par amour un des leurs, leur enfant peut-être, vers cette zone « hors du camp », ce « makom tamé » où devaient se rassembler tous les lépreux pour tenter de survivre ensemble à l’écart ?
Tout cela n’est pas abordé, car la Torah n’est ni une tragédie grecque, ni les Évangiles, dans lesquels Jésus n’hésite pas à entrer en contact avec les lépreux pour les guérir miraculeusement.
De ce drame humain, la Torah va faire autre chose.
Par exemple en associant ce texte à la haftara issue du second livre des Rois, dans laquelle 4 lépreux sont assis à l’écart d’une ville assiégée, à l’extérieure des murailles. Promis à une mort certaine puisque la ville est affamée, n’ayant rien à perdre ils décident d’aller roder autour du camp des ennemis pour voir s’ils peuvent trouver un peu de nourriture. C’est de par leur position, la plus basse socialement, leur mise à l’écart, leur statut de pestiféré, qu’ils vont être les annonciateurs du salut, de la délivrance, de la libération, de la victoire pour tout le peuple d’Israël.

C’est une thématique qui est revient sous diverses formes dans la Torah : les petits, les sans grades, les méprisés, les rejetés, sont justement ceux desquels vient la délivrance. Ce motif développé dans la Genèse avec Avraham et Joseph le sera aussi plus tard à l’époque des Juges avec Guideon et Yiftah. On pourra aussi citer Ruth et Naomi, et bien sûr David qui avant de régner devra passer par une sorte de « traversée du désert » durant laquelle il sera réduit à la clandestinité avec quelques dizaines de fidèles, moitié rebelles moitié brigands.
Plus tard, ce sera le rôle des dirigeants spirituels du peuple juif, dès l’exil et durant toutes les époques, en Babylonie, en Afrique de Nord, en Espagne, en Allemagne, en Europe centrale, d’expliquer, de rassurer, de convaincre que la rédemption, le renouveau, la délivrance non pas du seul peuple d’Israël mais de toute l’humanité réside dans le destin particulier de ce petit peuple systématiquement rejeté et persécuté.
Ce motif est évidemment le motif du début du livre de l’Exode et de la fête de Pessah, puisque le peuple méprisé et réduit en esclavage et celui qui attire les faveurs de Dieu et mérite la délivrance.
Mais au-delà des récits littéraires, il y a là un message intemporel adressé à tous les infirmes, les malades, les atypiques, les « anormaux » les rejetés de la société, les parias, les asociaux, tous ceux que le destin a touché : il ne sert à rien de se lamenter et de se complaire dans une posture de madone frappée par le malheur, pas plus qu’il n’est utile de rester dans l’attente d’un sauveur providentiel envoyé par Dieu pour réparer les « injustices » de la vie. Au contraire, il appartient à chacun de dépasser, de surpasser, de surmonter son malheur pour que l’expérience serve, ne serait-ce que par l’apport d’une petite pierre à la construction d’une société humaine moins inégale et violente, plus juste, plus solidaire.
Dans une œuvre majeure de la pensée juive médiévale, intitulée « Le Kuzari » le grand poète et philosophe Yéhouda Halévy met en scène un évènement qu’on dit historique : la conversion au judaïsme au 6°/7° siècle d’un roi d’une peuplade d’Europe centrale, les Khazars, au judaïsme. Il construit son récit comme une sorte de dialogue platonicien entre un rabbin et le roi des Khazars, qu’il va finir par convaincre. Le but de ce livre est exposé dans son sous-titre : « Apologie de la religion méprisée ». Cette forme littéraire est particulièrement pratique et confortable pour faire passer ces idées, puisqu’il rédige les dialogues des deux, et permet à l’auteur de faire passer quelques messages critiques sur ses contemporains juifs dans la bouche du roi des khazars.
A un certain moment, le rabbin entame un certain discours lacrymal très courant chez les juifs, déjà à l’époque :
- nous les juifs avons toujours souffert, nous avons toujours été de côté des plus faibles, des opprimés, et nous n’avons jamais fait de mal à personne… 
Ici le roi des Khazars lui coupe la parole et lui dit « 
-         stop ! [Je n’accepte pas cet argument] si vous avez toujours été opprimés, c’est le résultat de circonstances historiques. Ce n’est que lorsque vous serez mis à l’épreuve de des évènements, en position de dominateur, de forts, que l’on pourra juger de vos qualités morales et de votre capacité à organiser une société juste et égalitaire. 
Et le rabbin, ne trouvant rien à dire, lui dit : « tu as raison ».
Ce message envoyé par Yéhouda Halévy est encore à méditer plusieurs siècles plus tard, à chaque fois qu’on aborde le thème du rejet des lépreux.
Chabbat chalom

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