Pekoudé (par Romain Nouchi)

          Le second livre de la Torah se termine ce shabbat, avec la lecture de la paracha Pekoudé .Pareille à la fin du livre de Shemot, cette sidra clôture le cycle des parachiotes, consacrées aux comptes et à la construction précise, ainsi que récurrente, du temple du désert.
10 coudées la largeur de telle planche, 2 coudées et demie la table en bois de chittim, une bordure d’or large d’une palme, 29 kikkar plus 730 sicles selon le poids etc etc.…
Coup de bol qu’il y avait un Castorama dans le quartier, et qu’on a gardé le ticket de caisse.
La paracha traite également de l’habit de grand prêtre, un vêtement hors du commun je l’accorde, mais qui ne m’a pas vraiment inspiré, peut-être parce qu’après tout, dans le monde juif nous sommes habitués à porter des vêtements peu communs. Kippa, tsitsit, talith et bien d’autres. Quand au Michkane, il avait déjà attiré mon attention au cours de la paracha Téroumah.

          Dieu parla à Moise en ces termes : «parles aux enfants d’Israël, et dit leur de me construire un sanctuaire, et je résiderai au milieu d’eux.»
D’après une exégèse chrétienne, le texte aurait voulu dire que le peuple devait individuellement se construire un sanctuaire personnel, afin que Dieu y réside. Mais nous savons bien comme les juifs sont attachés aux écritures, et comme leurs actions collent à celles-ci. Toujours dans le Houmach, on apprend que dans le temple il y aura un autel où on fera bruler l’encens, et on pratiquera les sacrifices. En tant que juif contemporain, ces pratiques me sont complètements étrangères.

           Pendant 2 millénaires d’exil, la question du temple restait théorique .Quand on regarde la Torah, on s’aperçoit que mit bout a bout, les 2/5 de celle-ci parle du temple, que 343 des 613 mitsvots, sont liées au temple, et que la liturgie est bercée par le souvenir du temple. Alors maintenant que le peuple juif est de retour en terre promise, sans celui-ci,  sommes nous en accord avec la Torah ?
Pour comprendre l’édification d’un tel projet, il faut se replonger dans le contexte de l’époque, soit environ 3 millénaires plus tôt. Quand l’Eternel fait sortir les hébreux d’Egypte, il les arrache à 400 ans d’esclavage, au sein d’un peuple païen, qui rend son culte à des idoles visibles et palpables. Le projet divin est ambitieux, et révolutionnaire pour le lieu et l’époque. Le Dieu des patriarches est un Dieu unique, immatériel, qui refuse même qu’on lui donne un nom propre, il révèle sa doctrine sous forme oral, et sa seule manifestation palpable, reste les tables de la loi, brisées une première fois par Moise, effaré de découvrir son peuple adorant un veau d’or. La transition jusqu’ au monothéisme est fastidieuse, et le changement a peu de chance de se faire de façon radicale.
         L’Eternel procède donc par étapes progressives, et la première de celles-ci est la construction du michkane, puis s’ensuit la nomination hiérarchisée de prêtres, l’institution de rites, de sacrifices et d’offrandes, pour occuper le peuple par des coutumes répandues et familières. En somme « j’aime mon dieu, il m’a fait sortir d’Egypte, alors pour le servir je vais lui faire une Dafina ». Maïmonide, dans son guide des égarés, livre philosophique destiné aux rationalistes, appelle cela la pédagogie divine. Selon lui, le sens du culte sacrificiel trouve son origine dans les cultes idolâtres. En faisant sortir les Bné Israël d’Egypte, D. n’a pas voulu leur imposer un culte dépouillé de tout rituel, mais a demandé d’orienter ce culte sacrificiel vers lui seul  « ok, soyons idolâtres, mais pour ‘le vrai’ D. » sorte de concession divine.
        
         Il est évident que les sacrifices nous paraissent barbares de nos jours, le sang des animaux coule, des animaux à qui on a rien demandé, et l’odeur nauséabonde des cadavres se répand. D’après Nahmanide, les sacrifices étaient expiatoires, le sacrifiant devait comprendre l’énormité de sa faute, au point de lui faire ressentir qu’il aurait du subir tous ce que subit l’animal sacrifié. D’autres encore diront que le sacrifice  servait à canaliser et à freiner la pulsion meurtrière des humains. Notre colère intérieure étant fréquemment rejetée sur les autres, l’animal servait donc de transfert, de bouc émissaire.
         Mais de nombreux prophètes rejetaient le culte sacrificiel, et souhaitaient le remplacer par un code moral supérieur de valeurs étiques. Ces derniers critiquaient vigoureusement la manière laxiste d’offrir les sacrifices, comme si à eux seuls, ceux-ci suffisaient à expier les fautes.

         Une fois les hébreux en terre sainte, le temple portatif s’établi d’abord à Silo. Il y restera près de 400 ans pour être ensuite enlevé par les Philistins, et transporté à Gibeon, ou il reste jusqu’au règne du roi Salomon. Le premier temple de Jérusalem, construit par celui-ci s’achève approximativement, au Xème siècle avant l’aire Chr. pour y être détruit une première fois par les Babyloniens en -586. Le second temple reconstruit en -515, sera détruit en l’an 70 par les Romains. Les 2 temples comportent plusieurs différences, dont une me parait intéressante. Une partie de la cour extérieure, accessible aux prosélytes qui vénéraient D., sans être soumis aux lois du judaïsme.

         Sans lieu de culte et en exil, le judaïsme se retrouve confronté à un choix de taille : évoluer ou s’éteindre ? Finalement la religion se réorganise, et la destruction du 2ème temple influence quasiment tous les aspects de sa pensé et de sa pratique. L’évènement est certes vécu comme un deuil,  il y a d’ailleurs différentes halakhot à ce sujet, mais il fait également naître l’espoir indomptable d’une reconstruction prochaine.

      Comment cette évolution s’oriente ? Il est probable que sans le temple, le peuple se tourne vers ce qui lui reste de D., soit la Torah, qui est la parole révélée. L’étude s’intensifiant, elle donnera plus tard naissance au Talmud, au Zohar, au Choulhan haroukh et encore bien d’autres ouvrages centraux pour le judaïsme.
  
Quand à la prière, les maîtres du Talmud discutent sur son origine. Pour les uns, elle a été instituée en remplacement des sacrifices du Temple. D’autres y voient les trois patriarches à l'origine. Le premier avis s'attache à l'aspect historique, le second considère la prière comme une affirmation identitaire, qui remonte aux pères d'Israël

(Talmud de Babylone, traité Bérakhoth page 26 b)
Rabbi Yossé fils de Rabbi Hanina enseigne : les patriarches ont institué les prières. Rabbi Josué fils de Lévi enseigne : les prières correspondent aux sacrifices. Ces deux avis se trouvent corroborés par des sources plus anciennes. Pour justifier l'avis de Rabbi Yossé fils de Rabbi Hanina, nous trouvons en effet ce texte : Abraham institua la prière du matin, comme il est dit (Gn 19) : "Abraham se leva de bon matin à l'endroit où il se tenait debout", or "se tenir de bout" désigne l'attitude de prière, comme il est dit (Ps 106) "Pinhas se leva et pria". Isaac institua la prière de l'après midi, comme il est dit (Gn 24) : "Isaac sortit pour méditer dans les champs au temps du soir", or la méditation désigne la prière, comme il dit (Ps 102) : "Prière du pauvre… qui exprime sa médiation devant l'Eternel". Jacob institua la prière du soir, comme il est dit (Gn 28) : "Il heurta l'endroit et il dormit là", or le fait d'heurter désigne la prière, comme il est dit (Jr 7) : "et ne me heurte pas".

      Le chemin parcouru depuis Pékoudé à nos jour est considérable, néanmoins la tentation idolâtre et le besoin de matérialiser ce qui nous échappe existe toujours, et ce, d’après les commentateurs, jusqu’aux temps messianique.

      Pour conclure, 3 questions restent en suspens, et pour y répondre j’espère prochainement un cours du rabbin :
- La 1er : L’aspect cultuel de la religion est il encore nécessaire ?
- La 2ème : Faut-il réduire la religion à sa moralité et à sa stricte rationalité ?
- La 3ème : Doit-on nécessairement trouver moralité et rationalisme dans le culte ?

CHABBAT CHALOM

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