Ki Tissa (par Maayane Meyer)

Le titre de cette paracha évoque un dénombrement, c'est-à-dire un décompte, une individuation au sein du peuple hébreu sorti d'Egypte il y a peu et marchant dans le désert vers la Terre de la Promesse guidé par Moché –le plus grand des prophètes.
Cet am israel va vivre à nouveau un moment crucial culminant son aventure, un épisode où la tentation de basculer dans l'antithèse de son projet initial, -le culte du Dieu Un qui les a assigné à une vocation sacerdotale- est porté à incandescence.

Or, ce peuple à la nuque raide penche dangereusement vers une vocation simplement humaine avec ce qu'elle comporte d'appréhension face à une éthique transcendante.
L’épisode est célèbre : il décrit le choc entre la spiritualité dont Moché est le témoin  et la déviance matérialiste de son peuple.
C'est l'épisode du Veau d'Or et de la brisure des Tables du Témoignage.
Moché, celui du Buisson Ardent, de la Mer Rouge, gravit le Har Sinaï, s'élève vers Hachem, va à la rencontre de ce Dieu qui veut en faire le dépositaire d'un Texte inaugurant une Loi assumée et partagée par tous les bnei israel.
Ceux-ci devront reconnaitre qu'une puissance les transcende et les enjoint d'en respecter les dires et ses déclinaisons afin de parvenir à un "vivre ensemble" dans l'amour du prochain et d'Adonaï.
C'est donc dans un faces-à-faces –panim-el-panim, dans un voilement à peine perceptible, que Dieu va graver ses recommandations sur des Tables transparentes de cristal écrites et lisibles de part et d'autre, nous dit le Midrash.
Moché, rayonnant de lumière, descend alors vers son peuple avec son fabuleux paquet dans une main.
Mais là, que découvre-t'il ? Dieu l'avait prévenu : le peuple –impatient et  peu confiant à nouveau- a perdu le sens de sa mission. Il a confectionné une statue, un Veau en or !
Alors, les lettres figurant sur les Tables s'envolent ne laissant que des morceaux de pierre alourdis. Sous le poids de la déception et de la tristesse, Moché de ses deux mains et dans un geste de colère devenu fameux, les jette à terre. Geste impulsif –volontaire ou involontaire ? – Dieu seul le saura qui le lui pardonnera (Deut. 34.12).
Il n'en reste pas moins que la Parole est brisée. Elle ne sera plus jamais comme avant. 
La leçon est claire : L'Homme n'est pas apte à faire siennes les paroles provenant en live de Dieu.
Que va faire Moché ? Il est prophète et donc porteur d'une mission : il tire sa foi – sa emouna – d'une évidence tirée du fond de son intériorité. Il va arracher du plus profond de lui-même, une force lui permettant de remonter sur le Har Sinaï pour plaider la cause de
ce peuple à la nuque décidément bien raide.
Hachem se révèlera à nouveau à lui dans tout son kavod mais se montrera très réticent. Il finira malgré tout par accéder au désir de Moché et scellera l'Alliance sur deux nouvelles Tables –copies de l'original- : l'une traitera des relations à Dieu, l'autre des relations au prochain.
Moché redescend ; cette fois, il ne s'est pas laissé griser par sa sublime proximité avec Adonaï ; il n'est pas en retard ; le peuple l'a attendu.
Il demande à ce que ces nouvelles Tables soient placées, avec les débris des 1ères, dans une Arche, au milieu de la Tente du Témoignage, hors du camp : les bnei Israel devront faire l'effort de se retirer de leur quotidien pour venir entendre l'écho de la voix d'Adonaï dans ce lieu.  1ère yeshiva !

La Tora, les 10 Paroles, les 613 mitsvoth, les Commentaires……. Tout cet héritage nous a été légué afin que chaque génération le transmette à son tour. Mais attention, pas sur le mode idolâtre de LA lettre, totale, pleine, gravée une fois pour toutes et ne faisant l'objet que d'un "copier/coller" ; non, c'est à partir d'une brisure, d'un sym-bole que s'ouvre la pluralité des significations d'une parole vraie si l'Homme accepte d'en être responsable. Car la parole gravée –harout- n'engendre la liberté –herout- que si elle est assumée par celui qui l'énonce et par celui qui l'entend.

Le philosophe écrira : "L'acte de désigner place les choses dans la perspective d'autrui".
C'est alors, et alors seulement, que la mise en acte juste peut survenir.

Jacques Lacan soulignera quant à lui : ""La Révélation comme telle, à savoir la parole comme porteuse de vérité". 

Moché est parvenu à ses fins, provisoirement, et il le sait. Il sait que la parole émanant d'un Dieu transcendant, non figurable, au nom dont la prononciation est brisée, est une gageure
pour un peuple ayant vécu tant d'années environné de constructions massives symbolisant le pouvoir d'un autocrate à la parole absolue, idolâtrée…
Or nous savons par le Traité Meguila 13A du Talmud qu'" est appelé juif  quiconque rejette l'idolâtrie".
Pour les bnei Israel donc, la parole initiatrice est brisée, d'entrée : elle laisse place à un intervalle, à un écart, qui seuls permettent à l'individualité, à la subjectivité d'exister.
Je citerai pour terminer une phrase tirée du livre de Zvi Kolitz du livre "Yossel s'adresse à Dieu" :
"……Je suis heureux d'appartenir au peuple dont la Tora représente ce qu'il y a de plus élevé et de plus beau dans les lois et les morales".


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