Roch Hachana 5774 (second soir)

Chers amis,

J’avais une prof. au séminaire rabbinique qui refusait de participer à la cérémonie de Tachlikh, en disant que c’était de l’idolâtrie. Je pense qu’elle voulait dire que les sources anciennes ne parlent pas de cette cérémonie, et la source du Minhag vient probablement d’une coutume chrétienne du XIV° siècle, que les ashkénazes auraient adopté au XV°, puis les séfarades par la diffusion des enseignements de Rabbi Hayim Vital, un des cabbalistes de Safed au XVI°.

D’après les quelques recherches que j’ai effectuées rapidement hier, il existe encore des communautés ou des individus qui refusent de pratiquer Tachlikh pour des questions idéologiques. Je comprends leurs arguments, même si à titre personnel je trouve que cette tradition ne fait pas de mal, et qu’elle peut même faire du bien au niveau symbolique, en matérialisant les fautes commises et les attitudes négatives, et en permettant de s’en débarrasser le plus loin possible, vers un endroit d’où elles ne reviendront jamais (les profondeurs de la mer).
Ce qui est mal vu par la tradition juive, c’est de jeter des objets à Tachlikh. Parce que matérialiser spirituellement, conceptuellement, c’est possible, mais pas avec un nombre précis d’objets. Je vais à la mer pour ressortir/recracher tout ce qui me pèse sur la conscience, mais si je jette 1,2 ou 4 cailloux… j’affirme que j’ai autant de fautes que de cailloux. Or si on commence comme ça, tous les grains de sables de la plage n’y suffiraient pas.

A Roch Hachana, comme pendant le mois de Eloul et les dix jours qui précèdent Yom Kippour, les juifs pratiquent le Vidouï : l’affirmation qu’ils ont fauté et une énumération convenue de toutes les fautes possibles, avec la possibilité d’en rajouter quelques-unes à titre personnel.

Mais les juifs ne comptent pas leurs fautes. Cette entreprise n’est pas à taille humaine. Sans compter l’impossibilité de comptabiliser les fautes dont nous n’avons pas conscience, soit parce qu’elles nous sont cachées (involontaires), soit parce que nous ne savons pas qu’elles sont des fautes.

L’entreprise de comptabilisation des humains et de leurs actions est l’apanage du divin. Dans le langage de la Michna :
משנה מסכת ראש השנה פרק א משנה ב
[ב] בארבעה פרקים העולם נידון בפסח על התבואה בעצרת על פירות האילן בראש השנה כל באי העולם עוברין לפניו כבני מרון שנאמר (תהלים ל"ג) היוצר יחד לבם המבין אל כל מעשיהם ובחג נידונין על המים:
« A Roch Hachana tous les êtres vivants passent devant lui comme des Bnei Meron… » Qui sont les Bnei Meron en question ? Du bétail, des moutons etc. Avant qu’on réalise que ce n’était pas un mot hébreu mais bien un mot grec numeron qui donnera en français « numéro » ou bien « nombre ».

Les êtres humains ne comptent pas, ils sont comptés. Mais cela ne veut pas dire que nous ne sommes que des numéros, au contraire ! La Michna insiste sur le fait que chaque être vivant est important aux yeux du créateur. Chaque homme ou femme compte. Etre présent à Roch Hachana, c’est réaliser que quelle que soit l’immensité de la création, nous comptons pour quelque chose puisque nous y avons une place.

J’insiste lourdement sur cette notion de compte, et c’est la richesse du français qui me permet de faire passer un message. En français le verbe compter peut se conjuguer comme un verbe intransitif (compter quelque chose) ou avec un adverbe (compter pour, ou compter sur).

Ce que nous pouvons (et même devons) compter à Roch Hachana, c’est le temps qui passe, les jours et les années.

Mais la Torah, et principalement le livre des Nombres, considère comme un tabou le dénombrement des hommes, qui attire le mauvais œil ou donne trop de confiance en la force. Ainsi, chaque fois qu’il y a un recensement, il y a soit expiation par une taxe qui va servir à se racheter (comme le demi-shekel) ou bien un malheur qui suit directement (une épidémie à l’époque du roi David).

Néanmoins il existe un compte qu’on est autorisé à pratiquer, sous certaines conditions, car il est nécessaire pour la liturgie. Vous voyez où je veux en venir, il s’agit du Minyan.

Personne ne sait d’où vient que l’on doive être 10 pour prier en public. Comme vous le savez sûrement, le Talmud prend cette notion comme une donnée de base et cherche à lui trouver une preuve dans la Torah, en parlant des explorateurs, et cherche à justifier la pratique qui veut qu’on ne compte que les hommes. Mais ce n’est pas de cela que je veux parler ce soir.

Ce que je veux dire, c’est que Roch Hachana est aussi l’occasion de faire un véritable examen de conscience (Hechbon Nefech) pas pour compter ses fautes, mais pour se demander si on peut véritablement compter sur nous.

Le minyan est une chose incroyable, puisqu’elle oblige chacun à être investi d’une mission : faire partie de l’ensemble, une partie nécessaire et indispensable puisque sans chacun des membres la totalité s’effondre comme une construction à laquelle on enlève une brique.

Pour compter dans le minyan, il n’y a rien à faire, à part être présent et répondre à certains endroits de l’office. Et c’est déjà beaucoup, car sans minyan il n’y a pas d’office. Tout cela vous le savez déjà.

Et pourtant, qu’il me soit permis en ce second jour de Roch Hachana de poursuivre un exercice initié l’année dernière un peu maladroitement : hechbon nefech, un examen de conscience communautaire.

Je ne crois pas que la notion de Minyan soit bien intégrée par la plupart du public de Maayane Or, même si certains, parmi les convertis, se sont battus pour être comptabilisés dans le minyan, ou d’autres, parmi les femmes, ont conquis à force de ténacité le droit de compter dans le minyan. Ce qui n’est pas bien intégré, à mon sens, c’est que ce droit, comme tous les droits, induit automatiquement un devoir et une responsabilité.

Un devoir avant tout vis-à-vis des autres : ceux qui veulent ou doivent réciter Kaddich en souvenir d’un proche décédé, ceux qui sont venus avec l’intention d’écouter la lecture de la Torah avant une certaine heure, ceux pour qui le chabbat ou les jours de fête ne sont pas une occasion de se lever tard et de flâner mais bien une occasion d’accomplir son devoir le mieux possible.

Une responsabilité car une synagogue ne vit pas qu’avec des adhérents qui envoient des chèques par la poste. Elle vit de ceux qui la font vibrer et respirer jour après jour. Certains ont parfois l’impression que la synagogue peut bien se passer d’eux, et que l’office aura lieu de toute façon. Sauf que rien n’est moins sûr.

Je raconte souvent l’anecdote de la rue où j’habitais à Jérusalem : pour attirer les hommes qui passaient dans la synagogue pour Minha, le Gabbaï sort sur le trottoir et crie « assiri, assiri ! »(On attend le 10ième !) Sachant qu’il est le dixième, aucun passant ne peut refuser d’entrer, car à cause de lui la prière n’aura pas lieu. En entrant, le passant naïf a la surprise de découvrir qu’ils ne sont que 3 ou 4 ! Mais on lui répond par une phrase aussi logique que définitive : « avec toi, ça fera 10… ».

De même, aucune personne élevée avec la conscience de l’importance d’un minyan ne se permettrait de sortir d’une synagogue, quelle que soit l’urgence de ses occupations, sans s’être assuré qu’il y a suffisamment de personnes pour que l’office se poursuive sans elle ou lui.

Très fréquemment, j’entends des gens qui me posent la question : à quelle heure est-ce qu’on sort la Torah demain ? Je décode : « je trouve l’office du matin long et ennuyeux, je n’ai pas la patience, et je ne me sens pas concerné par la Halakha qui demande de réciter le chéma avant une certaine heure de la journée. La seule chose qui m’intéresse est de découvrir le texte de la paracha et les commentaires qui vont avec. » Ici je tiens à préciser que je comprends très bien cette attitude, que je la respecte, et que je ne suis pas en train de culpabiliser qui que ce soit. Je suis simplement en train de vous dire que la seule réponse possible à la question « à quelle heure on sort la Torah ? » est : « quand vous voulez ». Puisqu’on ne peut sortir la Torah qu’en présence d’un minyan, et que pour avoir minyan, on vous attend… et le serpent se mord la queue.

Je me livre à cet exercice parce que je crois que pour aller de l’avant il faut parfois se dire les choses franchement et accepter de les entendre, comme on peut le faire dans une vie de couple, pour mieux avancer et continuer ensemble.

Je suis donc à l’écoute pour faire évoluer les offices et les rendre plus attrayants, plus interactifs, plus intéressants, plus mélodieux. Mais ce qu’il ne faut pas oublier c’est qu’à l’origine une synagogue n’est pas un lieu où l’on vient se distraire, se changer les idées ou « consommer du divertissement ». C’est au contraire un lieu où l’on vient régulièrement pour faire des efforts, se concentrer, apprendre, évoluer, et apporter aux autres sa présence.

Dans une synagogue, chacun compte, et c’est la responsabilité de la communauté de le faire ressentir à ses membres. Mais l’inverse est aussi vrai : la communauté doit savoir qu’elle peut compter sur chacun pour continuer à vivre et se développer.

Chana Tova !


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