Vaera 5772


Chers amis,
 
La paracha de cette semaine s’ouvre sur la suite d’un dialogue entamé dans la paracha précédente, entre Dieu et Moché : une « révélation », une confidence => je suis le Dieu qui est apparu aux patriarches Avraham Itshak et Yaakov, mais je ne leur ai pas révélé mon nom « Hachem », le tétragramme. Certains commentateurs considèrent cette confidence au sens premier « pchat » et tentent de répondre aux difficultés que cela pose, puisque le tétragramme apparaît effectivement dans la Genèse à plusieurs endroits, en rapport avec les patriarches. D’autres vont s’engager dans une description apologétique des qualités de Moché pour expliquer pourquoi lui a eu le mérite de recevoir cette révélation et pas les patriarches : ses qualités auraient été supérieures etc. Enfin, une troisième catégorie de commentaires s’intéresse à la question de l’apparence, de la perception divine dans le texte de la Tora. En quoi le « hachem » du livre de chemot est-il différent du « hachem » de la Genèse ? A cela, on répond généralement que Celui qui entre en contact avec la lignée de patriarches Avraham Itshak et Yaakov ne se manifeste pas par des actes surnaturels mais par des promesses et une alliance dont aucun des trois ne verra ne serait-ce que le début du commencement de la réalisation. Pour résumer : la Genèse = le temps de l’élection, de l’alliance et des promesses. L’Exode = le temps de la réalisation, de la mise à l’épreuve de l’alliance, et de l’intervention divine dans l’histoire. C’est ce qui se passe dans le début de Vaéra : une scène que j’appellerais, si ce mot n’était pas si empreint de christianisme, une annonciation. L’annonce, l’avertissement de ce qui va suivre : jusqu’à présent, Dieu jouais certes un rôle de premier plan dans le texte, dans la narration, mais pas dans l’Histoire. Il était en retrait, ne s’adressant qu’à des individus, observant, jugeant sans vraiment intervenir (je précise que je parle de la Genèse dans les épisodes qui traitent des patriarches et pas de la création ou du déluge, qui renvoient à un passé mythologique…). A partir de maintenant, avec le livre de chemot, s’ouvre une autre période du récit biblique : Dieu lui-même va jouer un rôle de premier plan, par l’intermédiaire de Moché et Aaron. Les mots même, le vocabulaire employé et les formes verbales soulignent que Dieu sort de sa passivité pour devenir actif (4 lechonot chel guéoula véhotséti végaalti etc.) Ce que souligne bien le texte de la Haggada de Pessah (ceux qui étaient présents lors de la conférence de Rivon savent que le meilleur texte sur la sortie d’Egypte c’est… la Tora, même si la Haggada insiste sur des notions qui ont leur importance) => ani velo malakh, ani velo chaliah.

Lorsque Moché se retrouve devant Pharaon, il parle au nom de « Hachem », et Pharaon répond « je ne connais pas ce Hachem ». Moché, lors de ses dialogues avec le roi d’Egypte, fait en sorte de toujours se placer en position de messager, d’ambassadeur du Nom. Stratégie compréhensible : Pharaon lui-même est un Dieu, il ne peut accepter de traiter qu’avec son égal. Dans la rhétorique employée, Dieu parle du peuple d’Israël comme de son fils ainé.

Lorsque Moché fait des petits tours de magie avec son bâton, cela n’impressionne pas du tout Pharaon car ses « Hartoumim », ses sages savent faire la même chose. En revanche lorsque Dieu intervient dans la Nature, il faut se remettre dans le contexte pour comprendre qu’il défie, au-dessus de Pharaon, tous les dieux égyptiens, et le premier d’entre eux : le Nil.

Cela, les égyptiens le voient et le comprennent. Pas les hébreux. C’est ce que dit le texte, lorsque Moché vient leur annoncer que « Hachem » va venir à leur secours. « velo cham’ou elav mikotser rouah ou meavoda kacha » = ils ne l’ont pas entendu/pas compris « à cause du souffle court et du travail pénible ». Cette phrase, cette expression qui peut paraître innocente représente en fait la description d’une situation mentale, un état d’esprit particulier qui représente, pour les commentateurs, un obstacle à la perception de la révélation.
מכילתא דרבי ישמעאל בא - מס' דפסחא פרשה ה ד"ה והיה לכם

ר' יהודה בן בתירא אומר הרי הוא אומר ולא שמעו אל משה מקוצר רוח וגו' וכי יש לך אדם שהוא מתבשר בשורה טובה ואינו שמח נולד לך בן זכר רבך מוציאך לחירות ואינו שמח אם כן למה נאמר ולא שמעו אל משה (שמות ו ט) אלא שהיה קשה בעיניהם לפרוש מעבודה זרה שנ' ואומר אליהם איש שקוצי עיניו השליכו ובגלולי מצרים אל תטמאו (יחזקאל כ ז) ואומר וימרו בי ולא אבו שמוע וגו' ואעש למען שמי לבלתי החל וגו' (שם /יחזקאל/ ח - ט) הה"ד וידבר ה' אל משה ואל אהרן ויצום אל בני ישראל (שמות ו יג) צום לפרוש מעבודה זרה:

Ils sont tellement occupés par le travail, par la nécessité de faire ce qu’on leur demande, de subvenir à leurs besoins primaires, qu’ils ne sont pas capables d’entendre, de réaliser que l’heure de la libération a sonné.

On peut prendre ce concept et le tirer vers de très nombreuses directions : les formes que peuvent prendre l’aliénation physique d’une personne font que peu à peu elle perd tous ses repères et sa dignité. Lorsqu’on commence par lentement oppresser les gens jusqu’à ce qu’ils ne se préoccupent plus que de leur propre survie, de la satisfaction des besoins primaires, il devient inutile de les enchainer, ils ne songeront plus à s’échapper.
Ex : les totalitarismes du XXème siècle, les camps de travail (cf Primo Lévi, Soljenitsine etc.) on commence par rendre rare la nourriture et les vêtements, par organiser la réduction des rations, et les gens passent leur temps à s’occuper à survivre et non à se révolter.
De façon un peu ironique, en psychologie contemporaine on exprime cette hiérarchie des besoins sous la forme d’une pyramide : la pyramide de Maslow, du nom d’un psychologue dont la théorie est parue en 1943 :
Accomplissement personnel (morale, créativité, résolution des problèmes…)

Estime (confiance, respect des autres et par les autres, estime personnelle)

Besoins d’appartenance et affectif (amour, amitié, intimité, famille, sexe)

Besoins de sécurité (du corps, de l’emploi, de la santé, de la propriété…)

Besoins physiologiques (manger, boire, dormir, respirer)
Pyramide des besoins
Confinez les gens au premier stade, celui des besoins physiologiques, et ils resteront en esclavage sans possibilité de sortir. Ils ne comprennent même pas que la fin est arrivée. Ils ont perdu espoir. L’aliénation absolue.

Une des façons dont s’exprime la liberté dans la tradition juive : le chabbat « zekher litsiat mitsraïm » => certains ne voient pas le rapport (la sortie d’Egypte a-t-elle eu lieu un chabbat ?). D’autres au contraire affirment que le chabbat est une façon de se libérer de l’aliénation quotidienne du travail. Une façon de lever la tête, de réfléchir et sortir de sa condition de prisonnier pour goûter à la liberté. « Me’eyn ‘olam haba » => un goût du monde futur. On dit souvent que lorsque le Machiah arrivera personne ne le reconnaîtra. Ou alors seulement ceux qui auront résisté à l’oppression grâce au chabbat. (La résistance s’exprime dans des formes spirituelles, voir les camps et autres goulags).

Plus proche de nos préoccupations, une des fonctions d’un leader communautaire, qui se veut un des héritiers de Moché, est de veiller constamment à ce que les gens ne se laissent pas déborder, envahir par les petits soucis du quotidien, les petites tâches qui sont nécessaires, les petites querelles (qui sont inévitables), mais pensent toujours à lever la tête, garder le cap vers l’objectif, qui est de transmettre un certain nombre de valeurs, une certaine conception de la liberté à nos enfants. 
    
Chabbat chalom.

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