Choftim 5771

Chers amis,

La paracha de cette semaine est dédiée, plus qu’à un code de procédure pénale, à une véritable réflexion sur la justice.

Comme d’habitude dans le Deutéronome, le texte est initié sous forme de Mitzvah, de règle édictée à la seconde personne : « Choftim Ve-chotrim titen lekha » « tu te donneras des juges et des policiers/gendarmes/ une autorité chargée de faire respecter la justice ».

On le répète de semaine en semaine, mais un des obstacles majeurs à la compréhension du caractère révolutionnaire du texte biblique est paradoxalement… sa réussite. De nos jours, quel est le pays, la ville, l’entreprise, le groupe humain qui ne possède pas, au moins en théorie, une autorité chargée de régler les conflits et de faire respecter certaines règles de vie en commun ? Et pourtant, ce qui nous paraît aujourd’hui si courant et évident, ne l’a pas toujours été. Pour employer un vocabulaire un peu philosophique, la Justice ne fait pas partie des conditions Naturelles des sociétés humaines. C’est un constat que l’on peut trouver un peu triste : les êtres humains ne sont pas justes par nature, mais par contrainte ou par nécessité. Les premières sociétés humaines comportaient naturellement des éléments chargés de la défense, de la recherche de nourriture, de l’élevage des enfants, un chef/roi, mais pas de juge. C’est en écho à cette constatation que la Torah inclus l’obligation d’établir un système de justice parmi les 7 mitsvot dites des « Bné Noah », applicable à toute l’humanité. S’il faut le dire et l’exprimer sous forme de Loi, c’est que cela ne se fait pas automatiquement, évidemment, naturellement.

Ce qui (heureusement ?!) peut nous paraître encore plus paradoxal, c’est que qui dit  système judiciaire (juges, tribunaux, prisons) ne dit pas forcément au service de la justice. C’est ce que le texte de la paracha, pour celui ou celle qui sait lire, semble nous indiquer puisqu’il spécifie « Tsedek Tsedek tirdof » « c’est la justice, la justice seule que tu dois rechercher » (Parenthèse : quand je dis celui ou celle qui sait lire, c’est celui qui sait que dans le texte biblique rien n’est considéré comme superflu. S’il était nécessaire de l’écrire, c’est donc que ce n’était pas évident).

Question : Que pourrait donc mouvoir, motiver un système judiciaire si ce n’est la justice ? Les réponses sont multiples :
-          L’intérêt du prince
-          l’intérêt des juges eux-mêmes
-          le poids des traditions, des conventions, des préjugés
-          La volonté du peuple, de la foule

Ou même, de façon encore plus perverse, les sentiments du juge envers l’une ou l’autre des parties.
Contre ces tentations de mettre la justice au service d’un objet, la Torah émet dès le départ la préoccupation d’une justice indépendante aux pressions de toute sorte, et la volonté d’ériger le mot « justice » au niveau de concept au nom duquel, seul, les juges doivent trancher et faire appliquer la Loi. L’expression française « rendre la justice » est à cet égard assez significative : la justice est un état, une situation donnée dont l’équilibre a été rompu. L’action du juge doit se résumer à un travail de précision, d’orfèvre minutieux : il s’agit de tenter de se rapprocher le plus possible de cet équilibre originel, le rendre, le remettre à son état normal.

Evidemment, à part quelques procédures logiques et de bon sens, la Torah, pas plus qu’aucun autre système judiciaire au monde, ne propose de méthode miracle, infaillible et sûre à 100%. Le second verset de la paracha nous donne simplement une liste de 3 choses à ne pas faire, pour ne pas mal juger :
« Lo taté michpat » : Tu ne dévieras pas /ne feras pas pencher le jugement
« lo takir panim » : Tu ne connaitras pas de visage (tu seras impartial)
« lo tikah shohad » : Tu ne prendras pas d’argent/ d’intérêt quelconque.

Les trois commandements du Juge. Ce qui est intéressant de noter c’est que la Torah s’adresse à la seconde personne du singulier : Toi. Nous sommes tous soumis à ces injonctions. Nous sommes tous amenés à « juger » à un moment ou à un autre. Faisons en sorte de ne rien faire qui pourrait altérer notre jugement.

J’ai dit que la Torah mettait la justice au rang de concept, au dessus du fait du prince, c’est vrai premièrement parce que l’attribut de justice est un des attributs principaux de Dieu (donc pas d’un homme), d’autre part dans le livre de Samuel Dieu ne se prive pas de juger le roi lui-même, puisque David s’est rendu coupable d’une grave faute. Dans la Torah, personne n’est à l’abri de la Midat Hadin : ni le roi, ni le prophète, ni le grand-prêtre. Aucun humain ne peut se soustraire au jugement.

Mais concernant la façon d’éviter un élément qui fausserait le jugement, c’est sans doute le Talmud qui a le mieux su montrer à quelles exigences et à quelle rigueur morale les juges doivent se soumettre :



א"ר פפא: לא לידון איניש דינא למאן דרחים ליה ולא למאן דסני ליה, דרחים ליה - לא חזי ליה חובה, דסני ליה - לא חזי ליה זכותא.

ת"ר: +שמות כ"ג+ ושוחד לא תקח - אינו צריך לומר שוחד ממון, אלא אפילו שוחד דברים נמי אסור, מדלא כתיב בצע לא תקח. היכי דמי שוחד דברים? כי הא דשמואל הוה עבר במברא, אתא ההוא גברא יהיב ליה ידיה, אמר ליה: מאי עבידתיך? אמר ליה: דינא אית לי, א"ל: פסילנא לך לדינא.

Un autre niveau.

Chers amis, il ne vous a pas échappé que cette semaine nous sommes entrés dans le mois d'Eloul, au bout duquel il y a Roch Hachana, Yom Hadin, le jour du jugement. Dans une lecture un peu naïve de la Michna, c'est Dieu qui ce jour-là juge tous les habitants de la Terre. Dans une version un peu plus moderne, ce jour est l'occasion d'une vaste introspection, personnelle et collective, Heshbon nefesh, un examen de conscience, un jugement. L'action de se juger soi-même est ni plus ni moins délicate que celle de juger un tiers : cela nécessite de pouvoir regarder ses fautes sans s'accorder de fausses circonstances atténuantes, sans faux semblant, sans chercher à fuir ses responsabilités. Sans non plus se charger et s'accuser de tous les maux. Paradoxalement, être juste avec soi-même est encore plus difficile que d'être juste avec les autres. Peut-être est-ce la raison pour laquelle la conscience humaine a besoin de l'intervention d'un Dieu omniscient qui voit tout et entend tout, et sonde "les cœurs et les reins". Et nous n'en sommes pas au dernier paradoxe, puisqu'à Roch Hachana comme à Yom Kippour la liturgie est basée sur une idée directrice : on demande à Dieu de ne pas nous juger avec justice! Car s'Il applique la Loi à la lettre, nous sommes perdus! Nous lui demandons donc de tourner vers nous sa mesure de miséricorde, Midat Harahamim, et se comportant vers nous comme un père, si ce n'est pour nous que ce soit pour le mérite de nos ancêtres etc.

Mais il ne faut surtout pas confondre les niveaux : ce n'est qu'à Dieu que nous demandons de ne pas juger suivant la Justice. Pour les tribunaux humains, le but, l'idéal à atteindre même s'il n'est jamais vraiment atteint c'est la justice, et vers cette idée force doivent tendre toutes nos actions et surtout nos paroles.

Chabbat chalom

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