Tetsavé 5774

Chers amis,

La paracha Tetsavé constitue une suite logique au texte de la paracha Terouma. Après avoir décrit la construction du Michkan, le sanctuaire du désert, la Torah nous décrit l’uniforme de ceux qui vont y travailler, les prêtres et le grand-prêtre.

Pour rentrer dans le détail, pour bien expliquer en quoi consistait cet habit, il faudrait un visuel : un dessin, un exemple sur un mannequin, tout cela existe et il est très intéressant de se représenter visuellement ce à quoi pouvait bien ressembler le grand-prêtre, avec le détail des ornements et des couleurs décrites dans la Torah.

Mais, comme je l’ai dit la semaine dernière, c’est surtout intéressant pour ceux qui s’occupent d’art ancien, de costumes traditionnels et de folklore.

Pour des lecteurs de la Torah, ce qui importe c’est le symbolisme, la notion à laquelle renvoie l’ensemble de l’objet et chacun de ses éléments.

Premièrement, cela peut paraître évident mais il faut le noter, chez les juifs les prêtres sont des hommes, et des hommes habillés.

Il faut y voir directement une contre-influence de la religion cananéenne : dans la culture environnante, les femmes prêtresses se livraient à des orgies rituelles pour les besoins du culte de la fertilité. Les hébreux doivent se démarquer, et faire le contraire : les personnes chargées du culte devront être des hommes (des humains qui ne peuvent pas donner naissance à des enfants, des êtres infertiles qui ont besoin d’un Autre pour donner la vie), et ils devront, je le répète, être habillés soigneusement, avec beaucoup de soin dans le détail, et de plusieurs couches de vêtements : il y a des vêtements supérieurs et des sous-vêtements (des sortes de petits-pantalons, des caleçons…). Les deux doivent être en lin, une matière végétale, afin que les prêtres ne subissent aucune influence/pulsion animale. Les sous-vêtements sont là pour qu’à aucun moment ils ne montrent leur nudité, même par dessous.

Parmi tous les détails sur le costume du grand-prêtre, il y en a un qui intrigue particulièrement :
שמות פרק כח פסוק ל
ונתת אל חשן המשפט את האורים ואת התמים והיו על לב אהרן בבאו לפני יקוק ונשא אהרן את משפט בני ישראל על לבו לפני יקוק תמיד: ס
« Tu ajouteras au pectoral du jugement les ourîm et les toummîm, pour qu'ils soient sur la poitrine d'Aaron lorsqu'il se présentera devant l'Éternel. Aaron portera ainsi le destin des enfants d'Israël sur sa poitrine, devant le Seigneur, constamment. »

Alors qu’il y a des détails pour à peu près tout le reste, ici on nous dit simplement que sur le poitrail du grand-prêtre, là où il y a des pierres précieuses avec les noms des 12 tribus, il faut qu’il y ait aussi des Ourim et des Toumim, sans nous préciser ce que c’est tant cela semble évident !

Un autre texte de la Torah, dans le livre des Nombres, nous indique que les Ourim et Toumim étaient utilisés à des fins de communication avec le divin :
במדבר פרק כז פסוק כא
ולפני אלעזר הכהן יעמד ושאל לו במשפט האורים לפני יקוק על פיו יצאו ועל פיו יבאו הוא וכל בני ישראל אתו וכל העדה:
« II devra se présenter devant le pontife Eléazar, qui interrogera pour lui l'oracle des Ourîm devant le Seigneur: c'est à sa voix qu'ils partiront, à sa voix qu'ils rentreront, lui-même aussi bien que tous les enfants d'Israël et toute la communauté. »

Apparemment il s’agit d’une communication à double sens, puisque Dieu aussi communique ses ordres à Josué par le biais de ces « outils » ou « instruments » (je ne sais pas comment les appeler).

Comme d’habitude, sur la question de la nature de ces Ourim et Toumim, il y a plusieurs avis :
  1. Le Talmud, et les commentateurs Rachi et Nahmanide : ce sont des morceaux de parchemin, sur lesquels est inscrit le Nom Divin. Ils sont placés sur le poitrail, et quand on les interroge (il faut bien faire attention à la formulation de la question, et n’en poser qu’une seule à la fois), quand on les interroge ils répondent en faisant briller les lettres des noms des 12 tribus. Ensuite c’est un peu confus : soit c’est le grand-prêtre qui met lui-même les lettres dans l’ordre pour en former une phrase qui a un sens, soit les lettres s’illuminent dans l’ordre… (autre question pratique que se posent les rabbins du Talmud : quand on met bout à bout les noms des 12 tribus, il n’y a pas toutes les lettres de l’alphabet, il manque le tsadi et le têt, ils vont donc tenter de résoudre à leur façon…).
  2. Pour le rationaliste Maïmonide, qui est réfractaire au concept d’amulettes magiques ayant des propriétés divinatoires, les mots Ourim et Toumim sont simplement une autre façon de désigner les pierres précieuses du poitrail. Il se base sur un Midrach et sur des écrits des Guéonim.
  3. Un autre rationaliste du 12° siècle, Rabbi Yossef Bekhor Schor, pense lui que derrière chaque nom de tribu il y avait une petite carte en parchemin qui définissait exactement le territoire de la tribu, et qu’en cas de conflit il suffisait de s’y référer pour mettre tout le monde d’accord. Avis intéressant car il imagine qu’on ne peut consulter les Ourim et Toumim que pour des questions de luttes internes, et que les conflits ne naissent que pour des questions de territoire.
  4. Rabbi Avraham Ibn Ezra, un célèbre commentateur du 12° siècle, qui était aussi très versé dans l’astrologie, fait une proposition originale : les Ourim et Toumim seraient plusieurs pièces en métaux précieux assemblés en une forme d’astrolabe. Un astrolabe est un instrument qui sert à décrire l’évolution des planètes et des étoiles par rapport à la terre. Pour Ibn Ezra ce serait l’observation de la configuration des étoiles qui donnerait la réponse, par l’astrologie.
  5. Enfin, les chercheurs contemporains, qui se basent sur un passage du livre de Samuel, considèrent qu’il s’agit tout simplement d’un moyen de tirer au sort, soit par une sorte de jeu de dés primitifs, des osselets ou tout autre moyen de cette sorte. Peut-être y avait-il deux objets (Ourim et Toumim) l’un symbolisant le positif et l’autre le négatif, et suivant lequel des deux retomberait par terre en premier, on lit une réponse.

A travers tous ces avis, on observe le développement des deux conceptions : une conception magique, surnaturelle, miraculeuse des vêtements du grand-prêtre, et parallèlement une conception beaucoup plus rationaliste, teintée d’un certain esprit scientifique.

Reste que de toute façon, tout cela est gênant : non, nos ancêtres n’étaient pas forcément des intellectuels adeptes d’une religion abstraite et spirituelle. C’étaient aussi des hommes et des femmes qui vivaient dans leur époque, l’antiquité, et qui tentaient de trouver dans le judaïsme un peu du confort qu’offraient les autres divinités : des oracles, des communications directes avec les êtres supérieurs qui donnent leurs instructions, disent ce qu’il faut faire et ne pas faire, rassurent, autorisent, et prédisent les victoires.

Même quand je parle au passé, je ne suis pas tout-à-fait juste : il y a encore, Dieu merci, dans le judaïsme contemporain au moins deux grandes tendances : mystiques et rationalistes, tenants et héritiers d’une pratique qui apporte bonheur, chance, argent, fertilité etc. et de l’autre sceptiques pour qui la pratique est source d’interrogations intellectuelles et de renouvellement du sens plus que de rétribution immédiate… ou différée.

Il est inutile de préciser à laquelle nous nous rattachons, à supposer que je puisse parler pour l’ensemble du mouvement massorti. Je ne désire pas non plus parler en mon nom propre, parce que je suis de moins en moins sûr d’être rationaliste.

Je voudrais juste insister sur le fait que les deux conceptions font partie intégrante du judaïsme, les deux ont accompagné son développement depuis les origines, et les deux sont constitutives de son identité actuelle.

Un peu comme cette petite fille qui demande à sa maman :
Maman, dis-moi, comment est-ce que je suis venue au monde ?
- Oh réponds sa mère, qui cherche une esquive, c’est une bien longue histoire ! Au commencement il y eut Adam et Eve, puis Avraham et Sarah, et puis des générations et encore des générations, puis ton papa et ta maman et voilà ! … tu es là !
La petite fille, pas très satisfaite de la réponse, tente avec son papa :
- Dis Papa, comme est-ce que je suis venue au monde ?
- Oh ! c’est une bien longue histoire ! D’abord il y avait des singes très poilus, puis ils se sont redressés sur leurs pattes arrière, puis il y a eu des générations et encore des générations, puis ton papa et ta maman, et voilà ! tu es là !
La petite fille qui n’est toujours pas convaincue retourne voir sa mère :
Maman je n’y comprends rien du tout ! Toi, tu dis une chose : Adam et Eve, Avraham et Sarah, puis des générations et des générations et puis Papa et toi ! Mais Papa dit qu’il y avait d’abord des singes, puis des générations et puis toi et Papa…
- C’est normal répond la maman, moi je te parle de ma famille, et lui de sa famille !


Chabbat chalom

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