Vayikra 5772


Chers amis,

Nous sommes à exactement deux semaines de Pessah, et c’est l’occasion de se replonger dans l’histoire, les sources de la sortie d’Egypte telle qu’elle est racontée par nos textes. Comme l’a dit Rivon lors de sa venue au mois de janvier, le meilleur texte pour comprendre cette histoire, ce n’est pas la Haggada de Pessah. C’est le livre de l’Exode, tout simplement. Ce livre que nous venons de quitter, puisque nous avons lu la dernière paracha la semaine dernière, commence par un récit étiologique, c’est-à dire un exposé des causes qui ont conduit à la mise en esclavage des hébreux, à la naissance de Moché, son départ et son retour pour faire sortir le peuple. A chaque nouvelle lecture, nous sommes surpris de la concision du texte et de sa rapidité : des dizaines d’années passent en un ou deux versets, comme si ce n’était pas l’essentiel, comme s’il fallait en passer par là pour que l’on comprenne la suite du texte, pour « l’exposition ». Les moments auxquels le texte ralentit sont les moments les plus dramatiques. Pharaon, voyant que le peuple hébreu continue de croître et de se multiplier, décide de tuer les garçons dès la naissance.

Lorsque la Torah cherche à signifier le comble de l’horreur, la terreur absolue qu’on puisse affliger à quelqu’un, ce n’est pas par le lourd et dur travail d’asservissement : c’est par la mise à mort des enfants.
Le meurtre des enfants cause chez tous les hommes et dans toutes les cultures effroi, terreur, angoisse, et sentiment de violence par vengeance, comme pour se défendre : c’est par des accusations de crimes rituels contre des enfants qu’on mobilise les foules contre les juifs au moyen-âge.

Le combat contre des adultes est considéré comme loyal, même s’il est à armes inégales, c’est au moins un combat qui peut se justifier des motifs de désaccords ou de conflit/menaces.

S’en prendre aux enfants dans l’antiquité ce n’est pas particulièrement s’en prendre à l’innocence et à la fragilité. Tuer des enfants c’est avant tout s’en prendre à l’avenir. C’est chercher à atteindre l’autre dans ce qu’il a de plus précieux pour assurer sa vieillesse et sa continuité. Quand on sait l’importance vitale de la fertilité dans l’antiquité, on comprend que  tuer les enfants est une véritable tentative d’extermination, d’éradication totale du groupe humain, de ce qu’il représente, de ses valeurs, de son patrimoine, de son histoire.

Le pire qu’il puisse arriver à un peuple, c’est de voir ses enfants mourir. De famine, d’épidémie ou de guerre.

S’ajoute à cela une terreur féminine d’origine animale : perdre son enfant, qu’il soit enlevé, qu’il souffre, qu’on ne puisse pas le protéger.

Quand la Torah cherche à faire peur, à décrire les malheurs et malédictions qui s’abattront sur le peuple lorsqu’il ne sera pas fidèle à Dieu, elle décrit des enfants livrés en captivité à d’autres peuples, et une famine telle que les mères finiront par manger leurs enfants.

Lors de notre guerre contre l’ennemi héréditaire, Amalek, la Torah stipule bien qu’il faut faire en sorte « d’effacer son souvenir », ce qui veut dire qu’il ne faut pas hésiter à tuer ses enfants (voir l’épisode des 10 fils d’Aman).

Lors de notre combat pour la liberté, nous n’avons eu gain de cause qu’une fois que Dieu a frappé les enfants des égyptiens, leurs premiers nés.

Midrach de la naissance de Moché :
« Un homme de la maison de Lévy a pris une femme de la maison de Lévy » => interrogations du Midrach car Moché n’est pas le fils aîné, il y a d’abord eu Myriam et Aaron. Pourquoi donc le texte présente donc ses parents comme s’ils venaient de se marier ? C’est qu’ils avaient divorcé en entendant la gzéra, le décret de Pharaon le père de Moché, Amram, aurait dit à sa femme « puisqu’on tue nos enfants, à quoi bon en faire d’autres qui vont mourir, autant divorcer et tout abandonner. Ce à quoi Myriam, sa fille de 10 ans, lui aurait répondu : tu es pire que Pharaon, car Pharaon assassine les garçons, toi tu assassines aussi les filles ». C’est donc Myriam qui réussit à convaincre ses parents de se remarier, et de continuer à faire des enfants. Attitude bizarre et surprenante ! Il se peut que ce soit une fille, donc continuons à faire des enfants. Et si c’est un garçon ? On dirait qu’elle pense déjà à rentrer en résistance/clandestinité. On avisera, on le cachera, s’il faut le jeter dans le Nil on le mettra dans un berceau en osier…

Le personnage de Myriam symbolise une certaine attitude résistante. L’héroïsme du quotidien. Le refus de l’injustice. Elle montre une obstination, un entêtement qui frise l’inconscience, la folie : on tue nos enfants ? Nous en faisons quand même, malgré cela, et nous en ferons d’autres.

Les sages du Midrach nous livrent des récits déchirants sur la façon dont les enfants hébreux étaient traqués, persécutés, exécutés, assassinés par les soldats égyptiens (récits prophétiques ? Malheureusement non puisque cela correspond à une certaine réalité de leur époque sous domination romaine). Chou’alim ketanim : même les enfants aidaient leurs parents à rechercher les jeunes hébreux de leur âge.

Peut-être à cause de cela ce qui prime à Pessah c’est la transmission aux enfants.

Bekhol dor vador : à chaque génération il faut sortir d’Egypte

Certains le prennent au sens concret et au premier degré : les tenants d’un sionisme radical : il faut sortir d’Egypte et venir s’installer en Israël. Comme si en Israël les enfants étaient protégés ! Comme si la sortie d’Egypte était une question de déplacement géographique !

La sortie d’Egypte, telle que je la comprends et telle que me l’ont enseigné mes maîtres, consistera plus en un changement de comportement, une rupture catégorique avec les schémas de pensé anciens, qui veulent que l’on s’oppose à chaque génération les uns aux autres. Que l’on se dresse les uns contre les autres, et qu’on apprenne aux enfants de l’un à persécuter les enfants de l’autre, et aux enfants de l’autre à craindre les autres enfants.

Au seder de Pessah tout se joue autour de l’éducation des enfants. Mais nous nous trompons si nous croyons qu’il s’agit de l’éducation de nos seuls enfants. Car si on ne s’occupe que des nôtres en circuit fermé, alors que se passera-t-il pour les enfants des autres ? Je suis responsable de l’autre disait Levinas. Je suis responsable de l’éducation des enfants des autres.

Une communauté juive est comme tout groupe humain : le fonctionnement en circuit fermé est très néfaste. Si nous devons tirer une seule leçon du crime horrible qui a endeuillé notre communauté cette semaine, tous les juifs de France, c’est de multiplier les initiatives pour que nos enfants rencontrent d’autres enfants, chrétiens, musulmans ou autres, et cessent de considérer l’autre comme un agresseur ou de se considérer comme des victimes.

Lorsque nous aurons réussi cela, l’éducation de nos propres enfants et des autres, nous pourrons considérer que nous sommes prêts à sortir d’Egypte.

Chabbat chalom

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire