Houkat 5772


Chers amis,

Dans la paracha de cette semaine nous assistons à la disparition de deux personnages de la Torah, et à l'apparition de deux autres. Les personnages qui disparaissent sont le frère et la sœur de Moché, Miryam et Aaron. C'est Miryam qui meurt la première (ce qui paraît dans l'ordre des choses, puisque c'est l'ainée), lors d'une halte dans le désert, dans un endroit nommé "Kadech". Cet évènement nous est relaté de façon si naturelle que les Sages en ont conclu que son décès faisait partie des morts "beneshika" par un baiser, c'est-à-dire un décès sans maladie, ni douleur ou souffrance, mais qu'elle s'est simplement endormie une nuit pour ne pas se réveiller. 

Sa mort est suivie immédiatement par un épisode de manque d'eau, le célèbre puits de Mériba :
1. L'eau manque, or Miryam est un personnage qui apparaît toujours dans un contexte proche de l'eau (elle était présente près du berceau de Moché dans le fleuve, elle chante lors du passage de la mer etc.)
2. Dieu demande à Moché et Aaron de faire un miracle : parler à un rocher pour en faire jaillir de l'eau.
3. Moché s'énerve et au lieu de parler au rocher le frappe à deux reprises.
4. Dieu punit Moché et Aaron en leur disant qu'ils ne pourront pas entrer en terre de Canaan.

Episode curieux, mystérieux, presque incompréhensible.

Le second personnage à disparaître est Aaron (toujours dans l'ordre des choses puisque c'est le second de la fratrie). Sa mort se déroule comme une cérémonie, dirigée par ordre divin : il doit monter sur une montagne accompagné de Moché et de son fils Eléazar, Moché lui enlève ses habits de grand-prêtre et les met sur Eléazar, et il meurt tout aussi simplement que Miryam. Le fait d'enlever ses vêtements le fait mourir, comme si sa vie ne tenait plus que par sa fonction. Comme le souligne le Midrach, sa consolation aura été de voir son fils lui succéder.

De l'autre côté, les deux "personnages" (et je mets le mot "personnage" entre guillemets) qui apparaissent dans cette paracha sont… la vache rousse et le serpent d'airain.

Je ne crois pas nécessaire de revenir sur le mystère que constitue le principe de la vache rousse : cette vache qu'on sélectionne avec attention, qu'on tue et qu'on brûle entièrement pour mêler ses cendres à de l'eau et servir au rituel de la purification après le contact avec la mort. J'ai cité, l'année dernière il me semble, ce midrach très célèbre au nom de Rabban Yohanan Ben Zakaï :
במדבר רבה (וילנא) פרשה יט

אמר להם חייכם לא המת מטמא ולא המים מטהרין אלא אמר הקב"ה חקה חקקתי גזירה גזרתי אי אתה רשאי לעבור על גזרתי דכתיב זאת חוקת התורה

Midrach qui jette les bases de la notion de "Hoq" (mot qui donne le nom à la paracha), de commandement qui n'a pas d'autre valeur propre que celle d'être un commandement (ni but logique ni finalité clairement compréhensible par l'homme).

En ce qui concerne le serpent de bronze/d'airain, ce serpent que Dieu demande à Moché de construire (devrait-on dire "bricoler"?) en urgence pour soigner, guérir et protéger le peuple d'une invasion de serpents dans le campement, un texte très célèbre de la Michna dit exactement la même chose :
תלמוד בבלי מסכת ראש השנה דף כט עמוד א

משנה. +שמות יז+ והיה כאשר ירים משה ידו וגבר ישראל וגו', וכי ידיו של משה עושות מלחמה או שוברות מלחמה? אלא לומר לך: כל זמן שהיו ישראל מסתכלין כלפי מעלה, ומשעבדין את לבם לאביהם שבשמים - היו מתגברים, ואם לאו - היו נופלים. כיוצא בדבר אתה אומר +במדבר כא+ עשה לך שרף ושים אתו על נס והיה כל הנשוך וראה אתו וחי, וכי נחש ממית או נחש מחיה? אלא בזמן שישראל מסתכלין כלפי מעלה ומשעבדין את לבם לאביהם שבשמים - היו מתרפאין, ואם לאו היו נימוקים.

En résumé, et pour préciser ma pensée et là où je veux en venir : deux personnages sortent du devant de la scène, deux commandements apparaissent pour les remplacer, pour ne pas laisser le peuple sans guide, face à lui-même, perdu dans le désert. Deux commandements qui n'ont absolument aucun intérêt pour eux-mêmes, qui ne servent à rien, à part une chose : faire en sorte que le peuple regarde en haut. C'est peu, mais c'est essentiel. C'est même indispensable. Car quelle est la fonction d'un guide, d'un leader, si ce n'est de toujours faire en sorte que le groupe qu'il dirige ne se laisse pas déconcentrer, décourager devant les épreuves et les difficultés, mais soit toujours conscient d'être en marche vers un but ultime à atteindre, un objectif : en l'occurrence il s'agit ici du monothéisme absolu, exigeant tel que nous le présente la Torah.

Les épreuves inévitables que le peuple subit dans le désert (ici symbolisées par des batailles livrées contre des ennemis réels) ne doivent pas les distraire de la marche lente, terriblement lente et difficile qui doit les conduire vers l'entrée en terre d'Israël et l'établissement d'une société régie suivant les règles éthiques dictées sur le mont Sinaï, une société la moins inégalitaire possible.

En l'absence de leader charismatique reconnu par l'ensemble du peuple juif, en l'absence d'un campement unique dans lequel tous les juifs du monde seraient réunis, qu'est-ce qui aujourd'hui remplit cette mission d'unification et concentration sur l'objectif? La réponse est la même aujourd'hui qu'à l'époque de la rédaction de la Torah, même si nous n'avons plus ni vache rousse ni serpent d'airain : il nous reste les mitsvot, et leur traduction dans la règle normative du peuple juif : la Halakha.

Une phrase célèbre de la littérature rabbinique citée par Heschel dans son livre sur le chabbat (traduit en français par "Les bâtisseurs du temps") dit que autant que les juifs ont gardé le chabbat durant les siècles (mot chamar), le chabbat les a gardé/protégés. On pourrait facilement remplacer le mot chabbat par le mot Halakha. La Halakha n'est pas une espèce de folklore, un corpus d'us et coutumes du peuple juif qu'on décide de pratiquer ou non par convenances personnelles. Elle ne représente pas, pour le peuple juif, une religion qu'on choisit ou pas de pratiquer, mais un outil pour survivre et continuer à se battre pour la mission que l'on nous a confié : témoigner de l'unicité de Dieu dans le monde.

Une expression célèbre dit que le diable est dans les détails. Pour les juifs, c'est Dieu qui se trouve dans les détails, dans la mesure où les détails nous permettent de regarder en haut, comme la vache rousse ou le serpent d'airain.

Chabbat chalom

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