7ème jour de Pessah


Chers amis,
Cette semaine, ayant eu quelques loisirs, j’ai pris le temps de regarder une des vidéos qu’on me signale régulièrement sur les réseaux sociaux : il s’agit d’un rabbin francophone résidant en Israël qui poste régulièrement les cours qu’il donne en français sur son site, et qui sont relayés dans la communauté juive francophone.

Je sais, c’est devenu une banalité, que l’apparition et la diffusion d’internet a révolutionné le monde des études juives comme tant d’autres domaines, et que des leçons qui étaient auparavant accessibles à quelques auditeurs dans les grandes villes sont maintenant disponibles à volonté dans le monde entier, ce qui la plupart du temps est bénéfique et permet l’accès à la connaissance pour les personnes les plus isolées. Dire cela est devenu un lieu commun. Dire que sur internet on peut trouver le meilleur et le pire en est un autre. Mais j’avoue qu’en regardant cette vidéo, même moi, qui pour avoir fréquenté le monde orthodoxe un certain temps pensais connaître à la fois sa diversité et aussi le fait qu’on peut y trouver ce qu’il y a de pire en matière de fanatisme, fondamentalisme fasciste et raciste, j’ai quand même été surpris.

Venons-en aux faits : dans la première vidéo que j’ai consulté, le rabbin se livre à des parallèles entre un enseignement ésotérique, pseudo-kabbalistique à base de citations non référencées (et donc hors du contexte) du Zohar, mis en parallèle donc avec une analyse socio-historico-politique de l’Europe occidentale totalement grossière et subjective : le « zohar » dit que le monde doit-être gouverné par quatre races (et le mot race est utilisé sans aucune précaution) : la race noire, la race jaune, la race rouge ( !?) et la race blanche. Or, la race blanche, dans le berceau de sa civilisation, en Europe, est en danger : elle est envahie par des étrangers appartenant à d’autres races. Comment se fait-il que les blancs, pourtant naturellement d’intelligence supérieure, n’en prennent pas la mesure et ne se défendent pas ? La raison est simple : parce que depuis plusieurs siècles on leur a instillé un poison, à petite dose puis à dose plus massive. Ceux qui cherchent à détruire la race blanche ont commencé à l’infiltrer d’idées pernicieuses dont le but, et l’effet, est de la rendre « féminine », c'est-à-dire faible et sans défense, et non plus « masculine » donc incapable de prendre les armes pour se défendre. Quelles sont donc ces idées destructrices ? Toutes les idées qui visent à « éclairer » (les guillemets sont d’origine) un peuple en lui faisant croire que tous les hommes ont des droits quelles que soient leurs origines ou leur couleur de peau. L’histoire du droit et des libertés, mais aussi le militantisme antiraciste, dont beaucoup de juifs furent les porte-paroles, est considéré comme la bouche de Bilam (j’avoue ne pas avoir bien saisi l’allusion) et sont les responsables de la perte de virilité de l’Europe occidentale qui, si elle n’y prend garde, va bientôt être submergée et voir la fin de la race blanche (le titre de la conférence est « blancs, défendez-vous ! »).

Mais le propos de la conférence n’est pas dirigé envers les européens blancs. Il se sert de cet exemple pour arriver à son message principal : tout comme les européens, les israéliens sont victimes de tentatives d’infiltration idéologique qui visent à leur faire perdre leur conviction, leur virilité dans le combat qu’ils mènent contre les arabes : le processus de paix, les idées de gauche, les négociations ne servent qu’à faire supporter au peuple les attentats et les attaques sans qu’il puisse répliquer pour pouvoir mieux l’affaiblir. Le message délivré est donc clair : l’enseignement religieux (« la Torah ») nous enseigne que les supporters du processus de paix et d’une solution négociée avec les palestiniens sont les inconscients porteurs d’une idéologie qui va mener Israël et le peuple juif à sa perte.
La Torah délivre un enseignement politique prophétique, et nous devrions tous l’écouter.

Dans une deuxième vidéo que j’ai regardé, qui date d’il y a à peine un mois et qui était consacrée à Pourim, au message « ésotérique » caché dans le texte de la Méguilah d’Esther, le même rabbin explique que Haman n’était pas un Perse mais un descendant d’Amalek, qui venait donc de la région d’Erets Israël, et qui avait été envoyé à Suse pour gravir tous les échelons et devenir conseiller du roi de Perse en tant qu’agent secret infiltré, pour détruire et exterminer non pas les juifs en tant que tels, mais pour les empêcher de retourner en Erets Israël et de reconstruire le Temple. La thèse, le message étant : Haman et ceux qui l’ont envoyé ne sont pas antisémites (contre les juifs), mais antisionistes (contre le retour des juifs sur leur terre) (peu importe l’anachronisme, il dit d’ailleurs avec un certain mépris que les historiens sont là pour raconter l’histoire comme des idiots, alors que les « sages » sont là pour découvrir le sens caché derrière les faits ( !)).
Mais le point central du message ne s’arrête pas là : il en vient immédiatement après, par comparaison, par analogie, à l’histoire contemporaine : de même qu’Haman était un agent envoyé par les peuples qui disputaient au peuple juif le territoire d’Erets Israël, agent infiltré en Perse, un pays qui n’est pas le sien, afin d’exterminer les juifs et donc de les empêcher de revenir sur leur terre, de même, Hitler, un autrichien infiltré en Allemagne, était un agent des arabes palestiniens envoyé pour exterminer les juifs afin de les empêcher de revenir sur leur terre.
Moralité : les arabes palestiniens sont nos ennemis héréditaires, comme Amalek, ils sont responsables de la Shoah, qui a eu lieu non par antisémitisme mais par antisionisme, c’est donc entre eux et nous une guerre à mort, il ne faut pas se laisser « tromper » par les négociations et le processus de paix, etc.

Il y a plusieurs manières d’aborder ce discours délirant : l’aspect psychologique du personnage, la déconstruction du discours point par point pour réfuter et prouver que la quasi-totalité des sources citées sont fausses, l’aspect idéologique et politique qui obsède tellement qu’il contamine toute la lecture des textes, on pourrait écrire un livre uniquement à partir de ces petites conférences d’une heure.

Je choisis aujourd’hui de l’aborder par l’aspect qui m’est le plus proche et qui me tient le plus à cœur : le rapport aux sources littéraires de notre tradition. Pour ce rabbin, comme pour un grand nombre d’ignorants ou de novices de la littérature juives, tous les textes qui nous ont été transmis reflètent un message vrai, exact tant sur le plan symbolique et philosophique que sur le plan historique et factuel. Tout est vrai. Eyn Miqra yotsé midé pchato : tout doit-être compris aussi au premier degré.
Ex :

  • Haman est un descendant de Aggag
  • La méguilah d’Esther est une histoire vraie
  • Le roi Assuérus ne voulait lui donner que la moitié de son royaume etc.

Cette lecture littérale des textes est pour moi la définition même du fondamentalisme : si tout est vrai, que tout a un sens caché, je peux (et je dois) révéler le sens caché des écritures et l’adapter, le plaquer comme grille de lecture de l’histoire contemporaine (ex : codes de la Torah). Il faut, pour éviter cette lecture, passer par une phase d’analyse des textes avec des outils nés des sciences contemporaines, développés et utilisés à partir des XIXème et XXème siècles, une analyse grâce à laquelle on arrive à mettre les sources à une certaine distance, à déconstruire la foi simple d’enfant croyant aux contes de fées pour reconstruire une théologie plus subtile, non pas plus faible mais plus forte, parce que non basée sur des croyances d’un autre temps. Ce que Lévinas appelait « une religion d’adulte ».

On pourra objecter : pourquoi donner de l’importance et de la publicité à tel personnage ? A cela je répondrai :

  1. Il nous revient, avant de dénoncer les fanatiques extrémistes chez nos voisins, de faire le ménage chez nous et de les combattre dans notre propre camp.
  2. Parce qu’il s’agit d’un commandement talmudique : combattre haut et fort tout ce qui peut-être considéré comme Hilloul Hachem, profanation du Nom divin.
  3. Parce que ce genre de discours jouit d’une audience très large et d’une réception très favorable, au sein de la jeunesse juive, influençable et en quête de valeurs et d’identité : la diffusion de ces idées, j’en ai été témoin, est très large et il est très difficile premièrement de faire comprendre à ceux qui y adhèrent que ce n’est pas une façon de voir « cachère » (puisque le rabbin en question possède la légitimité du juif orthodoxe à chapeau noir) et deuxièmement de faire comprendre à ceux qui rejettent le judaïsme au nom de ces délires incohérents qu’on peut être un juif religieux et croyant sans adhérer à ce genre de discours simpliste, conspirationniste et paranoïaque.

Personnellement, contrairement à certains, ces discours ne me découragent pas, mais au contraire me donne de la motivation pour diffuser un judaïsme intelligent, intellectuel et profond. Lorsque j’entends ce genre de thèse, je sais pourquoi et contre quoi nous nous battons (même si le combat est inégal, car c’est souvent les populistes et démagogues qui remportent le plus d’adhésions), et je suis fier de représenter une alternative juive à ce genre de discours.

Mais il faut être honnête, et éviter les amalgames : ce personnage est loin de représenter la totalité du monde orthodoxe, et de nombreuses voix, à l’intérieur du monde orthodoxe, se font entendre, comme ce jeune étudiant de Yéchiva auteur d’un blog très intelligent sur l’orthodoxie moderne qui a rédigé une lettre diffusée sur Facebook, dans laquelle il fustige le racisme et le fanatisme de ce rabbin, et appelle ces thèses : « le Hamets dont le peuple juif doit se débarrasser pour mieux se libérer comme à Pessah ».

Joli message de fin de Pessah !

Chabbat chalom et Hag sameah

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