Chers
amis,
Nous
sommes à exactement deux semaines de Pessah, et c’est l’occasion de se
replonger dans l’histoire, les sources de la sortie d’Egypte telle qu’elle est
racontée par nos textes. Comme l’a dit Rivon lors de sa venue au mois de
janvier, le meilleur texte pour comprendre cette histoire, ce n’est pas la
Haggada de Pessah. C’est le livre de l’Exode, tout simplement. Ce livre que
nous venons de quitter, puisque nous avons lu la dernière paracha la semaine
dernière, commence par un récit étiologique, c’est-à dire un exposé des
causes qui ont conduit à la mise en esclavage des hébreux, à la naissance de
Moché, son départ et son retour pour faire sortir le peuple. A chaque nouvelle
lecture, nous sommes surpris de la concision du texte et de sa rapidité :
des dizaines d’années passent en un ou deux versets, comme si ce n’était pas
l’essentiel, comme s’il fallait en passer par là pour que l’on comprenne la
suite du texte, pour « l’exposition ». Les moments auxquels le texte
ralentit sont les moments les plus dramatiques. Pharaon, voyant que le peuple
hébreu continue de croître et de se multiplier, décide de tuer les garçons dès
la naissance.
Lorsque
la Torah cherche à signifier le comble de l’horreur, la terreur absolue qu’on
puisse affliger à quelqu’un, ce n’est pas par le lourd et dur travail
d’asservissement : c’est par la mise à mort des enfants.
Le
meurtre des enfants cause chez tous les hommes et dans toutes les cultures
effroi, terreur, angoisse, et sentiment de violence par vengeance, comme pour
se défendre : c’est par des accusations de crimes rituels contre des enfants
qu’on mobilise les foules contre les juifs au moyen-âge.
Le
combat contre des adultes est considéré comme loyal, même s’il est à armes inégales,
c’est au moins un combat qui peut se justifier des motifs de désaccords ou de
conflit/menaces.
S’en
prendre aux enfants dans l’antiquité ce n’est pas particulièrement s’en prendre
à l’innocence et à la fragilité. Tuer des enfants c’est avant tout s’en prendre
à l’avenir. C’est chercher à atteindre l’autre dans ce qu’il a de plus précieux
pour assurer sa vieillesse et sa continuité. Quand on sait l’importance vitale
de la fertilité dans l’antiquité, on comprend que tuer les enfants est une véritable tentative
d’extermination, d’éradication totale du groupe humain, de ce qu’il représente,
de ses valeurs, de son patrimoine, de son histoire.
Le
pire qu’il puisse arriver à un peuple, c’est de voir ses enfants mourir. De
famine, d’épidémie ou de guerre.
S’ajoute
à cela une terreur féminine d’origine animale : perdre son enfant, qu’il
soit enlevé, qu’il souffre, qu’on ne puisse pas le protéger.
Quand
la Torah cherche à faire peur, à décrire les malheurs et malédictions qui
s’abattront sur le peuple lorsqu’il ne sera pas fidèle à Dieu, elle décrit des
enfants livrés en captivité à d’autres peuples, et une famine telle que les
mères finiront par manger leurs enfants.
Lors
de notre guerre contre l’ennemi héréditaire, Amalek, la Torah stipule bien
qu’il faut faire en sorte « d’effacer son souvenir », ce qui veut
dire qu’il ne faut pas hésiter à tuer ses enfants (voir l’épisode des 10 fils
d’Aman).
Lors
de notre combat pour la liberté, nous n’avons eu gain de cause qu’une fois que
Dieu a frappé les enfants des égyptiens, leurs premiers nés.
Midrach
de la naissance de Moché :
« Un
homme de la maison de Lévy a pris une femme de la maison de Lévy » =>
interrogations du Midrach car Moché n’est pas le fils aîné, il y a d’abord eu
Myriam et Aaron. Pourquoi donc le texte présente donc ses parents comme s’ils
venaient de se marier ? C’est qu’ils avaient divorcé en entendant la gzéra, le décret de Pharaon le père
de Moché, Amram, aurait dit à sa femme « puisqu’on tue nos enfants, à quoi
bon en faire d’autres qui vont mourir, autant divorcer et tout abandonner. Ce à
quoi Myriam, sa fille de 10 ans, lui aurait répondu : tu es pire que
Pharaon, car Pharaon assassine les garçons, toi tu assassines aussi les
filles ». C’est donc Myriam qui réussit à convaincre ses parents de se
remarier, et de continuer à faire des enfants. Attitude bizarre et
surprenante ! Il se peut que ce soit une fille, donc continuons à faire
des enfants. Et si c’est un garçon ? On dirait qu’elle pense déjà à
rentrer en résistance/clandestinité. On avisera, on le cachera, s’il faut le
jeter dans le Nil on le mettra dans un berceau en osier…
Le
personnage de Myriam symbolise une certaine attitude résistante. L’héroïsme du
quotidien. Le refus de l’injustice. Elle montre une obstination, un entêtement
qui frise l’inconscience, la folie : on tue nos enfants ? Nous en
faisons quand même, malgré cela, et nous en ferons d’autres.
Les
sages du Midrach nous livrent des récits déchirants sur la façon dont les
enfants hébreux étaient traqués, persécutés, exécutés, assassinés par les
soldats égyptiens (récits prophétiques ? Malheureusement non puisque cela
correspond à une certaine réalité de leur époque sous domination romaine).
Chou’alim ketanim : même les enfants aidaient leurs parents à rechercher
les jeunes hébreux de leur âge.
Peut-être
à cause de cela ce qui prime à Pessah c’est la transmission aux enfants.
Bekhol
dor vador : à chaque génération il faut sortir d’Egypte
Certains
le prennent au sens concret et au premier degré : les tenants d’un
sionisme radical : il faut sortir d’Egypte et venir s’installer en Israël.
Comme si en Israël les enfants étaient protégés ! Comme si la sortie
d’Egypte était une question de déplacement géographique !
La
sortie d’Egypte, telle que je la comprends et telle que me l’ont enseigné mes
maîtres, consistera plus en un changement de comportement, une rupture
catégorique avec les schémas de pensé anciens, qui veulent que l’on s’oppose à
chaque génération les uns aux autres. Que l’on se dresse les uns contre les
autres, et qu’on apprenne aux enfants de l’un à persécuter les enfants de
l’autre, et aux enfants de l’autre à craindre les autres enfants.
Au
seder de Pessah tout se joue autour de l’éducation des enfants. Mais nous nous
trompons si nous croyons qu’il s’agit de l’éducation de nos seuls enfants. Car
si on ne s’occupe que des nôtres en circuit fermé, alors que se passera-t-il
pour les enfants des autres ? Je suis responsable de l’autre disait
Levinas. Je suis responsable de l’éducation des enfants des autres.
Une
communauté juive est comme tout groupe humain : le fonctionnement en
circuit fermé est très néfaste. Si nous devons tirer une seule leçon du crime
horrible qui a endeuillé notre communauté cette semaine, tous les juifs de
France, c’est de multiplier les initiatives pour que nos enfants rencontrent
d’autres enfants, chrétiens, musulmans ou autres, et cessent de considérer
l’autre comme un agresseur ou de se considérer comme des victimes.
Lorsque
nous aurons réussi cela, l’éducation de nos propres enfants et des autres, nous
pourrons considérer que nous sommes prêts à sortir d’Egypte.
Chabbat
chalom
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