Pessah 5772


Chers amis,

Chabbat chalom et Hag sameah, puisque, certains ne le savent peut-être pas, Chabbat passe avant Pessah.

Chabbat est la plus importante des fêtes juives du calendrier si on suit ce que nous en dit la Torah, c’est aussi la plus importante théoriquement et théologiquement. Mais on ne peut pas ignorer que sociologiquement, si des juifs qui ont perdu toute attache avec la pratique quotidienne ou hebdomadaire du judaïsme se « réveillent » une fois ou deux dans l’année pour s’approcher d’une synagogue ou de leur famille, c’est en automne à Yom Kippour et au printemps à Pessah.

Autant Yom Kippour a un caractère austère, autant Pessah est synonyme chez la plupart d’entre nous de réunion familiale festive, avec le goût des plats traditionnels et des aliments du plateau du seder.
Je ne sais pas combien de fois chabbat est mentionné dans la Torah, ainsi que Yom Kippour ou Pessah en tant que fête de pèlerinage. Je sais, parce que la tradition rabbinique insiste beaucoup dessus, que la mitsva de raconter la sortie d’Egypte le soir du Seder est mentionnée à 4 reprises. Raconter la sortie d’Egypte. Pas « lire la Haggada » comme certains le croient, car la Haggada n’est à l’origine qu’une suggestion pour ceux qui n’ont pas les moyens de citer midrachim et commentaires sur le livre de l’Exode, puis ce texte s’est fixé et est devenu le texte que nous connaissons tous, avec ces 4 questions, 4 coupes de vin, 4 fils, 4 fois le mot « baroukh », etc. C’est donc tout naturellement que ce soir je vais parler du chiffre… 5.

Oui le chiffre 5, parce que ce chiffre quatre de la Haggada n’est pas considéré comme un chiffre parfait, rond, harmonieux et complet. C’est un chiffre qui appelle à être complété : Au départ, les rabbins basent leur commentaire sur un passage du livre de l’Exode, paracha Vaera, lorsque Dieu annonce à Moché qu’il a entendu la clameur des Bené Israel et qu’il va les délivrer :
Exode 6, 6-7 :
שמות פרק ו

(ו) לכן אמר לבני ישראל אני יקוק והוצאתי אתכם מתחת סבלת מצרים והצלתי אתכם מעבדתם וגאלתי אתכם בזרוע נטויה ובשפטים גדלים:
(ז) ולקחתי אתכם לי לעם והייתי לכם לאלהים וידעתם כי אני יקוק אלהיכם המוציא אתכם מתחת סבלות מצרים:
(ח) והבאתי אתכם אל הארץ אשר נשאתי את ידי לתת אתה לאברהם ליצחק וליעקב ונתתי אתה לכם מורשה אני יקוק:


Ce qui sera ensuite défini comme « arbaa lechonot chel guéoula » 4 verbes, quatre promesses, 4 paroles de délivrance et de réconfort :
- Je vous ferai sortir
- Je vous sauverai
- Je vous délivrerai
- Je vous prendrai pour peuple

Le problème, ou plutôt la question, est que ces 4 verbes sont aussitôt suivis d’un cinquième : « Je vous emmènerai vers le pays que j’ai promis à Avraham, Itzhak et Yaakov… ».

Les sages du Talmud, à leur manière un peu imagée, se posent la question : doit-on boire un cinquième verre de vin ? La solution trouvée étant de remplir une cinquième coupe, que l’on boira lorsque le prophète Elie viendra nous « délivrer » de ce doute, c’est ce verre que nous appelons « koss chel eliyahou » la coupe du prophète Elie. Mais cette petite question de procédure (4 ou 5 verres) ne doit pas cacher une question beaucoup plus profonde : la sortie d’Egypte est-elle achevée lorsque les hébreux ont passé la frontière et se sont mis hors de portée de l’armée de pharaon, ou bien s’achève-t-elle lors de l’entrée en terre de Canaan, 40 ans plus tard ? La délivrance est-elle complète et totale lorsqu’on n’est plus en état d’esclavage, ou bien n’est-elle entière que lorsqu’on accomplit un projet concret dans un lieu donné, un projet dont l’axe principal est le refus de tout asservissement de la personne humaine, comme le prescrivent les lois éthiques de la Torah ?

Les historiens, dont le travail consiste à tracer l’histoire et l’évolution du texte de la haggada et la façon dont le seder a été célébré à différentes époques, pensent qu’à l’origine, à l’époque du second temple, le seder comportait effectivement 5 coupes, en référence aux 5 verbes. Ce n’est qu’après la destruction du Temple et la catastrophe qu’a représenté la perte d’indépendance nationale, puis l’exil, que la cinquième coupe s’est effacée, peut-être parce qu’il était devenu trop douloureux d’évoquer cette indépendance nationale perdue. Même idée pour l’œuf du plateau du seder : korban Haguiga qui n’aura pas lieu, ainsi que deuil du Temple.

Mais plus généralement, l’idée suivant laquelle le chiffre 4 de la haggada en appelle un cinquième est une idée riche en développements : toute une littérature moderne s’empare de la thématique du cinquième fils. Qui est, ou qui peut-être ce cinquième fils de la haggada ?
- certains imaginent une fille => Expression d’une voie souvent absente ou étouffée dans la tradition juive. Qu’aurait-elle à dire ? Quelle question voudrait-elle poser ? Peut-être demanderait-elle pourquoi lorsque la Torah parle de transmission du sens de Pessah c’est toujours à un fils ? Est-ce que les femmes ne sont pas sorties d’Egypte avec les hommes ? Moché lui-même n’insiste-t-il pas auprès de pharaon pour que sorte « tout le peuple », hommes, femmes et enfants ?
- d’autres y voient le fils absent, celui qui n’assiste même pas au seder, qui ne s’est même pas donné la peine de répondre à l’invitation familiale. Pourquoi ? Révolte, refus, rejet… ou tout simplement paresse, autre chose de mieux à faire, il ne désire pas s’arrêter de travailler, interrompre sa vie professionnelle/matérielle pour ce qu’il considère comme des vieilleries qui ne sont plus actuelles.

D’autres encore, après avoir imaginé un cinquième fils, se plaisent à imaginer… une cinquième question. Une question qui n’est pas ritualisée, qui sort du cadre du « Ma nichtana » => en quoi cette nuit est-elle différente des autres nuits ?
  • En quoi ce seder est-il différent des autres seder ?
  • Quelle signification pour nous Pessah cette année ?
  • Quel est le but de ce seder : reproduire à l’identique tous les gestes que faisaient nos ancêtres, ou peut-on le moderniser, l’actualiser le rendre porteur de sens pour nous aujourd’hui, sans lui faire prendre sa signification première, son « goût », « taam » en hébreu qui signifie sens et goût.

Vous l’aurez compris, j’introduis ici la problématique à laquelle le mouvement Massorti, ses créateurs, ses dirigeants, ses rabbins s’attachent à constamment avoir à l’esprit, et à répondre avec plus ou moins de succès : tradition et modernité. Je devrais même dire traditions et modernités.
Nous estimons que la meilleure façon d’être fidèle au message des auteurs de la Haggada, qui nous disent qu’ « à chaque génération la personne doit se sentir comme si elle sortait d’Egypte », c’est de proposer aux gens de réfléchir sur des sujets profonds liés à l’actualité la plus récente, tout en respectant le rythme, les textes, les lois sauvegardées et transmises par les générations qui nous ont précédé.

Cette année, nous avons comme objectif de réaliser un « mini-exploit », une chose et son contraire : que ce seder soit fidèle à tous les autres seders depuis l’époque de la Michna, et qu’en même temps il soit différent du seder de l’année dernière, avec d’autres explications, d’autres commentaires, d’autres explications et d’autres chants. Nous serons un peu aidés et guidés en cela par une petite brochure éditée et envoyée par un organisme centralisateur du mouvement massorti auquel nous appartenons : « Masorti Olami » qui a fait en sorte de proposer, et je dis bien proposer, différentes façons de rendre le seder actuel cette année. Ce qui veut dire que l’année prochaine, peut-être nous aurons une autre version. Personne ne prétend que tout ce qui est proposé est bon et correspond à notre public, mais je suis sûr que vous comprendrez la démarche, et le cas échéant vous proposerez de nous aider à l’améliorer.

Notre démarche, notre slogan/devise, allier tradition et modernité, nous ne la considérons pas comme un but en soi, mais comme un moyen : celui de faire tout ce que nous pouvons pour ramener le cinquième fils (ou la cinquième fille) à la maison le soir du seder, et l’amener à poser des questions, ou au moins à exprimer ce qu’il/elle n’avait jamais eu l’occasion d’exprimer auparavant, en lui permettant de se sentir en confiance dans une atmosphère de partage et de bienveillance.

Pour en revenir à la fameuse cinquième parole, celle de l’aboutissement de la libération, de l’arrivée du peuple sur sa terre pour l’accomplissement du projet porté par la Torah, « ve-hévéti », il faut reconnaître que l’actualité récente, avec la recrudescence de l’antisémitisme en Europe, nous fait regarder vers Israël d’une autre façon, et peut-être nous permet de faire résonner un peu plus fort les derniers mots du seder : « l’an prochain à Jérusalem ». Cela n’a jamais voulu dire, évidemment, que l’année prochaine nous souhaitons prendre une semaine de vacances à l’hôtel en Israël, mais que quelle que soit notre situation de confort et d’intégration dans le pays dans lequel nous vivons, nous ne perdons pas de vue que notre espoir (Hatikva), est de pouvoir faire en sorte qu’un jour nous puissions profiter de cette ère messianique tant attendue, dans laquelle Jérusalem ne sera plus synonyme de conflits multiples et interminables mais d’un havre de paix qui rayonne sur toute la terre.

Une tradition très récente (mais une tradition quand même) est de se souhaiter « Pessah cacher vé-saméah »=> un pessah cacher ( !?) (=> peut-être allusion à quelque chose de technique, élimination du hamets) et heureux (heureux vient en deuxième, peut-être une relation de cause à conséquence ?) une blague très connue et ancienne : « pour vivre heureux, vivons cacher ».

Je préfère de loin souhaiter à tous un Pessah réussi, c’est-à-dire avec un bon mélange d’ancien et de neuf, de profond et d’actuel.

Chabbat chalom et Hag sameah

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