Chers amis,
Chabbat chalom et Hag sameah,
puisque, certains ne le savent peut-être pas, Chabbat passe avant Pessah.
Chabbat est la plus importante des
fêtes juives du calendrier si on suit ce que nous en dit la Torah, c’est aussi
la plus importante théoriquement et théologiquement. Mais on ne peut pas
ignorer que sociologiquement, si des juifs qui ont perdu toute attache avec la
pratique quotidienne ou hebdomadaire du judaïsme se « réveillent »
une fois ou deux dans l’année pour s’approcher d’une synagogue ou de leur
famille, c’est en automne à Yom Kippour et au printemps à Pessah.
Autant Yom Kippour a un caractère
austère, autant Pessah est synonyme chez la plupart d’entre nous de réunion
familiale festive, avec le goût des plats traditionnels et des aliments du
plateau du seder.
Je ne sais pas combien de fois
chabbat est mentionné dans la Torah, ainsi que Yom Kippour ou Pessah en tant
que fête de pèlerinage. Je sais, parce que la tradition rabbinique insiste
beaucoup dessus, que la mitsva de raconter la sortie d’Egypte le soir du Seder
est mentionnée à 4 reprises. Raconter la sortie d’Egypte. Pas « lire la
Haggada » comme certains le croient, car la Haggada n’est à l’origine
qu’une suggestion pour ceux qui n’ont pas les moyens de citer midrachim et
commentaires sur le livre de l’Exode, puis ce texte s’est fixé et est devenu le
texte que nous connaissons tous, avec ces 4 questions, 4 coupes de vin, 4 fils,
4 fois le mot « baroukh », etc. C’est donc tout naturellement que ce
soir je vais parler du chiffre… 5.
Oui le chiffre 5, parce que ce
chiffre quatre de la Haggada n’est pas considéré comme un chiffre parfait,
rond, harmonieux et complet. C’est un chiffre qui appelle à être
complété : Au départ, les rabbins basent leur commentaire sur un passage
du livre de l’Exode, paracha Vaera, lorsque Dieu annonce à Moché qu’il a
entendu la clameur des Bené Israel et qu’il va les délivrer :
Exode 6, 6-7 :
שמות פרק ו
(ו) לכן אמר לבני ישראל אני יקוק והוצאתי
אתכם מתחת סבלת מצרים והצלתי אתכם מעבדתם וגאלתי אתכם בזרוע נטויה ובשפטים גדלים:
(ז) ולקחתי אתכם לי לעם והייתי לכם לאלהים
וידעתם כי אני יקוק אלהיכם המוציא אתכם מתחת סבלות מצרים:
(ח) והבאתי אתכם אל הארץ אשר נשאתי את ידי
לתת אתה לאברהם ליצחק וליעקב ונתתי אתה לכם מורשה אני יקוק:
Ce qui sera ensuite défini comme
« arbaa lechonot chel guéoula » 4 verbes, quatre promesses, 4 paroles
de délivrance et de réconfort :
- Je vous ferai sortir
- Je vous sauverai
- Je vous délivrerai
- Je vous prendrai pour peuple
Le problème, ou plutôt la question,
est que ces 4 verbes sont aussitôt suivis d’un cinquième : « Je vous
emmènerai vers le pays que j’ai promis à Avraham, Itzhak et Yaakov… ».
Les sages du Talmud, à leur manière
un peu imagée, se posent la question : doit-on boire un cinquième verre de
vin ? La solution trouvée étant de remplir une cinquième coupe, que l’on
boira lorsque le prophète Elie viendra nous « délivrer » de ce doute,
c’est ce verre que nous appelons « koss chel eliyahou » la coupe du
prophète Elie. Mais cette petite question de procédure (4 ou 5 verres) ne doit
pas cacher une question beaucoup plus profonde : la sortie d’Egypte
est-elle achevée lorsque les hébreux ont passé la frontière et se sont mis hors
de portée de l’armée de pharaon, ou bien s’achève-t-elle lors de l’entrée en
terre de Canaan, 40 ans plus tard ? La délivrance est-elle complète et
totale lorsqu’on n’est plus en état d’esclavage, ou bien n’est-elle entière que
lorsqu’on accomplit un projet concret dans un lieu donné, un projet dont l’axe
principal est le refus de tout asservissement de la personne humaine, comme le
prescrivent les lois éthiques de la Torah ?
Les historiens, dont le travail
consiste à tracer l’histoire et l’évolution du texte de la haggada et la façon
dont le seder a été célébré à différentes époques, pensent qu’à l’origine, à
l’époque du second temple, le seder comportait effectivement 5 coupes, en
référence aux 5 verbes. Ce n’est qu’après la destruction du Temple et la
catastrophe qu’a représenté la perte d’indépendance nationale, puis l’exil, que
la cinquième coupe s’est effacée, peut-être parce qu’il était devenu trop
douloureux d’évoquer cette indépendance nationale perdue. Même idée pour l’œuf
du plateau du seder : korban Haguiga qui n’aura pas lieu, ainsi que deuil
du Temple.
Mais plus généralement, l’idée
suivant laquelle le chiffre 4 de la haggada en appelle un cinquième est une
idée riche en développements : toute une littérature moderne s’empare de
la thématique du cinquième fils. Qui est, ou qui peut-être ce cinquième fils de
la haggada ?
- certains imaginent une fille =>
Expression d’une voie souvent absente ou étouffée dans la tradition juive.
Qu’aurait-elle à dire ? Quelle question voudrait-elle poser ? Peut-être
demanderait-elle pourquoi lorsque la Torah parle de transmission du sens de
Pessah c’est toujours à un fils ? Est-ce que les femmes ne sont pas
sorties d’Egypte avec les hommes ? Moché lui-même n’insiste-t-il pas
auprès de pharaon pour que sorte « tout le peuple », hommes, femmes
et enfants ?
- d’autres y voient le fils absent,
celui qui n’assiste même pas au seder, qui ne s’est même pas donné la peine de
répondre à l’invitation familiale. Pourquoi ? Révolte, refus, rejet… ou
tout simplement paresse, autre chose de mieux à faire, il ne désire pas
s’arrêter de travailler, interrompre sa vie professionnelle/matérielle pour ce
qu’il considère comme des vieilleries qui ne sont plus actuelles.
D’autres encore, après avoir imaginé
un cinquième fils, se plaisent à imaginer… une cinquième question. Une question
qui n’est pas ritualisée, qui sort du cadre du « Ma nichtana » =>
en quoi cette nuit est-elle différente des autres nuits ?
- En quoi ce seder est-il différent des autres seder ?
- Quelle signification pour nous Pessah cette année ?
- Quel est le but de ce seder : reproduire à
l’identique tous les gestes que faisaient nos ancêtres, ou peut-on le
moderniser, l’actualiser le rendre porteur de sens pour nous aujourd’hui, sans
lui faire prendre sa signification première, son « goût »,
« taam » en hébreu qui signifie sens et goût.
Vous l’aurez compris, j’introduis ici
la problématique à laquelle le mouvement Massorti, ses créateurs, ses
dirigeants, ses rabbins s’attachent à constamment avoir à l’esprit, et à répondre
avec plus ou moins de succès : tradition et modernité. Je devrais même
dire traditions et modernités.
Nous estimons que la meilleure façon
d’être fidèle au message des auteurs de la Haggada, qui nous disent
qu’ « à chaque génération la personne doit se sentir comme si elle
sortait d’Egypte », c’est de proposer aux gens de réfléchir sur des sujets
profonds liés à l’actualité la plus récente, tout en respectant le rythme, les
textes, les lois sauvegardées et transmises par les générations qui nous ont précédé.
Cette année, nous avons comme
objectif de réaliser un « mini-exploit », une chose et son
contraire : que ce seder soit fidèle à tous les autres seders depuis
l’époque de la Michna, et qu’en même temps il soit différent du seder de
l’année dernière, avec d’autres explications, d’autres commentaires, d’autres
explications et d’autres chants. Nous serons un peu aidés et guidés en cela par
une petite brochure éditée et envoyée par un organisme centralisateur du
mouvement massorti auquel nous appartenons : « Masorti Olami »
qui a fait en sorte de proposer, et je dis bien proposer, différentes façons de
rendre le seder actuel cette année. Ce qui veut dire que l’année
prochaine, peut-être nous aurons une autre version. Personne ne prétend que
tout ce qui est proposé est bon et correspond à notre public, mais je suis
sûr que vous comprendrez la démarche, et le cas échéant vous proposerez de nous
aider à l’améliorer.
Notre démarche, notre slogan/devise,
allier tradition et modernité, nous ne la considérons pas comme un but en soi,
mais comme un moyen : celui de faire tout ce que nous pouvons pour ramener
le cinquième fils (ou la cinquième fille) à la maison le soir du seder, et
l’amener à poser des questions, ou au moins à exprimer ce qu’il/elle n’avait
jamais eu l’occasion d’exprimer auparavant, en lui permettant de se sentir en
confiance dans une atmosphère de partage et de bienveillance.
Pour en revenir à la fameuse
cinquième parole, celle de l’aboutissement de la libération, de l’arrivée du
peuple sur sa terre pour l’accomplissement du projet porté par la Torah,
« ve-hévéti », il faut reconnaître que l’actualité récente, avec la
recrudescence de l’antisémitisme en Europe, nous fait regarder vers Israël
d’une autre façon, et peut-être nous permet de faire résonner un peu plus fort
les derniers mots du seder : « l’an prochain à Jérusalem ». Cela
n’a jamais voulu dire, évidemment, que l’année prochaine nous souhaitons
prendre une semaine de vacances à l’hôtel en Israël, mais que quelle que soit
notre situation de confort et d’intégration dans le pays dans lequel nous
vivons, nous ne perdons pas de vue que notre espoir (Hatikva), est de pouvoir
faire en sorte qu’un jour nous puissions profiter de cette ère messianique tant
attendue, dans laquelle Jérusalem ne sera plus synonyme de conflits multiples
et interminables mais d’un havre de paix qui rayonne sur toute la terre.
Une tradition très récente (mais une
tradition quand même) est de se souhaiter « Pessah cacher
vé-saméah »=> un pessah cacher ( !?) (=> peut-être allusion à
quelque chose de technique, élimination du hamets) et heureux (heureux vient en
deuxième, peut-être une relation de cause à conséquence ?) une blague très
connue et ancienne : « pour vivre heureux, vivons cacher ».
Je préfère de loin souhaiter à tous
un Pessah réussi, c’est-à-dire avec un bon mélange d’ancien et de neuf,
de profond et d’actuel.
Chabbat chalom et Hag sameah
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