Chers amis,
La paracha que nous lirons demain commence par ces
mots : « Vayakhel Moché ète kol ‘adate bné Israël… » Moché
assemble, rassemble, réunit les Bné Israël pour leur enseigner les règles de
construction du Michkan, le sanctuaire portatif qui va les suivre dans le
désert. Avant de s’embarquer dans la signification de chacun des détails de
cette construction, des tissus utilisés pour les tentures à la dimension des
poteaux en passant par le costume du grand-prêtre, toute sorte de détails qui intéressent
en priorité les architectes et les modistes (et je ne suis ni l’un ni l’autre),
les commentateurs se penchent sur le premier verbe :
« Vayakhel » : il assembla, fit que tous formèrent un kahal.
Nos maîtres nous enseignent que dans la Tora, chaque mot,
chaque expression est à peser, soupeser soigneusement. Evidemment, s’il n’était
question ici que de la relation d’un évènement mineur, le fait que Moché ait
demandé à tous de se rapprocher physiquement à un endroit pour entendre ce
qu’il avait à leur dire, cela n’aurait certainement pas fait l’objet d’une
relation dans la Tora. Le premier verset, l’emploi du verbe, la forme verbale
employée, le fait que le mot ‘eda (communauté) soit employé juste après pour
provoquer une redondance qui exprime l’insistance, montre qu’il se passe ici
quelque chose d’étonnant, d’extra-ordinaire, de prodigieux. De
miraculeux. Nous sommes chronologiquement juste après la faute du veau d’or.
Moché, après avoir fait tomber les premières tables de la Loi et puni une
grande partie des coupables par une campagne sanguinaire, est remonté en écrire
d’autres, pendant 40 jours, et il revient, d’après le Midrach, le jour de Yom
Kippour (ce qui explique le rapprochement entre le texte de la paracha
précédente, Ki Tissa, et la liturgie de Kippour que nous avons remarqué la
semaine dernière).
Nous sommes, dit Rachi qui cite le Midrach, le lendemain de
Yom Kippour : « Moché fit assembler Le
lendemain du jour de Yom Kippour, lorsqu’il est descendu de la montagne. Le
verbe est employé à la forme du hif‘il : il n’assembla pas les gens à
l’aide de ses mains, mais ils se sont assemblés en l’entendant parler. Aussi le
Targoum Onqelos traduit-il par : weakhnich (« il fit
assembler ») »
Même si d’autres sources font état de la difficulté de Moché
à s’exprimer, ce texte semble rendre un hommage à son charisme, à sa capacité à
parler, à convaincre, à mobiliser la foule : ils ne s’assemblent pas grâce
à l’aide de quelques gardes dont la fonction serait de battre le rappel et
d’amener tout le monde au lieu du rassemblement, ni à l’aide de tambours ou
d’une fanfare pour attirer l’attention. Il commence à parler, et les gens
s’approchent. Ils écoutent en silence, sont magnétisés, comme hypnotisés, et
finissent par tous lui obéir même au-delà de ses espoirs : « et
dirent à Moïse: "Le peuple fait surabondamment d'offrandes, au-delà de ce
qu'exige l'ouvrage que l'Éternel a ordonné de faire." 6 Sur
l'ordre de Moïse, on fit circuler dans le camp cette proclamation: "Que ni
homme ni femme ne préparent plus de matériaux pour la contribution des choses
saintes!" Et le peuple s'abstint de faire des offrandes. »
Ce que Moché a fait ici, bien peu d’autres ont su/pu le faire
au cours de l’histoire, ne serait-ce que temporairement. Parler à une foule,
une masse, et trouver les mots pour que chacun se sente concerné et touché.
Faire en sorte de tous les mobiliser autour d’un projet, qu’ils regardent tous
dans la même direction et se sentent motivés par un seul et même objectif, dans
lequel chacun a sa part. Tous. Tout le peuple et toute la communauté. Car le
mot Hakhel/kahal est utilisé dans la Torah comme un mot de rassemblement :
plus tard, dans le Deutéronome, Moché recevra un ordre :
דברים פרק לא
(יב) הקהל את העם האנשים
והנשים והטף וגרך אשר בשעריך למען ישמעו ולמען ילמדו ויראו את יקוק אלהיכם ושמרו
לעשות את כל דברי התורה הזאת:
« Convoque,
assemble, réunit tout le peuple, les hommes, les femmes et les enfants… ».
Et ici je vais faire une
petite parenthèse qui a son importance : dans toute la Torah, lorsqu’il y
a convocation, la présence des femmes est requise et même obligatoire. Tant
dans la citation du Deutéronome, où le mot est ‘Am (le peuple), que dans celle
de notre paracha, où le mot est ‘éda (la communauté) : il suffit de lire
simplement le texte : les femmes sont aussi concernées que les hommes,
puisqu’elles apportent elles aussi leur contribution à l’édification du Michkan
sous forme de dons (Ich o Icha, homme ou femme) ! Il n’est venu à
personne, dans le texte de la Tora ou dans les commentateurs, de dire que les
femmes n’apportèrent pas de dons parce qu’elles ne comptent pas dans la
communauté !
Une simple lecture objective
et consciencieuse des sources permet de remettre à leurs places les tenants
d’une séparation hommes/femmes, qui cherchent à la justifier sous des prétextes
de plus ou moins bonne foi (les femmes n’ont pas besoin, elles sont
dispensées…), ou en usant de textes qui sont mal compris : un texte de la
guemara du traité Méguilah se demande pour quelle raison les femmes de comptent
pas dans le minyan : mais il faut voir le contexte pour réaliser qu’on se
demande avant d’où vient la notion de minyan comme quorum minimal pour
considérer qu’on prie en public, et d’où sait-on que ce quorum doit
correspondre au chiffre dix et pas un autre ? Lors de la discussion, les
sages finissent par trouver un midrach qui prend appui sur le mot ‘Eda
(communauté) qui est prononcé dans le texte de la Torah lorsque la colère de
Dieu s’enflamme contre tout le peuple à l’occasion de la faute des
explorateurs. On dit alors « puisque les explorateurs (les mauvais)
étaient 10 hommes, une communauté doit se composer d’au moins 10 hommes ».
Comme j’ai eu l’occasion de l’expliquer, et comme le disent certains
commentateurs du Talmud qui peuvent difficilement être considérés comme des
réformateurs, il s’agit d’un midrach qu’on appelle « asmakhta » ou
« Midrach mékayem » : il s’emploie à justifier une situation
préexistante plus qu’à trouver la source d’une nouvelle Halakha. Ce n’est pas
une michna, et comme le font remarquer certains, jusqu’à présent il n’est pas
nécessaire d’être un racha, un rebelle pour faire partie du minyan.
Je ferme la parenthèse,
en répétant que lorsque la Torah parle de ‘Eda-communauté, elle s’adresse à
tous, hommes, femmes et enfants.
Elle s’adresse, comme le
dit le texte à plusieurs endroits dans le Deutéronome, à ceux qui étaient
présents, à l’époque, à cet instant t de l’histoire, comme à ceux qui
sont ici aujourd’hui (on le répète dans la Torah on le dit aussi à Pessah et
Chavouot).
Ce qui nous manque
parfois, ce que les successeurs de Moché tentent de faire, chacun à leur façon,
chacun suivant ses possibilités, c’est la volonté/la capacité de nous réunir,
de nous unir, de nous mobiliser autour d’un projet commun, enthousiasmant, dans
lequel chaque individu pourrait se joindre et y trouver sa place au côté
d’autres. Le texte de la Haggada de Pessah dit que « chacun doit se
sentir à Pessah comme s’il sortait d’Egypte » (bekhol dor vador…).
Je rajouterais que chacun
doit aussi se sentir comme si c’était à lui de construire un nouveau Michkan,
un nouveau sanctuaire. Une nouvelle synagogue. Une communauté construite,
portée par et dirigée vers des hommes, des femmes et des enfants. Une
communauté dont l’ambition ne serait pas de reproduire un microcosme issu d’un
passé fantasmé et définitivement révolu, mais qui aurait l’ambition de se
renouveler constamment, mue par de nouvelles forces.
Une communauté (‘Eda) qui ne refermerait le livre de
l’Exode, comme nous allons le faire demain, que pour mieux pouvoir le
redécouvrir l’année prochaine.
Chabbat chalom
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