Chabbat Chalom,
Le sujet
principal de la paracha de cette semaine s’impose de lui-même :
l’idolâtrie, avec le veau d’or, la statue que le peuple hébreu a construit en
bas du mont Sinaï, à l’endroit même où le peuple juif avait entendu quelques jours
plus tôt Dieu lui-même s’exprimer, lui parler et lui dire : « Je suis
l’Eternel ton Dieu qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, tu n’auras pas
d’autre Dieu que Moi », le premier commandement, et surtout juste
après : « Tu ne te feras pas d’idoles », le second commandement.
Et tous les
commentateurs, au long des siècles, de s’interroger sur la raison profonde de
cette transgression, considérée comme la transgression absolue, la faute par
excellence. Comment ont-ils pu ? Comment à peine 40 jours après avoir eu
le privilège de vivre une révélation, une théophanie collective, ont-ils pu
commettre cet acte de rébellion ? Est-ce bien un acte de rébellion, de
défi comme on l’entend communément ? Une simple lecture attentive du texte
permet de réaliser que la rébellion ne concerne pas la première des 10 paroles,
puisque les hébreux qui entourent le veau d’or s’écrient « voici ton dieu,
Israël, qui t’as fait sortir du pays d’Egypte ». Comme toujours, dans la
Tora comme dans n’importe quel texte de littérature, les choses sont beaucoup
plus subtiles qu’elles apparaissent au premier abord, et le texte cache souvent
un second sens, et parfois un troisième et un quatrième. En lisant
attentivement donc, on se rend compte que le veau d’or ne représente pas pour
les hébreux un autre dieu, en remplacement du premier, qui les protègerait et
les aiderait à la place de celui qui leur a accordé une alliance 40 jours plus
tôt. Le veau d’or représente un autre Moïse. Un autre leader, un autre chef, un
autre intermédiaire avec ce Dieu invisible, tellement impressionnant, et
tellement dangereux (puisque ceux qui l’approchent doivent automatiquement
mourir).
Ainsi donc, la
fabrication et le culte du veau d’or ne serait pas l’expression d’une révolte
contre Dieu mais la conséquence d’un sentiment de solitude, d’une angoisse,
d’une peur, d’un sentiment d’abandon suite à un deuil. Comme Moché n’est pas
revenu, tous le croient mort. Il faut donc créer un autre Moché, un remplaçant,
qui ne risque pas de mourir au contact de la parole Divine , de Sa
vision même. Un Moché blindé, à l’épreuve de tous les coups et de tous les
outrages du temps. Un guide immortel.
Une erreur
certes, mais une erreur tellement naïve ! Tellement humaine ! Lequel
d’entre nous n’a jamais rêvé, fantasmé que ses guides, ses repères, ses parents
soient immortels et toujours là pour nous aider, nous conseiller et nous
soutenir ?
En quoi cette
réaction toute naturelle de la part d’un pauvre peuple de paysans, de bergers,
d’esclaves à peine libérés, mérite-t-elle de déclencher une telle réaction de
colère au point que Dieu menace d’exterminer le peuple entier, et Moïse se
livre à un véritable massacre sur les coupables ? Au point que la faute du
veau d’or deviendra dans la tradition juive le paradigme de la faute absolue
que nous devons expier à Yom Kippour ?
Je vais me faire
l’avocat du diable : en quoi est-ce problématique que les hébreux se
choisissent un repère qui leur convienne, puisque la religion par définition
est un instrument, un outil pour gens paumés et naïfs en mal de repères. Si
c’est bien le cas, alors rendre un culte à un veau d’or ou à autre chose,
quelle importance ? A moins que la volonté de Moché soit de maintenir le
peuple sous sa coupe afin de pouvoir régner sans partage en profitant de leur
naïveté, de leur crédulité et de leur faiblesse ?
A cela il ne
faut répondre qu’une seule chose : le crime des hébreux n’est pas d’avoir
voulu remplacer Moïse. Leur crime est d’avoir voulu remplacer un humain par une
statue. Une statue ne répond jamais « non », ne réprimande pas, ne se
met pas en colère, ne contredit jamais. Elle ne faiblit pas, ne se décourage
jamais. Une statue ne change jamais d’avis, elle ne se trompe pas non
plus : ce sont les hommes qui comprennent mal. Il est tellement plus
facile de remplacer une relation humaine par une relation avec une machine ou
un objet. Il est tellement tentant de « chosifier », de réduire les
gens à des objets. « Untel ? Il est comme ça, il ne changera
jamais ». « Moi, je pense cela depuis des années, je suis comme ça,
j’ai raison et je ne bougerai pas de mes positions ».
Alors que Dieu
et Moché avaient proposé au peuple une religion, c'est-à-dire une façon d’être
qui soit constamment en mouvement, dans le renouvellement, dans le
questionnement, dans l’humain, à l’opposé même de toute image fixée, figée, de
tout dogmatisme… au premier doute, à la première angoisse ils ont préféré se
réfugier dans ce qu’ils connaissaient, une image fixe, stable, rassurante. Une
idole.
Ne faisons pas
d’amalgame. Le dogmatisme n’est pas l’apanage de la religion. Il existe
même une pensée qui, au nom de la religion, refuse le dogmatisme, l’idolâtrie.
Il arrive même parfois qu’il y ait un dogmatisme antireligieux. Il arrive
parfois qu’on se plonge dans une discussion avec quelqu’un en tentant
d’argumenter pour faire comprendre quelque chose, non pas en cherchant à
convaincre mais simplement à exposer ses arguments, et alors qu’on croit avoir
en face de soi un être raisonnable on a en fait quelqu’un de complètement buté,
rigide, immobile, qui refuse en bloc la totalité du discours tout simplement
pour ce que vous représentez.
Je pourrais
donner une multitude d’exemple, mais le message principal doit être compris et
intégré : le dogmatisme et la fermeture n’est pas l’apanage des religieux,
loin s’en faut.
Nous venons de
lire la Méguilah d’Esther et elle résonne encore dans nos oreilles : la
première fois que le personnage de Mordekhaï apparaît : « Ich yéhoudi
haya bechouchan habira… » Fameux Midrach, car c’est la première fois qu’un
hébreu est appelé Yéhoudi. Lehodot= reconnaître. Comme Yehouda avec Tamar. Ce
qui lui donne le mérite de prendre la tête du peuple.
Maïmonide va
encore plus loin : « Kol hakofer beavoda Zara Niqra yéhoudi » ce
qu’il faut lire comme « quiconque rejette l’idolâtrie/le dogmatisme mérite
d’être appelé juif.
Je raconte
souvent à mes élèves du Talmud Torah que l’histoire du peuple d’Israël est vécue
comme la métaphore d’un homme ou une femme qui grandirait petit à petit et qui
deviendrait lentement un adulte. Le passage du stade de l’enfance à l’âge
adulte s’appelle l’adolescence. Un Âge auquel souvent, pour se construire,
on se choisit des idoles. Je leur explique que si je n’ai pas d’idole à leur
proposer, je peux en revanche leur donner un conseil pour la vie : essayer
de toujours refuser le dogmatisme, la pensée unique, l’autoritarisme, l’ordre
moral. Ne pas hésiter à devenir des révolutionnaires, des révoltés, des rêveurs.
Des juifs. Des juifs religieux. Mais de vrais religieux. Et peu m’importe si
dans leurs choix de vie ils décident d’être ou non pratiquants, d’être ou non
croyants. Cela n’a pour moi aucune importance. L’essentiel est de ne jamais
devenir un bloc sec et figé.
Chabbat Chalom.
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