Chers amis,
Sans dévoiler ce que va dire Joachim
demain, la paracha de cette semaine est une histoire de succession. C'est de
succession politique dont il est question ici : Moché, dans une cérémonie sobre
et émouvante, passe le relai publiquement à Josué, son fidèle serviteur, son
meilleur élève.
Pourquoi ?
דברים
פרק לא
(ב) ויאמר
אלהם בן מאה ועשרים שנה אנכי היום לא אוכל עוד לצאת ולבוא ויקוק אמר אלי לא תעבר
את הירדן הזה:
Moché a 120 ans mais ce n'est pas
cela qui le retient. C'est le fait que Dieu ne lui a pas donné l'autorisation
de continuer.
L’expression utilisée par Moché à
trois reprises est : Hazak vé-émats
La traduction du rabbinat : « Sois
fort et vaillant! »
Autres traductions : « sois fort
et montre-toi ferme! » Ou « sois fort et tiens bon! »
Une expression devenue depuis
classique en hébreu, et qui est utilisée chaque fois que quelqu’un accède à un
nouveau poste à responsabilité. La première fois, Moché l’emploie au pluriel,
en s’adressant à tout le peuple :
דברים
פרק לא
(ו) חזקו
ואמצו אל תיראו ואל תערצו מפניהם
« Soyez forts et
courageux ! N’ayez pas peur… »
Comme pour dire : « je
compte sur chacun d’entre vous »
Puis l’expression est employée au
singulier, à deux reprises, à l’attention de Josué :
דברים
פרק לא
(ז) ויקרא
משה ליהושע ויאמר אליו לעיני כל ישראל חזק ואמץ כי אתה תבוא את העם הזה אל הארץ
אשר נשבע יקוק לאבתם לתת להם ואתה תנחילנה אותם:
« devant tout le peuple
d’Israël » => il s’agit d’une passation de pouvoir publique,
« officielle » dans laquelle le prédécesseur tente de donner
confiance et courage à son successeur.
Seconde partie de la cérémonie de
passation se passe devant Dieu, qui descend dans la tente (le michkan)
pour une annonce, en fait pour prédire le futur et expliquer que pour le peuple
le penchant vers l’idolâtrie reprendra bientôt le dessus. Au niveau théologique
il est passionnant de voir que Dieu se déclare impuissant d’éviter les
égarements futurs du peuple, et préviens qu’il a déjà prévu de « voiler sa
face » pour ne pas intervenir et du coup les laisser sombrer à cause de
leurs fautes. Néanmoins, pour éviter que le peuple juif n’oublie son Dieu, il
leur délivre un cadeau, un chant/hymne, dont le but affiché est de les empêcher
d’oublier. Cela aussi c’est très fort : Il met la Torah par écrit et donne
des instructions pour la conserver précieusement. Mais c’est comme s’il savait
que presque personne ne la lira ; Il faut donc un outil d’instruction des
masses, quelque chose qui se répande dans toutes les couches de la population,
traverse les générations et ne s’oublie jamais : une chanson, un poème,
littérature orale par excellence, populaire et donc beaucoup plus facile à
répandre. Nous connaissons ce poème sous le nom de « Haazinou » =>
la paracha suivante.
Mais ce qui m’intéresse ici c’est la
cérémonie : d’abord acclamation populaire puis « validation »
divine.
La seconde fois :
דברים
פרק לא
(כג) ויצו
את יהושע בן נון ויאמר חזק ואמץ כי אתה תביא את בני ישראל אל הארץ אשר נשבעתי להם
ואנכי אהיה עמך:
La deuxième fois fait partie du
discours de Dieu lui-même, qui annonce à Josué qu’il sera avec lui.
L’apparition publique de Dieu est ici
à comprendre comme un « validation » de cette succession. Un prophète
ce n'est pas un politicien : on ne peut pas se réclamer et s'autoproclamer
"des valeurs de", il faut que Dieu lui-même, par un signe ou encore
mieux par un discours annonce qu’il a trouvé un remplaçant à Moché.
La succession des chefs est un problème
récurrent dans l'antiquité. Lorsque un chef doit laisser la place à un autre,
il y a plusieurs cas de figures possibles : soit il désigne son fils en
espérant que cela ne donnera pas lieu à une guerre fratricide (quel fils, quel
numéro, de quelle femme…), soit il nomme un de ses généraux (lequel…), soit il
n’a pas l’occasion d’organiser sa succession et c’est le chaos du fait de
luttes fratricides à cause de l’héritage. Ici le risque de guerre de succession
était grand. Pourquoi? Le peuple d’Israël est divisé en tribus clans familles,
et Josué n’est pas d’origine noble (il est de la tribu d’Efraïm =>
Joseph !).
Or contre toute attente ici nous
avons l’exemple d'une transition douce, rapide et incontestée. Même si on ne
peut pas vraiment parler d'alternance, disons simplement transition.
Ce n’est pas une transition
démocratique au sens où nous l’entendons car le successeur n'est pas choisi par
le peuple, il est désigné. D'un autre côté, c'est bien le meilleur qui est
désigné, et non le « fils de ».
Mais la succession d’un prophète ne
s’organise pas comme la succession de n’importe quel chef ou leader politique.
Le lecteur occidental contemporain est troublé par le fait que la succession ne
peut intervenir qu’à la fin de la vie du leader précédent. Dans la Torah, dans
l’antiquité, pas de « retraite » des hommes d’états ! On passe
la main le jour de sa mort. Le prophète est mort, vive le prophète !
Quelqu’un qui détient le pouvoir ne peut s’en retirer que par la force ou par
la mort. J’ai cherché dans la littérature juive, biblique ou talmudique, et je
n’ai pas vu d’exemple de ce que nous appelons aujourd’hui « transition
démocratique », c’est-à-dire un leader qui, après avoir gouverné un
certain nombre d’années, se retire au profit d’un successeur et redevient un
citoyen comme un autre, soumis aux décisions du nouveau chef.
Tous les discours apologétiques n’y
feront rien : en cela la Torah ne propose pas de modèle différent,
supérieur ou novateur par rapport à ce qui se fait dans l’antiquité, ce qui se
pratique chez les rois de France ou chez certains dictateurs africains :
on n’accepte pas de quitter le pouvoir volontairement de son vivant.
Avantages et inconvénients :
Avantage : le leader retraité ne
risque pas de semer le trouble dans la population en clamant partout « moi
j’aurais fait autrement » ce qui est un sentiment humain, qui pousse à critiquer les
actions de son remplaçant.
Inconvénients (entre autres) :
les atmosphères de fin de règne dans lesquelles les décisions ne sont pas prises,
même lorsqu’il n’y a pas d’incertitude politique sur la succession.
En fait, ce que la Torah cherche à
nous transmettre ici, c’est la facilité de cette transmission parce qu’elle
n’est que de façade : le prophète change, mais le Dieu est le même et il
ne changera pas son alliance. De la même façon que c’est Dieu qui a aidé le
peuple à combattre les peuples ennemis dans le désert, Il assistera le peuple
dans la conquête de la terre comme Il l’a promis.
Dans le texte qui précède de quelques
jours l’entrée en terre de Canaan, l’entrée du peuple juif dans l’histoire,
Dieu cherche à éviter ce qui s’est produit 40 ans plus tôt, à la paracha
Chelah-lekha : le découragement, la crainte, la panique. C’est la peur qui
avait fait manquer la génération précédente. Car la peur est communicative. Si
la tête a peur, que fera la base ? C’est la peur que Dieu et Moché
cherchent à conjurer par cette insistance « Hazak vé-émats ».
Chabbat chalom
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