Chers
amis,
Aujourd’hui
vendredi est (était) Roch Hodech Sivan. Malheureusement dans
notre communauté les jours de néoménie passent largement inaperçus. D’un côté
cela se comprend, car Roch Hodech n’est pas dans la tradition un
jour de Yom Tov dans lequel on modifie le contenu de la journée, mais d’un
autre côté c’est paradoxal pour une communauté aussi féminine, puisque Roch Hodech
est par définition une célébration féminine, car associée au rythme lunaire de
28 jours.
Ce
matin, comme tous les raché hodachim depuis des années, un groupe
de femmes religieuses des courants non-orthodoxes s’est rassemblé à Jérusalem,
au mur occidental du Temple, le Kotel pour prier, en revendiquant de
pouvoir le faire au vu et au su de tous avec Talit et Téfilines. Ce groupe se
nomme Néchot Hakotel ou « women of the wall », les femmes du
mur.
Je
dois être le plus clair et le plus honnête possible. Jusqu’à présent je n’en ai
pas parlé et n’ai pas non plus relayé d’informations sur leurs activités, car
je n’ai pas soutenu leur combat, loin s’en faut. Depuis le jour où j’en ai
entendu parler, au séminaire rabbinique à Jérusalem, jusqu’à très récemment,
leur cause m’a toujours paru inutile, absurde et contre-productive.
- Insister, se battre pour prier au Kotel n’est pas une lutte représentative de la théologie des mouvements que nous représentons. Nous sommes les héritiers d’un courant rationaliste parmi le peuple juif, et nous sommes démarqués (à raison je crois) d’une tendance mystico-superstitieuse qui tend à attribuer au Kotel une valeur religieuse centrale dans la vie juive, qu’elle n’avait pas il y a quelques années. D’une valeur de sainteté qui est incontestable dans les textes du Talmud (encore faut-il s’accorder sur la signification à donner à ce mot), on a glissé lentement mais sûrement vers une sacralisation du lieu, jusqu’à y voir un endroit où réside la présence divine en permanence, et où elle reçoit, lit et répond à son courrier (notes, fax, emails…).
- Nous ne souhaitons la reconstruction du troisième temple que de manière très théorique et avec beaucoup de réserves. L’expression « lieu saint du judaïsme » m’a toujours paru problématique, même si je reconnais qu’elle se base sur des sources authentiques, il me semble que son usage politique s’est développé avec le sionisme pour trouver un parallèle juif à une expression utilisée principalement par les chrétiens et les musulmans.
- Après quelques échauffourées et scandales, un endroit a été effectivement octroyé aux courants non-orthodoxes pour prier comme ils le souhaitaient au mur : les fouilles archéologiques au sud ont été subventionnées par un milliardaire américain, M. Davidson, et il a aménagé un espace que l’on appelle Hakotel Hamassorti, auprès duquel j’ai moi-même célébré des Bar/bat Mitzvah.
- Enfin le principe des « femmes du mur » me dérangeait (et me dérange toujours) en tant que juif massorti, attaché à l’égalité hommes/femmes : si j’avais envie de venir prier avec elles, m’auraient – elles compté dans le minyan ? Ou m’auraient-elles dit non parce que je suis un homme ? Et s’il s’était formé un groupe d’hommes du mur dans nos communautés, n’auraient-elles pas crié au scandale ?
- La volonté de s’afficher publiquement dans un lieu si symbolique me paraissait une provocation gratuite afin d’attirer l’attention des médias, est destinée essentiellement au public américain militant féministe, et non au public israélien relativement indifférent. Je n’ai jamais considéré l’engagement et le militantisme dans le mouvement massorti comme une mission (au sens de missionnaires qui cherchent à convaincre les gens de leur vérité).
D’un
autre côté, comment ne pas être sensible aux arguments des femmes du mur, pour
qui l’accès au Kotel doit être permis à l’ensemble du peuple juif/israélien, et
que les ultra-orthodoxes n’ont pas à monopoliser et confisquer le lieu comme
cela s’est vu ces dernières années.
Je
ne suis pas compétent pour retracer l’histoire de la lutte militante des femmes
du mur et des derniers développements de cette année. Disons simplement qu’il y
a encore quelques mois, quelques-unes d’entre elles se faisaient arrêter par la
police et placer en garde à vue, car la loi israélienne stipulait que leur
comportement volontairement provocateur troublait l’ordre public du lieu,
infraction qui pouvait valoir jusqu’à 7 ans de prison.
Le
combat s’est donc déplacé sur le terrain judiciaire, et une décision récente de
la haute cour de justice ordonne aux autorités de réserver une partie de
l’esplanade du Kotel à un public mixte.
Ce
matin, quelques dizaines de femmes se sont réunies pour prier comme à leur
habitude, alors que des milliers de harédim, dont des filles qui ont eu
un congé spécial pour l’occasion, étaient présents pour manifester leur colère
et leur désapprobation, à l’instigation de quelques dirigeants haredim.
Pour la première fois, la police n’était pas là pour les en empêcher et les
arrêter, mais pour les protéger et leur assurer la liberté de culte.
Je
n’ai pas le temps ici de détailler les quelques réactions que j’ai pu lire dans
la presse israélienne en fin de matinée/début d’après-midi, mais l’immense
exagération haineuse de la part des quelques rabbins orthodoxes qui se sont
exprimés sur la question m’a suffisamment
dégoûté pour que je trouve finalement sain que leur obscure intolérance
sorte au grand jour.
Puisque
nous sommes dans la dernière semaine du Omer et de la récitation des pirké
avot, un des aphorismes que nous avons lu la semaine dernière parlait
justement des différences entre un Sage et un sot. Parmi celles-ci, une des
caractéristiques du sage est dans sa capacité de « modé al haemet »
=> reconnaître la vérité. Je reconnais donc, même si je continue à avoir le
même avis sur la question, que la victoire du mouvement des femmes du mur est
une victoire pour l’ensemble des mouvements non-orthodoxes, pour la démocratie
et la liberté de culte au sein de l’état d’Israël, et plus largement pour le
judaïsme en général, puisque nous bénéficierons d’une manière ou d’une autre de
cette nouvelle avancée, même si elle est petite, comme nous tirons profit de
chaque pas conquis par nos amis en Israël ou ailleurs.
Mais
après nombre de visites au Kotel dans lesquelles je n’ai rien ressenti de
particulier à part de l’intérêt intellectuel face aux découvertes
archéologiques, qui pour la plupart confirment les textes bibliques, je reste
avec l’idée que le véritable lieu saint du judaïsme se trouve ailleurs qu’à
Jérusalem devant le mur dit « des lamentations ». Pour moi il se
trouve dans le désert du Sinaï, sur une montagne qui s’appelle aussi Sinaï, de
laquelle on parle dans la paracha de cette semaine comme dans toutes les
parachot depuis la moitié du livre de l’Exode. Ce lieu est saint parce qu’il ne
figure sur aucune carte, et que jusqu’à aujourd’hui personne ne sait
précisément où il se trouve. Il est simplement dans le désert, lieu neutre,
au-delà de toute frontière, de tout particularisme ethnique ou géographique. Un
lieu ouvert à tous. Un lieu dédié à la parole : midbar/medaber. Le
lieu où il y a tellement de silence qu’on peut enfin véritablement entendre,
d’où les périodes d’isolement des prophètes.
Un
endroit qu’on peut visiter très facilement : il suffit d’ouvrir un livre,
la Torah, à n’importe quelle page, pour que la voix qui a parlé au Sinaï se
fasse entendre, dans ce lieu qui fut la seule patrie du peuple juif, pendant
les siècles qui précédèrent la création de l’état d’Israël : le Livre.
Peut-être
qu’un retour régulier au Livre, et notamment à la façon dont il fut perçu par
le peuple juif, chaque tribu derrière son drapeau, permettra de calmer les
esprits et de se concentrer sur la véritable signification du Lieu, comme
origine, point de départ et non place de conquêtes, de batailles, de divisions
et de haine.
Pour
conserver la sainteté du Kotel, n’en faisons pas un lieu sacré, comme le Vatican
ou La Mecque. Il ne tient qu’à nous de faire en sorte que ce lieu reste un
point de rassemblement pour le peuple juif, pour tous les juifs, et pour cela il
faut certes des militants courageux et dévoués, mais aussi des lecteurs
attentifs de la Torah.
Chabbat
chalom
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