Les
Pirké avot s’ouvrent par Moise recevant la Torah au Sinaï puis la transmettant
à Josué ; à partir de Josué cette Torah passera au fil des générations par
des groupes de personnes d’exception, avant de parvenir au début de l’époque du
second temple, aux premiers sages, les membres de la grande assemblée. Mais de
quelle « Torah » nous parle cette Michna ?
Une erreur
répandue veut qu’il s’agisse du pentateuque, les 5 livres de Moise, dans le
sens le plus étroit de cette notion, en d’autre terme la Torah écrite. Selon le
philosophe Yeshayahou Leibowitz, connue pour son franc parlé, il n’y a pas d’erreur
plus grande et plus grave que celle-ci. La Torah n’a jamais été la propriété de
particuliers ou de groupes choisis au sein du peuple juif, contrairement à
d’autres religions où la doctrine est réservée aux prêtres et aux érudits. Dès
l’origine, la Torah de Moïse fut propriété collective. Elle fut donnée à la
« communauté de Jacob ». C’est là le sens profond de l’évènement du Sinaï.
La Torah fut révélée au peuple d’Israël,
par l’intermédiaire de Moïse. La Torah dont parlent nos sages ici, est la Torah
orale. Il fallait insister sur le fait qu’elle fut reçue au Sinaï, pour que son
autorité soit approuvée. Les rabbins du Talmud savaient parfaitement que cette
Torah ne leur était pas parvenue depuis Moïse telle quelle, puisque eux-mêmes contribuaient
activement à sa formation. Un extrait du Talmud dans le traité Menahot illustre
magnifiquement cette notion de halakha lé Moché mi Sinai, une loi reçu
par Moise au Sinaï.
"Rav
Yéhouda dit au nom de Rav :
« Quand Moise monta au ciel, il trouva le Saint, béni soit-il,
occupé à dessiner des couronnes autour des lettres. Il dit :
- Maitre du monde qui donc te retient de clore la rédaction de la
Torah? Dieu lui répond :
- Un homme apparaitra dans quelques générations. Son nom est Akiba
ben Yossef. Il est censé commenter le moindre détail et en tirer un tas de lois.
- Maitre du monde, montre le moi!
Dieu l’envoya dans le temps, et Moïse apparut dans la yeshiva de
Rabbi Akiba. Il alla s’asseoir au dernier rang. Or il ne comprenait rien à ce
qui se disait. Il en était consterné. Un certain moment, alors qu’il traitait
d’on ne sait quoi, les disciples de Rabbi Akiba demandèrent : « Maitre, d’où
tiens-tu cela ? » Il répondit : C’est une loi révélée à Moïse sur le Sinaï."
Si
par ces exemples la Torah « ché béal pé », littéralement, la
Torah de la bouche, se veut à la fois dynamique et fidèle à son origine
sinaïtique, de nombreuses controverses sur son existence, ainsi que son statut
révélé firent, au cours des âges, l'objet de nombreuses dissensions.
A l’époque
du second temple, le peuple juif est scindé en deux courants majeurs, les
pharisiens auquel succède le judaïsme rabbinique dont nous sommes les héritiers,
et les saducéens qui n'acceptent que la Torah écrite, et elle seule, comme
source de halakha. Ces oppositions ont eu un poids symbolique et politique important.
Les Saducéens, c'est-à-dire le parti des Prêtres, étaient opposés à l'existence
d'une tradition orale. Or, jusqu'à la destruction du second Temple, ceux-ci incarnaient
le pouvoir sacerdotal, et par là-même, religieux et politique du peuple hébreu.
Le refus de la tradition orale constituait alors la garantie de leur pouvoir,
incarné dans la Torah écrite et le Temple. Les pharisiens, minoritaires au
départ, et dépourvus d'autorité propre, fondèrent leur pouvoir sur la
connaissance de la tradition orale, et la finesse de leurs interprétations.
Selon
les sages du Talmud, donc, la Torah orale fut donnée « min hachamaim »
des cieux au mont Sinaï même, ainsi que l'atteste la Torah elle-même, en
plusieurs endroits.
"Rabbi
Yohanan a dit : que signifie le texte «et l'Éternel me donna les deux tables de
pierre écrites du doigt de Dieu, et contenant toutes les paroles que l'Éternel… ».
(Deut 9 :10). Cela nous enseigne que Dieu a révélé à Moïse les prescriptions de
la torah, et les précisions des sages, et ce qu’ils décréteraient de nouveau
dans l’avenir, par exemple la lecture du rouleau de la fête de Pourim."
"Dans
le Levitique Dieu dit à Moise : « Voici les décrets, les lois
sociales et les Torot ».
Les décrets ce sont les midrashim, les lois ce sont les lois
rituelles, les Torah, cela t’apprend que deux Torah ont été donné à Israël,
l’une écrite, et l’autre orale."
Le
Midrach s’appuyant sur la forme plurielle du mot Torah, justifie par-là
l’existence de deux traditions : l’une orale, l’autre écrite. Pour Rabbi Aquiba
cela signifie que tous les détails de la halakha ont été donnés à Moïse au
Sinaï.
"Rabbi
Lévi fils de Hama dit au nom de Rabbi Shimon fils de Lakish: quel sens donner
au verset (Ex 24) « Et Je te donnerai les tables de pierre, et la Torah et la
mitsva que J’ai écrites pour leur enseigner ». Les tables, c’est le Décalogue ;
la Torah, c’est l’Ecriture ; la mitsva, c’est la Michna ; que J’ai écrites, ce
sont les Prophètes et les Hagiographes ; pour leur enseigner, c’est la Guemara.
Cela t’apprend que tout a été dit à Moïse au Sinaï."
Dans
le Deutéronome :
"- Car cette loi que je t'impose en ce jour, elle n'est ni
trop ardue pour toi, ni placée trop loin.
- Elle n'est pas dans le ciel, pour que tu dises: "Qui montera
pour nous au ciel et nous l'ira quérir, et nous la fera entendre afin que nous
l'observions?"
- Elle n'est pas non plus au-delà de l'océan, pour que tu dises:
"Qui traversera pour nous l'océan et nous l'ira quérir, et nous la fera
entendre afin que nous l'observions?"
- Non, la chose est tout près de toi: tu l'as dans la bouche et
dans le cœur, pour pouvoir l'observer!
A propos de ces versets Rav Yéhouda dit au nom de Shmouel : 3000
lois furent oubliés lors du deuil de Moïse. Le peuple dit à Josué : « consulte
Dieu », il répondit : « La Torah n’est plus dans les cieux ».
Ce
passage souligne que la Torah n’a été donnée qu’une fois. Josué ne peut plus
recevoir de nouvelles révélations de type mosaïque. Les lois oubliées se
retrouveront par une analyse pointue du texte.
Les
exemples ne manquent, pas et si j’ai choisi ce sujet, c’est que dans la paracha
de cette semaine se trouve l’un des plus beaux.
Après
la colère de Dieu qui entraine la mort de 24000 personnes, l’action de Pinhas
qui L’apaise, et du fait reçoit la promesse d’une alliance de paix, le texte
s’engage dans un nouveau recensement. On dénombre, nous allons renter en Eretz
Israël, et il va falloir prendre possession de la terre, chacun aura sa part.
Et voilà qu’arrive au 27ème chapitre, immédiatement après, un petit groupe. Les
filles de Tselofhad. Elles ne sont ni contestatrices, ni révolutionnaires, et
d’une démarche résonnée, elles relèvent une injustice dans la loi. Tel des
disciples, suivant l’exemple de leur maitre Moïse qui n’a jamais cessé de
dialoguer et d’argumenter auprès de Dieu, afin d’intercéder en faveur du peuple
qui à mainte reprise, a frôlé la fin, elles se présentent devant lui et le
questionnent. Seuls les fils héritent des pères. Or, notre père est mort dans
le désert et n’a pas de fils, que faire ? Moïse sans réponse porta leurs
discutions, leur proposition de loi devant Dieu. Dans le sefer Torah, le mot
loi, michpatan, est écrit avec un grand noun, ce qui appuie le mérite des 5
sœurs, qui nous apprennent que lorsqu’il n’y a pas de fils, ce sont les filles
qui héritent. Les sages du Talmud, nous disent qu’elles n’étaient pas dotées de
capacités prophétiques ou d’esprit saint, seul leur aptitude à penser les
conduit à ce résonnement, elles diront par 2 fois "notre père n’a pas
de fils". Dieu acquiesce, elles ont bien parlé dit-Il, elles ont bien
argumentées. Le Midrach appui ce verdict, en nous signifiant que Dieu dit que
c’est ainsi qu’est écrite cette paracha, en face de lui dans les cieux. Jusque
à présent, la loi venait de la parole Divine et non d’une réflexion humaine.
Nous découvrons ici un prototype de ce que seront les discutions Talmudique.
Mais
pourquoi sont-ce des femmes, qui initient ce mouvement qui met au jour ce
rapport particulier entre Torah écrite et orale ?
Pour
mieux le comprendre, il faut user de la métaphore. La relation entre Dieu et le
peuple d’Israël est comparé à celle de l’époux, Dieu, et de l’épouse, les bné
Israël. Le masculin et le féminin. Dans ce rapport entre les 2, la fonction du
masculin est d’apporter un élément en quelque sorte brute, et la fonction du
féminin est de reprendre cet élément, et de lui donner une utilité humaine. Un passage
du Talmud nous dit : « l’homme apporte le blé et la femme en fait du pain
». Ce type de rapport très prosaïque décrit en réalité une polarité qui
traverse l’ensemble de la création. La Torah orale prend ce qui est donné,
reçu, et lui donne forme. La femme donne la vie à partir de ce qu’elle reçoit
de l’homme.
Ces
deux modalités expriment la double nature de la Torah,
la Tora chebikhtav, la loi écrite, et son interprétation la Tora
chebealpe, la loi orale, toutes deux venues des cieux, indissociables et ne
formant qu’un. Dans cette optique, la Torah écrite est une inépuisable source
d'interprétations.
Les
adeptes de la loi écrite je le crois, ont probablement échoués car ils n’ont
pas su imprégner à la Torah écrite, se souffles de Torah orale, qui la rend
chaque fois un peu plus vivante. Et tel un organe vivant elle s’est asphyxiée.
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