Balak 5772


Chers amis,

Le personnage central de la paracha de cette semaine n'est pas un Juif. Ce fait seul n'est pas extraordinaire en lui-même (il y en a d'autres), ce qui rend le personnage de Bilam particulier et énigmatique, c'est son rapport avec Dieu. Avec notre Dieu : Elohim ou le Tétragramme, le Dieu d'Israël. Le fait que le Dieu d'Israël s'adresse à un non juif pose de nombreuses questions, déjà dans la Torah puis chez les commentateurs du Talmud : il y aurait donc une catégorie de personnes, entre juifs et non-juifs, que l'on pourrait qualifier de Neviei oumot haolam (prophètes parmi les nations). Cette catégorie jouirait de pouvoirs particuliers en matière de vision, d'action, de parole etc. qui les mettraient au niveau des prophètes les plus grands du peuple juif (en l'occurrence Bilam est comparé à Moché : fin du Deutéronome : "il n'y aura jamais plus de prophète comme Moché en Israël" => En Israël non, parmi les autres nations oui : Bilam ben Beor). Ce qui est difficile à concevoir pour un peuple qui affirme le lien particulier de Dieu avec la descendance des patriarches Avraham Itzhak et Yaakov, mais en même temps assez logique si l'on suit le développement de la pensée monothéiste de la Bible : puisqu'il n'y a qu'un seul Dieu, si quelqu'un prophétise ou fait des miracles, c'est donc qu'il se rattache à Lui et pas à un autre, puisque les autres n'ont aucune existence. (Ouvrons une parenthèse : une preuve parmi d'autres que le monothéisme absolu est bien présent dans la Bible, n'en déplaise à Onfray et à ses tentatives ridicules de nier la spécificité du judaïsme, en affirmant que le peuple d'Israël dans la Bible n'est pas monothéiste mais "monolâtre", ce qui n'est que partiellement vrai).

Pour en revenir à Bilam, ce qui m'intéresse dans ce personnage (comme dans tous les personnages bibliques), c'est son ambigüité et son ambivalence.

D'une part, lorsqu'on vient le trouver pour maudire le peuple d'Israël, il affirme qu'il ne pourra rien dire d'autre que les paroles qui lui viennent de Dieu, et refuse même d'y aller après une théophanie nocturne.
D'autre part, après l'accord de Dieu, il part… et provoque la colère divine qui envoie contre lui un ange qui le ridiculise face à son ânesse.

Problématique : personnage positif ou négatif?

S'il est positif : pourquoi Dieu se met en colère contre lui, envoie un ange, etc. ?
S'il est négatif : pourquoi Dieu lui parle-t-il?

En étudiant bien le texte, on finit par être convaincu par la lecture rabbinique : tout se passe comme si Bilam était désireux de pouvoir rendre service à Balak de Moab, plus par cupidité que par haine :
- il ne dit pas que maudire le peuple d'Israël est mal ou néfaste, il dit simplement que ce n'est pas possible.
- Lorsque Dieu lui dit de partir, il croit que quelque chose a changé dans son rapport au peuple juif : "tu ne diras que les paroles que je mettrai dans ta bouche"
- il prépare lui-même sa monture : signe de fébrilité et d'impatience, parallèle avec le personnage d'Avraham (pour le Talmud, ils sont l'antithèse l'un de l'autre: Bilam est jaloux, orgueilleux et matérialiste).
- C'est lui qui donnera le conseil aux moabites de s'y prendre autrement pour atteindre le peuple juif en envoyant les jeunes femmes.

Tout cela donc, concoure à une lecture négative du personnage. Ce qui nous met donc devant une question théologique importante : si Bilam est si mauvais, pour quelle raison Dieu s'attache t-il à ce personnage au point de lui parler et de lui apparaître en rêve?

Plusieurs explications dans la tradition juive :
1. Bilam n'était pas un vrai prophète mais un magicien/illusionniste (dans le livre de Josué il est appelé "kosem")
2. Dieu choisit des personnalités exceptionnelles, hors du commun, et après c'est le libre arbitre
3. L'explication Maïmonidienne de la prophétie.

Le Talmud, qui s'interroge sur la particularité du savoir de Bilam, répond qu'il s'agissait du compte du temps : il savait "utiliser" la seconde de colère divine de la journée. C'est peut-être là qu'il faut chercher le problème que soulève le "cas" Bilam : loin de s'effrayer des pouvoirs immenses que lui confèrent son intelligence/son savoir/son lien avec le divin, il s'en glorifie et cherche à les monnayer. Il adopte une aptitude mécanique/magique du rapport à la parole, et par cela même sa conception est idolâtre : pour faire ce que tu me demandes, il faut tant de sacrifices, tant de point de vue en hauteur, et cela devrait marcher.

Dans le "match" entre Moché et Bilam sur la prophétie, ce qui se joue n'est pas "qui Dieu préfère", mais un questionnement profond sur le rapport au divin. Rapport idolâtre (matérialiste/utilitaire) contre rapport monothéiste (profond, gratuit, désintéressé).

Chabbat chalom

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