Chers amis,
Le personnage central de la paracha
de cette semaine n'est pas un Juif. Ce fait seul n'est pas extraordinaire en
lui-même (il y en a d'autres), ce qui rend le personnage de Bilam particulier
et énigmatique, c'est son rapport avec Dieu. Avec notre Dieu : Elohim
ou le Tétragramme, le Dieu d'Israël. Le fait que le Dieu d'Israël s'adresse à
un non juif pose de nombreuses questions, déjà dans la Torah puis chez les
commentateurs du Talmud : il y aurait donc une catégorie de personnes, entre
juifs et non-juifs, que l'on pourrait qualifier de Neviei oumot haolam
(prophètes parmi les nations). Cette catégorie jouirait de pouvoirs
particuliers en matière de vision, d'action, de parole etc. qui les mettraient au
niveau des prophètes les plus grands du peuple juif (en l'occurrence Bilam est
comparé à Moché : fin du Deutéronome : "il n'y aura jamais plus de
prophète comme Moché en Israël" => En Israël non, parmi les autres
nations oui : Bilam ben Beor). Ce qui est difficile à concevoir pour un peuple
qui affirme le lien particulier de Dieu avec la descendance des patriarches
Avraham Itzhak et Yaakov, mais en même temps assez logique si l'on suit le
développement de la pensée monothéiste de la Bible : puisqu'il n'y a qu'un seul
Dieu, si quelqu'un prophétise ou fait des miracles, c'est donc qu'il se
rattache à Lui et pas à un autre, puisque les autres n'ont aucune existence. (Ouvrons
une parenthèse : une preuve parmi d'autres que le monothéisme absolu est bien
présent dans la Bible, n'en déplaise à Onfray et à ses tentatives ridicules de
nier la spécificité du judaïsme, en affirmant que le peuple d'Israël dans la
Bible n'est pas monothéiste mais "monolâtre", ce qui n'est que
partiellement vrai).
Pour en revenir à Bilam, ce qui
m'intéresse dans ce personnage (comme dans tous les personnages bibliques),
c'est son ambigüité et son ambivalence.
D'une part, lorsqu'on vient le
trouver pour maudire le peuple d'Israël, il affirme qu'il ne pourra rien dire
d'autre que les paroles qui lui viennent de Dieu, et refuse même d'y aller
après une théophanie nocturne.
D'autre part, après l'accord de Dieu,
il part… et provoque la colère divine qui envoie contre lui un ange qui le
ridiculise face à son ânesse.
Problématique : personnage positif ou
négatif?
S'il est positif : pourquoi Dieu se
met en colère contre lui, envoie un ange, etc. ?
S'il est négatif : pourquoi Dieu lui
parle-t-il?
En étudiant bien le texte, on finit
par être convaincu par la lecture rabbinique : tout se passe comme si Bilam
était désireux de pouvoir rendre service à Balak de Moab, plus par cupidité que
par haine :
- il ne dit pas que maudire le peuple
d'Israël est mal ou néfaste, il dit simplement que ce n'est pas possible.
- Lorsque Dieu lui dit de partir, il
croit que quelque chose a changé dans son rapport au peuple juif : "tu ne
diras que les paroles que je mettrai dans ta bouche"
- il prépare lui-même sa monture :
signe de fébrilité et d'impatience, parallèle avec le personnage d'Avraham (pour
le Talmud, ils sont l'antithèse l'un de l'autre: Bilam est jaloux, orgueilleux
et matérialiste).
- C'est lui qui donnera le conseil
aux moabites de s'y prendre autrement pour atteindre le peuple juif en envoyant
les jeunes femmes.
Tout cela donc, concoure à une
lecture négative du personnage. Ce qui nous met donc devant une question
théologique importante : si Bilam est si mauvais, pour quelle raison Dieu
s'attache t-il à ce personnage au point de lui parler et de lui apparaître en
rêve?
Plusieurs explications dans la
tradition juive :
1. Bilam n'était pas un vrai prophète
mais un magicien/illusionniste (dans le livre de Josué il est appelé
"kosem")
2. Dieu choisit des personnalités
exceptionnelles, hors du commun, et après c'est le libre arbitre
3. L'explication Maïmonidienne de la
prophétie.
Le Talmud, qui s'interroge sur la
particularité du savoir de Bilam, répond qu'il s'agissait du compte du temps :
il savait "utiliser" la seconde de colère divine de la
journée. C'est peut-être là qu'il faut chercher le problème que soulève le
"cas" Bilam : loin de s'effrayer des pouvoirs immenses que lui
confèrent son intelligence/son savoir/son lien avec le divin, il s'en glorifie
et cherche à les monnayer. Il adopte une aptitude mécanique/magique du rapport
à la parole, et par cela même sa conception est idolâtre : pour faire ce que tu
me demandes, il faut tant de sacrifices, tant de point de vue en hauteur, et
cela devrait marcher.
Dans le "match" entre Moché
et Bilam sur la prophétie, ce qui se joue n'est pas "qui Dieu
préfère", mais un questionnement profond sur le rapport au divin. Rapport
idolâtre (matérialiste/utilitaire) contre rapport monothéiste (profond,
gratuit, désintéressé).
Chabbat chalom
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