Devarim 5772


Chers amis,

La lecture de la paracha devarim a lieu systématiquement le chabbat précédant Ticha Beav, jour de commémoration de la destruction du Temple.

Nous commençons donc la lecture du Deutéronome, et nous rentrons dans le vif du sujet : quarante ans après la sortie d'Egypte, le peuple s'apprête à finaliser le projet divin en commençant la conquête de la terre de Canaan. Moché prononce un long discours avant de prendre congé, car il sait qu'il va mourir, et retrace toute l'histoire de l'errance dans le désert. Il détaille longuement l'épisode des explorateurs dans la paracha Chelah-lekha, épisode que nous connaissons bien pour l'avoir lu il y a quelques semaines, ce qui donne une impression de répétition et de lenteur au lecteur linéaire du texte. Mais pour Moché et ses auditeurs, il n'y a pas de répétition ni de rabâchage : ils ne font qu'entendre ce qui s'est passé il y a quarante ans.

Le texte insiste sur le nombre 40.

Quarante ans c'est une génération : tous les acteurs de l'épisode des explorateurs sont morts. Ceux qui sont encore vivants sont ceux qui étaient âgés de moins de 20 ans et les femmes, et ceux qui sont nés dans le désert.

Ceux qui ont l'habitude de venir aux cours à Maayane Or connaissent mes réticences vis-à-vis d'une méthode d'exégèse très populaire qui consiste à utiliser les nombres et les chiffres pour trouver des explications à tout et n'importe quoi dans le texte de la Torah. Néanmoins, sans faire de la "numérologie", on peut trouver une symbolique forte à un nombre particulier dans la Torah. 40 est le nombre de jours que Moché est resté auprès de Dieu sur le mont Sinaï. 40 est le nombre d'années que le peuple a erré dans le désert. Le Midrach découpe la vie de Moché en trois périodes de 40 ans (car il est pour eux évident que Moché a vécu 120 ans, encore un chiffre typologique) : 40 ans dans le palais de Pharaon, 40 ans berger à Midian chez son beau-père, et 40 ans berger (pasteur) du peuple dans le désert. La légende Talmudique en fait de même avec Rabbi Akiva : 40 ans ignorant, 40 ans d'étude et 40 ans d'enseignement. Les pirké avot donnent une caractéristique à chaque âge de la vie :
משנה מסכת אבות פרק ה משנה כא

בן ארבעים לבינה

Dans la tradition achkénaze on n'autorise l'étude de la mystique qu'à l'âge de 40 ans.

40 ans : nombre de la maturité/maturation. A 40 ans on possède à la fois de la sagesse (la sagesse n'est pas forcément l'érudition), de l'expérience et les moyens d'agir. L'espoir exprimé dans ce texte par Moché, et peut-être par Dieu Lui-même, est que le peuple d'Israël, vu comme une entité propre, comme un individu, après 40 ans de réflexion soit arrivé à un âge mature, à un âge où l'on tire des enseignements des leçons du passé, où l'on essaie de ne plus reproduire les mêmes erreurs. C'est la raison pour laquelle Moché insiste, répète, détaille les fautes que leurs pères ont commises 40 ans auparavant et qui leur ont valu cette errance, dans l'espoir que cette expérience leur servira de leçon. Plus tard dans le Deutéronome on verra que ni Moché ni Dieu ne sont dupes, et qu'ils ont conscience qu'à un moment ou à un autre ils vont se conduire mal et oublier l'expérience de leurs ancêtres.

Mais à ce moment précis Moché parle au peuple comme on parle à un adulte responsable, sérieux et raisonnable. Un adulte mûr, mature.

Personnellement, n'ayant pas encore 40 ans, je n'ai pas suffisamment d'expérience pour savoir si c'est à cet âge qu'on finit par apprendre des erreurs du passé. Mais je ne peux évidemment pas occulter ce hasard du calendrier, qui fait qu'aujourd'hui même, au moment où nous commentons la paracha Devarim, on commémore aussi les 40 ans du massacre de 11 athlètes israéliens aux Jeux Olympiques de Munich en 1972. 40 ans. La période à laquelle on a suffisamment de distance avec les évènements pour y avoir réfléchi et tiré des enseignements.

Vous le savez peut-être, car on n'a pas pu y échapper dernièrement sur les réseaux sociaux et les sites juifs, une pétition a circulé pour demander une minute de silence lors de la cérémonie d'ouverture des JO, qui a lieu en ce moment même, et le comité d'organisation a refusé.

Les raisons de ce refus, officielles ou officieuses, ne m'intéressent pas à proprement parler, car mon but ici n'est pas de rentrer dans des considérations politiques. La question qu'il convient de se poser à mon avis est : qu'est-ce qui peut arriver à un peuple, une société, une organisation qui se montre incapable de regarder le passé avec franchise et rigueur et d'en tirer des conséquences concrètes dans le présent?

La réponse de la tradition juive se trouve je crois dans le fait que le chabbat Devarim coïncide avec le 9 Av, la commémoration de la destruction du Temple. Ce chabbat est appelé "Chabbat Hazon", le chabbat de la vision en référence aux premiers mots de la Haftara tirée du début du livre d'Isaïe. Le prophète prédit, justifie et même souhaite la destruction du Temple. Ce qui nous renvoie à une question très ancienne dans les enseignements rabbiniques : la destruction du Temple a-t-elle été un évènement positif ou négatif pour le peuple juif?

- Ceux qui y voient un évènement négatif pleurent l'impossibilité de se conformer aux sacrifices et de pratiquer la même religion qu'à l'époque biblique.
- Ceux qui y voient un évènement positif considèrent que cette destruction physique et le choc qu'elle a constitué aura permis au peuple juif d'inventer une religion beaucoup plus abstraite et spirituelle qui permettra de survivre à l'exil.

On remarquera qu'Isaïe fustige les sacrifices sans ferveur et les commerçants du Temple, tout comme Jésus le fera à une autre époque.

Je ne m'intéresse pas aux Jeux Olympiques, et je n'ai jamais trouvé que ce qu'on appelle "les valeurs du sport" soient des valeurs dignes d'intérêt et d'attachement, mais ce n'est pas le lieu ici pour développer.
J'essaie simplement de réfléchir à ce qui serait le mieux pour les millions de sportifs à travers le monde, et surtout pour ceux qui sont –à juste titre- écœurés par le spectacle de débauche de moyens et de commercialisation qu'offrent actuellement les JO, et j'en viens à leur souhaiter un évènement comparable à la destruction du Temple (en beaucoup plus symbolique et pacifique évidemment) qui soit l'occasion de revenir aux fondamentaux des valeurs qui sont les leurs.

Pour nous aussi, et par nous j'entends tout ceux qui préfèrent venir à la synagogue un vendredi soir quitte à rater la diffusion de la cérémonie d'ouverture des Jeux, je propose de réfléchir ce chabbat et surtout dimanche, à une question fondamentale : et si le Temple n'avait pas été détruit en l'an 70, à quoi ressemblerait aujourd'hui le judaïsme? A une religion spirituelle et intellectuelle telle que nous la connaissons, ou à une religion plus concrète, attachée à un lieu physique et des rites sacrificiels issus de l'Antiquité? Et finalement, qu'est-ce que nous préférons, et lequel représente le plus nos valeurs?

Chabbat chalom

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