Chers amis,
La paracha de cette semaine, la
paracha Nasso, avant de traiter de différents sujets comme la femme Sota, le
Nazir ou la bénédiction des prêtres, donne une grande importance aux comptes :
le compte des Léviim au début, et le compte exact des offrandes apportées par
chaque chef de tribu lors de l'inauguration du Tabernacle. Nous avons déjà
parlé, à l'occasion de la lecture de cette paracha ou de la paracha pékoudé, de
l'importance que la Tora accorde aux comptes, un domaine que l'on pourrait
considérer comme "technique" et moins important que tout ce qui
concerne les grandes idées théologiques parce que "bassement"
matériel.
Or pour la Torah, les comptes doivent
être publics, consignés par écrit, et sont fondamentaux pour plusieurs raisons
:
- éviter d'entacher la réputation des
prêtres et du sanctuaire, pour que personne ne dise que les prêtres
s'enrichissent et trafiquent indûment les offrandes que le peuple apporte
- affirmer un équilibre à l'intérieur
du peuple puisque chaque tribu doit apporter exactement la même somme, ni plus
ni moins, chaque tribu a donc la même importance que les autres : on ne mesure
pas le statut d'une tribu par rapport à une autre suivant le nombre de
personnes (de combattants, puisque ce recensement est un recensement militaire)
mais suivant sa contribution, afin de créer un sentiment d'égalité.
- enfin, les comptes ont toujours été
l'élément concret de la politique d'une nation : on peut déclamer de grands
discours sur les inégalités, ce n'est qu'avec l'examen minutieux du budget qu'on
mesure l'effort accompli vers telle ou telle direction. C'est le budget qui
définit une orientation politique. C'est par les finances qu'on pèse et qu'on
fait pencher la balance à gauche ou à droite.
Ceux d'entre nous qui sont les plus
au fait de l'actualité du mouvement massorti voient peut-être déjà où je veux
en venir : cette semaine d'Israël nous est venue une décision aussi inattendue
qu'historique, et le mot n'est pas trop fort : suite à une plainte déposée
auprès de la haute court de justice, et d'une longue procédure judiciaire
d'environ 6 ans, les juges ont décidé d'ordonner à l'Etat d'allouer un budget
pour le salaire de rabbins non-orthodoxes.
Evidemment, d'après ce que j'en ai
compris, il ne s'agit que d'un début assez timide : après des négociations à
l'intérieur du gouvernement pour connaître les suites à donner à cette décision
judiciaire, il a été décidé que cela concernerait dans un premier temps pas
plus d'une quinzaine de postes, que les sommes seraient versées par les
"moatsot ezoriot" (les conseils régionaux) => ce qui veut dire que
cela ne concerne pas les rabbins de communauté qui exercent dans des grandes
villes, et les sommes allouées ne proviendront pas du ministère des cultes
("misrad hadatot"), mais du ministère de la culture et des sports.
Enfin, cette décision ayant été le résultat d'une action de lobbying menée par
le mouvement libéral israélien, il va maintenant falloir s'entendre avec eux
pour la répartition des postes.
Néanmoins je le répète c'est une
décision historique. Parce que pour la première fois depuis la création de
l'Etat d'Israël le monopole orthodoxe sur la représentation du religieux face à
la société civile a subi une brèche. Une toute petite brèche, mais une brèche
quand même. Cette décision vient couronner plus de 30 ans d'efforts et de
militantisme, de la part de communautés unies en mouvements, de séminaires
d'études rabbiniques et universitaires de très haut niveau, mais aussi
d'institutions moins formelles et identifiées à un courant qui s'adressent au
public israélien au sens large : le réseau scolaire Tali ou le centre pour un
pluralisme juif (financé par le mouvement libéral et dont l'action de lobbying
a été à l'origine de ce succès).
Cette décision et cette volonté
politique prouvent que quelque chose bouge dans la société israélienne, dans le
rapport avec le judaïsme religieux. Bien sûr, on pourra toujours objecter que
si l'Etat d'Israël a pour objectif de ressembler un jour à une démocratie
occidentale, il faudra en passer par une séparation entre la vie civile et la
religion. Mais ce débat sur le caractère juif ou pas de l'Etat d'Israël je le
laisse aux israéliens, qui devront un jour ou l'autre trancher. Ce qui
m'intéresse et me concerne directement, c'est la définition du judaïsme
religieux => monopole prisonnier d'une surenchère ultra-orthodoxe, ou
pluralité de courants et d'idées dans une atmosphère démocratique?
A propos de cette décision, il faut insister lourdement : ce n'est pas une
victoire contre les orthodoxes. Car le but n'est pas, loin de là,
d'initier des batailles judiciaires ou autres pour les contraindre par la force
à nous reconnaître et nous accepter. Cela n'aurait pas de sens ! Tous les
efforts effectués depuis tant d'années ne doivent pas être compris comme une
guerre contre les orthodoxes. Il s'agit simplement d'obtenir de la société une
place en tant qu'interlocuteur légitime, représentant d'un courant du judaïsme
fort de nombreux membres et d'une longue tradition de penseurs et d'éxégètes.
Le rabbin Benny Lau, un des chefs de
file de l'orthodoxie moderne en Israël, a eu une réaction sur internet que je
trouve très saine et belle, et que je résume en quelques mots : "à ceux
qui poussent des cris en parlant d'invasion des réformés et de la fin du
judaïsme orthodoxe, il faut simplement dire que ces angoisses sont ridicules :
car au bout du compte, plus la concurrence est libre, plus ce sera au public de
choisir le meilleur rabbin, celui qui répondra à ses attentes. Il en profite
pour dénoncer l'opacité du budget des rabbins de quartier ou de ville.
Pour conclure, et pour revenir à la
paracha de la semaine : la valeur d'un groupe au sein de l'entité que constitue
le peuple juif ne se mesure pas au nombre de ses partisans, mais à ce qu'il
apporte, comme offrande/participation à l'ensemble du peuple pour mériter sa
place d'interlocuteur au même rang que tous les autres groupes/tribus. Il faut
donc que les prochaines avancées soient accompagnées d'une réflexion profonde
sur notre identité : il ne sert à rien de réclamer ce que nous estimons devoir
nous revenir, il faut plutôt savoir ce que nous avons à offrir, à apporter de
neuf et d'essentiel au judaïsme et à la société juive en général.
Chabbat chalom
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