Chers amis,
Dans la paracha de cette semaine,
après des considérations sur l'allumage de la Ménorah et la consécration des
Léviim, la description émouvante de la façon dont le peuple installe son
campement ou lève le camp suivant la colonne de nuée que Dieu envoie pour les
guider, la révolte sur la nourriture à propos de la viande et l'envoi de
cailles, on trouve un récit raconté presque entre parenthèses et qui n'a pas
beaucoup de rapports avec la narration passée ou future : Moché, découragé par la
difficulté de la tâche, demande à Dieu de le décharger un peu de ses
responsabilités. Dieu lui demande de choisir 70 anciens dans le peuple pour
qu'il puisse faire descendre sur eux un peu d'esprit prophétique, ce qu'il fait
en les amenant à l'entrée du Mishkan. Ils "prophétisent" (Questions :
qu'est-ce que cela veut dire et en quoi cela répond à la demande d'aide de
Moché?) et s'arrêtent (lo yassafou). Or deux hommes qui étaient restés dans le
camp (Eldad et Médad) et n'étaient pas venus devant la tente ont aussi
"prophétisé" et ne se sont pas arrêtés. Alors qu’on vient rapporter
ces faits à Moché, Yéhoshoua, ulcéré, demande à Moché de les en empêcher (on
suppose qu’il y a là quelque chose de subversif, une lutte de pouvoir à celui
qui prophétisera le plus… Josué souhaite-t-il que Moché conserve le monopole de
la prophétie ?) Et Moché lui répond, dans une attitude qu’on pourrait
qualifier de « grand seigneur » : « "Tu es bien zélé
pour moi! Ah! Plût au Ciel que tout le peuple de Dieu se composât de prophètes,
que l'Éternel fit reposer son esprit sur eux!"
Il faut bien reconnaître que c’est un
texte assez obscur, et qu’on ne comprend pas bien de quoi il s’agit : d’une
révolte? D’une lutte de pouvoir? Ou tout simplement de l’expression d’une voix
différente?
תלמוד
בבלי מסכת סנהדרין דף יז עמוד א
תנו רבנן:
+במדבר י"א+ וישארו שני אנשים במחנה יש אומרים בקלפי נשתיירו. שבשעה שאמר לו
הקדוש ברוך הוא למשה אספה לי שבעים איש מזקני ישראל אמר משה: כיצד אעשה? אברור ששה
מכל שבט ושבט - נמצאו שנים יתירים, אברור חמשה חמשה מכל שבט ושבט - נמצאו עשרה
חסרים, אברור ששה משבט זה וחמשה משבט זה - הריני מטיל קנאה בין השבטים, מה עשה?
בירר ששה ששה, והביא שבעים ושנים פיתקין, על שבעים כתב זקן ושנים הניח חלק, בללן
ונתנן בקלפי, אמר להם: בואו וטלו פיתקיכם! כל מי שעלה בידו זקן אמר: כבר קידשך
שמים, מי שעלה בידו חלק - אמר: המקום לא חפץ בך, אני מה אעשה לך? […]רבי שמעון אומר: במחנה נשתיירו. בשעה שאמר לו הקדוש
ברוך הוא למשה: אספה לי שבעים איש אמרו אלדד ומידד: אין אנו ראויין לאותה גדולה,
אמר הקדוש ברוך הוא: הואיל ומיעטתם עצמכם - הריני מוסיף גדולה על גדולתכם. ומה
גדולה הוסיף להם - שהנביאים כולן נתנבאו ופסקו, והם נתנבאו ולא פסקו. ומה נבואה
נתנבאו? אמרו: משה מת, יהושע מכניס את ישראל לארץ. אבא חנין אומר משום רבי אליעזר:
על עסקי שליו הן מתנבאים, עלי שליו, עלי שליו! רב נחמן אמר: על עסקי גוג ומגוג היו
מתנבאין, שנאמר […] אמר מר: כל הנביאים כולן נתנבאו
ופסקו, והן נתנבאו ולא פסקו. מנא לן דפסקו? אילימא מדכתיב +במדבר י"א+
ויתנבאו ולא יספו. אלא מעתה +דברים ה'+ קול גדול ולא יסף, הכי נמי דלא אוסיף הוא?
אלא - דלא פסק הוא! אלא: הכא כתיב ויתנבאו, התם כתיב +במדבר י"א+ מתנבאים -
עדיין מתנבאים והולכים. בשלמא למאן דאמר משה מת - היינו דכתיב +במדבר י"א+
אדני משה כלאם, אלא למאן דאמר הנך תרתי, מאי אדני משה כלאם? - דלאו אורח ארעא,
דהוה ליה כתלמיד המורה הלכה לפני רבו. בשלמא למאן דאמר הנך תרתי - היינו דכתיב מי
יתן, אלא למאן דאמר משה מת - מינח הוה ניחא ליה? - לא סיימוה קמיה. מאי כלאם - אמר
ליה: הטל עליהן צרכי ציבור, והן כלין מאיליהן.
« Deux hommes sont restés
dans le camp » : certains disent qu’ils sont restés à cause du tirage
au sort, car lorsque Dieu a demandé à Moché « choisi-moi 70 anciens parmi
les Bné Israël » Moché s’est dit comment vais-je faire ? Si je prends
6 de chaque tribu il y en aura 2 de trop (6*12=72). Si j’en prends 5 de chaque
tribu il en manquera 10 (5*12=60), si je prends arbitrairement 6 d’une tribu et
5 de l’autre je vais instaurer de la jalousie entre les tribus ! Qu’a-t-il
fait ? Il en a choisi 6 de chaque et a pris 72 bulletins. Sur 70 il a
écrit « Zaken/ancien » et sur deux d’entre eux il n’a rien écrit
(bulletin blanc). Il les a mélangés et les a mis dans une urne :
« venez et tirez votre bulletin ». […]
Rabbi Shimon : lorsque Dieu a
dit choisis-moi 70 anciens, ils se sont dit « nous ne sommes pas assez
qualifiés ». Dieu dit « puisque vous avez fait preuve d’humilité je
vous ajouterai de la grandeur » quelle grandeur ? Tous les prophètes
prophétisaient et s’arrêtaient alors qu’eux ne s’arrêtaient pas.
Quelle prophétie
annoncèrent-ils ?
- Moché va mourir et c’est Josué qui conduira le peuple en terre de Canaan
- Les cailles arrivent
- La guerre de Gog et Magog
Personnellement, ce que je trouve
passionnant et riche d’enseignements, c’est surtout la réaction de Josué :
le réflexe de défense de son maître, de son pouvoir et de son
« monopole ». Concept de zélé/zélotes, en hébreu « kanaï »
de la racine קנא qui signifie « jaloux ». Le mot
sera utilisé dans une autre paracha des Nombres à propos de l’histoire de
Pinhas, lorsqu’il tue un homme et une femme sans autre forme de procès. Le
réflexe d’un pouvoir mal assuré qui cherche à éliminer tous ceux qu’il croit
susceptibles de lui faire concurrence. Un réflexe de dictateur. Cette réaction
ne fait que mieux ressortir le personnage de Moché, son humilité, et sa
« non-jalousie » : il n’a pas de volonté de monopoliser la
parole divine et d’être le seul représentant sur terre. Au contraire il se
félicite de la diversité et des désirs de certains de vouloir lui ressembler et
d’accéder à son niveau, d’où ils sont, avec leur propre voix(e) (et ici le
texte s’inscrit dans la suite narrative, peut-être pas littéralement mais
poétiquement, car on vient de nous expliquer les différentes utilisations du
chofar, en voyageant, en fêtant, en sonnant l’alarme etc.)
Il y a donc 2 attitudes : Moché
et Josué. C’est à cela que j’ai pensé lundi dernier, en arrivant à la radio
pour enregistrer ma petite chronique : On m’a dit que certains rabbins
s’étaient plaint, il faut donc bien expliquer que c’est un créneau réservé aux
associations et pas aux rabbins, et que surtout je ne devais pas prononcer le
mot « massorti ». Je me suis dit à qui ils ressemblent ? A
Josué. Un pouvoir mal assuré qui craint pour l’avenir de son monopole. La peur
de la concurrence, la volonté de préserver les avantages acquis et de ne rien
partager. La volonté d’inhiber toute velléité d’indépendance.
Il ne reste plus qu’à espérer que
comme dans la Tora, ce n’est pas Josué mais Moché qui aura le dernier mot.
Chabbat chalom
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