Chers amis,
La paracha de cette semaine s’ouvre sur la suite d’un dialogue
entamé dans la paracha précédente, entre Dieu et Moché : une
« révélation », une confidence => je suis le Dieu qui est apparu
aux patriarches Avraham Itshak et Yaakov, mais je ne leur ai pas révélé mon nom
« Hachem », le tétragramme. Certains commentateurs considèrent cette
confidence au sens premier « pchat » et tentent de répondre aux
difficultés que cela pose, puisque le tétragramme apparaît effectivement dans
la Genèse à plusieurs endroits, en rapport avec les patriarches. D’autres vont
s’engager dans une description apologétique des qualités de Moché pour
expliquer pourquoi lui a eu le mérite de recevoir cette révélation et pas les
patriarches : ses qualités auraient été supérieures etc. Enfin, une troisième
catégorie de commentaires s’intéresse à la question de l’apparence, de la
perception divine dans le texte de la Tora. En quoi le « hachem » du
livre de chemot est-il différent du « hachem » de la Genèse ? A
cela, on répond généralement que Celui qui entre en contact avec la lignée de
patriarches Avraham Itshak et Yaakov ne se manifeste pas par des actes
surnaturels mais par des promesses et une alliance dont aucun des trois ne
verra ne serait-ce que le début du commencement de la réalisation. Pour
résumer : la Genèse = le temps de l’élection, de l’alliance et des
promesses. L’Exode = le temps de la réalisation, de la mise à l’épreuve de
l’alliance, et de l’intervention divine dans l’histoire. C’est ce qui se passe
dans le début de Vaéra : une scène que j’appellerais, si ce mot n’était
pas si empreint de christianisme, une annonciation. L’annonce,
l’avertissement de ce qui va suivre : jusqu’à présent, Dieu jouais certes
un rôle de premier plan dans le texte, dans la narration, mais pas dans
l’Histoire. Il était en retrait, ne s’adressant qu’à des individus, observant,
jugeant sans vraiment intervenir (je précise que je parle de la Genèse dans les
épisodes qui traitent des patriarches et pas de la création ou du déluge, qui renvoient
à un passé mythologique…). A partir de maintenant, avec le livre de chemot,
s’ouvre une autre période du récit biblique : Dieu lui-même va jouer un
rôle de premier plan, par l’intermédiaire de Moché et Aaron. Les mots même, le
vocabulaire employé et les formes verbales soulignent que Dieu sort de sa
passivité pour devenir actif (4 lechonot chel guéoula véhotséti végaalti etc.)
Ce que souligne bien le texte de la Haggada de Pessah (ceux qui étaient
présents lors de la conférence de Rivon savent que le meilleur texte sur la
sortie d’Egypte c’est… la Tora, même si la Haggada insiste sur des notions qui
ont leur importance) => ani velo malakh, ani velo chaliah.
Lorsque Moché se retrouve devant Pharaon, il parle au nom de
« Hachem », et Pharaon répond « je ne connais pas ce
Hachem ». Moché, lors de ses dialogues avec le roi d’Egypte, fait en sorte
de toujours se placer en position de messager, d’ambassadeur du Nom. Stratégie
compréhensible : Pharaon lui-même est un Dieu, il ne peut accepter de
traiter qu’avec son égal. Dans la rhétorique employée, Dieu parle du peuple
d’Israël comme de son fils ainé.
Lorsque Moché fait des petits tours de magie avec son bâton, cela
n’impressionne pas du tout Pharaon car ses « Hartoumim », ses sages
savent faire la même chose. En revanche lorsque Dieu intervient dans la Nature,
il faut se remettre dans le contexte pour comprendre qu’il défie, au-dessus de
Pharaon, tous les dieux égyptiens, et le premier d’entre eux : le Nil.
Cela, les égyptiens le voient et le comprennent. Pas les hébreux.
C’est ce que dit le texte, lorsque Moché vient leur annoncer que
« Hachem » va venir à leur secours. « velo cham’ou elav mikotser
rouah ou meavoda kacha » = ils ne l’ont pas entendu/pas compris « à
cause du souffle court et du travail pénible ». Cette phrase, cette
expression qui peut paraître innocente représente en fait la description d’une
situation mentale, un état d’esprit particulier qui représente, pour les
commentateurs, un obstacle à la perception de la révélation.
מכילתא דרבי ישמעאל בא - מס' דפסחא פרשה ה ד"ה והיה
לכם
ר' יהודה בן בתירא אומר הרי הוא אומר ולא שמעו אל משה מקוצר
רוח וגו' וכי יש לך אדם שהוא מתבשר בשורה טובה ואינו שמח נולד לך בן זכר רבך
מוציאך לחירות ואינו שמח אם כן למה נאמר ולא שמעו אל משה (שמות ו ט) אלא שהיה קשה
בעיניהם לפרוש מעבודה זרה שנ' ואומר אליהם איש שקוצי עיניו השליכו ובגלולי מצרים
אל תטמאו (יחזקאל כ ז) ואומר וימרו בי ולא אבו שמוע וגו' ואעש למען שמי לבלתי החל
וגו' (שם /יחזקאל/ ח - ט) הה"ד וידבר ה' אל משה ואל אהרן ויצום אל בני ישראל
(שמות ו יג) צום לפרוש מעבודה זרה:
Ils sont tellement occupés par le travail, par
la nécessité de faire ce qu’on leur demande, de subvenir à leurs besoins
primaires, qu’ils ne sont pas capables d’entendre, de réaliser que l’heure de
la libération a sonné.
On peut prendre ce concept et le tirer vers de
très nombreuses directions : les formes que peuvent prendre l’aliénation
physique d’une personne font que peu à peu elle perd tous ses repères et sa
dignité. Lorsqu’on commence par lentement oppresser les gens jusqu’à ce qu’ils
ne se préoccupent plus que de leur propre survie, de la satisfaction des
besoins primaires, il devient inutile de les enchainer, ils ne songeront plus à
s’échapper.
Ex : les totalitarismes du XXème siècle,
les camps de travail (cf Primo Lévi, Soljenitsine etc.) on commence par rendre
rare la nourriture et les vêtements, par organiser la réduction des rations, et
les gens passent leur temps à s’occuper à survivre et non à se révolter.
De façon un peu ironique, en psychologie
contemporaine on exprime cette hiérarchie des besoins sous la forme d’une
pyramide : la pyramide de Maslow, du nom d’un psychologue dont la théorie
est parue en 1943 :
Accomplissement
personnel (morale, créativité, résolution des problèmes…)
|
Estime
(confiance, respect des autres et par les autres, estime personnelle)
|
Besoins
d’appartenance et affectif (amour, amitié, intimité, famille, sexe)
|
Besoins
de sécurité (du corps, de l’emploi, de la santé, de la propriété…)
|
Besoins
physiologiques (manger, boire, dormir, respirer)
|
Pyramide des besoins
Confinez les gens au premier stade, celui des
besoins physiologiques, et ils resteront en esclavage sans possibilité de
sortir. Ils ne comprennent même pas que la fin est arrivée. Ils ont perdu
espoir. L’aliénation absolue.
Une des façons dont s’exprime la liberté dans
la tradition juive : le chabbat « zekher litsiat mitsraïm »
=> certains ne voient pas le rapport (la sortie d’Egypte a-t-elle eu lieu un
chabbat ?). D’autres au contraire affirment que le chabbat est une
façon de se libérer de l’aliénation quotidienne du travail. Une façon de
lever la tête, de réfléchir et sortir de sa condition de prisonnier pour goûter
à la liberté. « Me’eyn ‘olam haba » => un goût du monde futur. On
dit souvent que lorsque le Machiah arrivera personne ne le reconnaîtra. Ou
alors seulement ceux qui auront résisté à l’oppression grâce au chabbat. (La
résistance s’exprime dans des formes spirituelles, voir les camps et autres
goulags).
Plus proche de nos préoccupations, une des
fonctions d’un leader communautaire, qui se veut un des héritiers de Moché, est
de veiller constamment à ce que les gens ne se laissent pas déborder, envahir
par les petits soucis du quotidien, les petites tâches qui sont nécessaires,
les petites querelles (qui sont inévitables), mais pensent toujours à lever la
tête, garder le cap vers l’objectif, qui est de transmettre un certain nombre
de valeurs, une certaine conception de la liberté à nos enfants.
Chabbat chalom.
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