« Eyn mazal lé Israël » Il
n’y a pas d’astres pour Israël, pas de prédestination astrologique à laquelle
le peuple juif serait soumis.
Si
je cite cette phrase tirée de la fin du traité Chabbat, dans le talmud de
Babylone, c’est qu’elle est la résonnance d’un verset clef de la paracha de
cette semaine, Choftim.
Comme
nous l’avons vu il y a deux semaines dans la paracha Ekev, les bné Israël
rentreront en terre promise, à la condition qu’ils se distinguent des peuples
s’y trouvant déjà.
L’une
des injonctions auxquelles ils devront se plier est de ne pas user de pratique
divinatoire, de sorcellerie, et de n’avoir recours ni à l’astrologie, ni à la
nécromancie, ni à la consultation des morts. Puis, comme pour conclure ces
interdits, Dieu ajoute : « Tamim tihyé im Hachem Elohekha ».
« Tu seras intègre avec Hachem ton Dieu ».
Les
commentateurs traditionnels relèvent une connexion directe entre le mot « tamim »,
et les interdits concernant l’art divinatoire. Dans le Talmud, traité Pessahim,
nous est posée la question : « d’où savons-nous qu’il est
interdit d’aller consulter une diseuse de bonne aventure ou un
oracle » ? Parce qu’il est dit : « Tamim tihyé im Hachem
Elohekha ». « Tu seras intègre avec Hachem ton Dieu ».
Une
méthode d’exégèse biblique consiste à recenser dans le texte de la Torah,
toutes les occurrences du mot tamim, et de systématiquement lier l’usage
de ce mot, avec le fait de consulter, ou de refuser de consulter justement, les
oracles et le surnaturel. Ainsi dans la genèse, Dieu interpelle notre
patriarche Abraham en lui disant : « marche devant moi et soit tamim
».
Dans
la paracha Lekh-lekha, lorsque Dieu promet à Abram postérité, celui-ci évoque
la stérilité de son couple, dieu le fit sortir de sa tante pour regarder les
étoiles. Le Midrash, cité par Rachi, interprète le verset comme suit « sort
de ton destin tel qu’il est inscrit dans les étoiles. En effet Abram et Saray,
n’auront pas d’enfants, comme annoncé dans les astres, mais Abraham et Sarah,
oui ».
Etant
donné qu’aux époques bibliques et talmudiques, l’astrologie était considéré
comme une science, l’enseignement à saisir n’est pas que le judaïsme est
opposée aux arts divinatoires, parce qu’ils seraient faux ou discutables, mais
bien parce qu’il s’oppose à toute immobilisme dans un destin scellé, où le sort
serait joué d’avance.
La
prédiction, inconsciemment ou pas, conditionne l’être.
Il
existe d’ultimes moyens d’actions capables d’influer sur le cours des destinés
humaines.
L’homme
juif doit savoir, s’entend dire Abraham, qu’il possède la capacité de sortir
hors de son destin, et de le dominer.
La
paracha choftim dénonce donc les pratiques occultes et les qualifie de to’évot,
d’abominations. Il est donc intéressant de nous pencher sur une pratique
définie par la Bible, présentée comme très cachère et très acceptable, qui a
néanmoins d’une certaine manière, beaucoup de choses en commun avec les
pratiques divinatoires. Les Ourim et les Toumim
Ils apparaissent
pour la 1ère fois dans l’Exode. Ce sont des pierres, des éléments du
pectoral sacré porté par le grand prêtre. Elles étaient utilisées pour
connaître la volonté divine, quand des questions d’importance nationale nécessitaient
une réponse de Dieu. Comment fonctionnait ce pectoral de prédiction ?
Les
commentateurs nous disent qu’il y avait sur la tenue du grand prêtre, des
lettres gravées, et lorsqu’une question était soumise, il lui suffisait de
méditer sur ces lettres, en les regardants, et alors, certaines de ces lettre
s’illuminaient, et lui donnaient la réponse à sa question. On pourrait donc rapprocher
ces éléments des pratiques divinatoires auxquelles auraient pu se livrer d’autres
peuples.
La différence
entre cette pratique et celle des peuples païens nous est en fait livrée par
certains commentateurs, et notamment par un commentaire du Gaon de Vilna, qui
nous explique précisément comment se passait la prédiction : les lettres
s’illuminaient sur le pectoral du grand prêtre, il fallait alors que le Cohen Gadol
soit capable de remettre ces lettres dans le bon ordre pour pouvoir constituer
des mots. Il nous donne un exemple très célèbre, un épisode où « les jugements de lumière et de
pureté » avaient été consultés :
« Le
premier jour de Roch Hachana, nous lisons dans la Torah le passage se référant
à la naissance d'Isaac. Sa mère Sarah, était longtemps restée sans enfant, puis
Dieu écouta ses prières et lui donna un fils. La Haftarah, quant à elle, parle
de la naissance du prophète Samuel dont la mère, Hannah, était également restée
de nombreuses années sans enfant. Un jour, au cours d'un des pèlerinages
annuels à Chilo, Hannah, debout dans le sanctuaire, déversa tout son cœur
devant Dieu. Elle Le supplia de lui accorder Sa bénédiction, afin qu'elle puisse
enfanter. C’est alors que le grand prêtre Eli la croise et il remarque cette
femme, dans l’enceinte du temple, qui semble prier, ses lèvres bougent, mais
sans que des mots n’en sortent. Il consulte les Ourim et les Toumim
pour savoir l’identité de cette femme et ses qualités. Il va obtenir une
réponse en 4 lettres, « kaf sin rech hé ». Combiné d’une façon ou
d’une autre, ils peuvent donner quelques mots, pouvant être très différents les
uns des autres. Ces lettres nous donnent les mots « kchera » cashere
au féminin, comme si Hannah à travers les pierres, était définie comme une
femme digne, digne du destin qui lui était promis. Une autre façon de combiner
ces lettres donne, « ké sarah », comme sarah, donc peut être que
l’illumination des Ourim et Toumim signifie que Hannah est à
l’image de la matriarche Sarah.
Mais
voilà que le prêtre Eli s’est trompé dans la combinaison des lettres, et le Gaon
de Vilna nous dit qu’il a interprété ces lettres comme « chicora »
c’est-à-dire ivre, et c’est pour ça qu’il l’accuse d’être saoule dans
l’enceinte du temple. »
Nous
voyons donc que les lettres apparaissaient, et qu’il restait un rôle au grand prêtre,
celui de recombiner ces lettres pour en faire un mot. Les Ourim et Toumim
se contentent de livrer une partie de l’information qui doit être interprétée.
Elle doit être filtrée par un esprit humain, comme pour nous rappeler que rien,
jamais rien, n’est totalement déterminé, même l’oracle le plus fiable, même la
détermination la plus cachère dans l’ordre du récit biblique, a besoin d’être
lue par l’homme. Il existe une intervention humaine, qui peut être définie
comme le constant partenariat entre l’homme et Dieu. L’être humain est encouragé
à s’inventer un avenir, à y participer pour changer le futur. Ces éléments du vêtement
du Cohen Gadol, qui portent le nom de lumière et de pureté, ont la même racine
que le mot tamim, si central dans notre paracha. A travers leur consultation,
elles nous convient à chercher un éclairage sur notre avenir tout en conservant
notre « témimoute », c’est-à-dire notre pureté et notre
capacité à être intègre « Tamim tihyé im Hachem Elohekha ».
En hébreux
moderne, le mot tamim signifie naïf, et ce verset semble nous inviter à
une certaine naïveté nécessaire dans notre rapport a l’univers, et à la
prédestination pour que nous prenions toujours conscience que chacune de nos actions
peut changer le monde. La paracha Choftim en ce sens, est une assignation à
refuser le pré-écrit, et à nous inscrire dans une existence dans laquelle tout
est possible.
Chabbat
chalom
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