Ce
chabbat nous lisons la paracha Reeh.
Elle commence au 26ième chap.
du 5ième livre de Moïse. Conforme au mode de
transmission du Deutéronome, Moïse nous livre ses derniers discours. Une fois
en terre de Canaan les bné Israel devront détruire les idoles présentes et ne
pas en faire de même pour Dieu. De ces versets nos sages en déduisent le devoir
de Gueniza qui consiste à enterrer tous supports rendu inutilisable et non
conforme comportant l’un des 7 noms Divin qu’on ne peut effacer. Moïse nous
rappelle également les règles de la cacherout l’une des caractéristiques spécifiques
au judaïsme. La tsedaka, acte de justice. Enfin il mentionne Pessah et l’élimination
du hametz ainsi que le commandement de manger de la matsa. Mais le thème qui a
retenu mon attention dans cette paracha est un thème qui m’est cher car
difficile a appréhender et ô combien délicat car il traite de la foi.
L'ensemble
du 5ième livre de la Torah est sillonné par une théologie qui lui
est propre la théologie deutéronomiste. De manière assez schématique l’histoire
des hebreux nous est contée à la lumière d’une logique manichéenne qui voudrait
que la bonne conduite entraîne la prospérité tandis que la mauvaise conduite amène
le malheur. Bénédiction et malédiction.
Immédiatement
ce système de réflexion se trouve confronté à ses limites et à un paradoxe. Une
sorte de décalage se crée entre ce que je fais et ce qui m’arrive. Pourquoi des
justes souffrent-ils "tsadik vera lo" et pourquoi des méchants
prospèrent-ils « racha vetov lo » ? Les rabbins mais
aussi toutes les religions se sont posé cette question et continuent de se la
poser.
Une
Michna rend cette vision plus explicite. Dans le traité Kedouchin p. 39b il
nous est conté l’histoire d’un enfant qui sur la demande de son père grimpe à
un arbre afin de séparer d’un nid d’oiseau la mère avant prendre les oeufs (cette
mitsva se trouve au chapitre 22 de
Devarim elle est de l'ordre des mitsvot que l’on nomme houkim c'est-à-dire
sans explication). Dans cette Michna l’enfant accomplit deux commandements dont
la Torah nous dit qu’ils allongent la vie : séparer la mère des oisillons et
honorer ses parents. Mais l’enfant tombe et se tue. Voici une fin déconcertante tout autant que celle de Rabbi Akiva l’un de
nos plus grands maitres : il mourut brûlé vif dans un Sefer Torah. Nous savons que le midrach ne se soucie pas des
anachronismes aussi sur cette fin tragique Moïse questionne Dieu « Maitre
du monde est-ce là la Torah et est-ce là son salaire » ? Il dit : "Tais-toi".
C’est ce qui m’est venu à l’esprit. »
Plusieurs
milliers d’années plus tard nous ne comprenons toujours pas ni le sens de ces
morts pour le moins étranges ni la réaction de Dieu pour le moins irrecevable.
Mais Dieu pense-t-Il comme nous ? A priori l’être humain a tendance à se
rapporter aux phénomènes qu’il saisit par le moyen de ses sens. S’il utilise
cette démarche dans son rapport à Dieu c’est qu’il sert le produit de son imagination.
Il se peut que l’être humain serve ce que Maïmonide appelle "un
substitut de Dieu" ("zoulat Hachem"), et qu’il n’en
soit pas conscient car la tendance de l’être humain est d’adjoindre à Dieu
divers attributs et fonctions. En vérité cette fonction se réfère à ce que l’être
humain espère recevoir de Dieu. Ainsi la croyance qui se fonde sur l’espoir
d’une rétribution et sur la crainte d’un châtiment peut être du point de vue
subjectif très sincère et par ailleurs elle est reconnue comme légitime dans la
tradition juive. Pourtant si l’on pousse la réflexion plus avant on comprendra
que cette croyance n’exprime tout compte fait que le souci de l’être humain
pour lui-même. Il nous faut donc trouver d’autres grilles de lecture et comme
nous ne pouvons supposer que Dieu est injuste et que nous ne voyons pas ici bas
l’immanence de cette justice on est contraint de trouver des explications des systèmes
de logique et aller dans le sens d’une véritable justice qui nous attendrait
dans le monde futur. En prenant bien en compte que la définition du monde futur
reste à établir. Est-ce la vie après la mort physique ou est-ce la vie de
l’Homme une fois qu’il s’accomplit entièrement en tant que tel dans le service
de Dieu.
Notre
paracha commence ainsi : "Vois Je mets aujourd'hui devant vous bénédiction
et malédiction" la bénédiction si vous écoutez les commandements du
Seigneur votre Dieu que je vous prescris aujourd'hui et la malédiction si vous
n’écoutez pas les commandements du Seigneur votre Dieu. La traduction du
rabbinat qui a le mérite d’exister commet parfois d’infimes erreurs qui donnent
lieu à des contresens. Ce verset en pâti. Pour la malédiction il est dit
« im lo tichmeou el mitsvot Achem ». Im est traduit par si ce
qui est exact alors que pour la bénédiction il est dit « acher tichmeou
el mitsvot Achem » dont la traduction exacte est que/quand vous obéirez
aux commandements. Cela change beaucoup. Nous ne sommes plus dans la pratique intéressée
mais dans le service désintéressé. Un judaïsme adulte détaché de l'image de la
carotte et du bâton.
Dans
cette optique la bénédiction devient le fait de choisir d’accomplir les
commandements. Les pirké avot nous disent "la rétribution de la mitsva
c’est la mitsva et celle de la transgression est la transgression" l’une
et l’autre s’entrainent elles-mêmes. Rabbi Bena’a dit "la loi est un élixir
de vie pour quiconque la pratique de
manière désintéressée et est un poison mortel pour quiconque la pratique de
manière intéressée". Autrement dit le rapport à la foi comme moyen
renferme de très nombreux dangers étant donné que la différence qui sépare
cette croyance de l’idolâtrie est infime. A cet égard il convient de rappeler
que lors du vidouy de kippour dans la longue liste des fautes est comptée celle
du commandement accomplit mais pas au nom du ciel. Bien que la foi désintéressée
constitue la finalité on a l’habitude de citer très souvent un dire qui
apparait par 3 fois dans le Talmud "l’humain doit toujours accomplir la
loi et les commandements même de manière intéressée car à partir de là il en
viendra au désintéressement". Ce point de vue est assurément pédagogique,
peut-être même la pédagogie par excellence.
Ces deux
conceptions de la foi sont donc connues de la tradition juive. Elles sont déjà présentes dans le 1er
document de l’accomplissement des commandements le Chema. Dans le 1er
chap. il y est question d’aimer Dieu de
tout son cœur de toute son âme et de tout son pouvoir. Service désintéressé ainsi que dans la 1ere
partie du 1er commandement du Décalogue : "Je suis l’Eternel
ton Dieu". Dans le 2ième chapitre du shema il est dit "si
vous écoutez mes commandements J’arroserai votre terre de pluie en son temps et
prenez garde à vous de ne pas succomber a la séduction d'autres dieux car Ma colère
s’enflammerait contre vous". Service intéressé. Ainsi que dans la 2ième
partie du 1er commandement du Décalogue « Qui vous ai fait
sortir d’Egypte de la maison de servitude. »
N’attendons
aucune preuve qui nous ferait opter pour l’une ou l’autre croyance les deux
font partie de notre tradition et nous vivons et ressentons d’avantage l’une ou
l’autre à différents moments de nos vies. Si Dieu a un dessein, un plan, il
nous faut accepter que de nombreux points restent inaccessibles. Le fait d’être
libre de choisir entre bénédiction et malédiction nous place devant nos responsabilités
parfois lourdes et pesantes et consentir qu’il y a des choses qui nous dépassent
et que nous ne contrôlons pas nous décharge un peu de ces responsabilités. Dans
un environnement ou le rendement et les résultats immédiats régissent nos sociétés,
observer les commandements sans en attendre quelque rétribution que ce soit place
l’acte au dessus de tout. Faire pour faire par choix pour la grandeur du geste
gratuit et désintéressé. Faire parce que
nous sommes juifs et libres de l’être ce n’est ni une prison ni un carcan mais
le terreau de nos racines.
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