Chers amis,
Il est toujours difficile et délicat de faire des déclarations à l’emporte pièce sur mes goûts et mes préférences, car cela peut toujours me revenir comme un boomerang et je peux à d’autres occasions être pris un peu en porte-à-faux. Néanmoins je vais m’y risquer ce soir, en vous révélant quel est mon verset préféré dans toute la Torah. Je précise tout de suite qu’il ne faut pas m’en vouloir si vous me prenez dans quelque temps à redire que mon verset préféré en est un autre, j’en ai plusieurs…
Mon verset préféré se trouve à la fin du Lévitique, dans un passage qui décrit les règles de l’année sabbatique, la shmita, et le jubilé, cinquantième année durant laquelle toutes les possessions agricoles reviennent à leur premier possesseur. Des règles économiques et sociales, des garde-fous pour empêcher l’accumulation des richesses par un tout petit nombre, une attention particulière portée à ceux qui n’ont pas réussi, qui n’ont pas eu de bonnes récoltes, et à qui on offre une seconde chance…
Lévitique 25, 35 « Vekhi Yamoukh… »
« Si ton frère vient à déchoir, si tu vois chanceler sa fortune, soutiens-le, fût-il étranger et nouveau venu, et qu'Il vive avec toi. »
Le verset « nu » est déjà beau, important et riche, mais il l’est encore plus avec son commentaire rabbinique qui met le doigt sur une contradiction interne : ton frère/étranger. Si c’est ton frère, comment peut-il être étranger ? Si c’est un étranger, il ne peut pas être ton frère !! – enseignement : apprends à reconnaître en chaque étranger ton frère.
J’ai toujours trouvé que c’était un enseignement extrêmement profond et surtout en période où on parle beaucoup de Tsédaka, puisqu’on insiste sur l’importance de cette mitsva, pour nos frères, tout en incitant à réfléchir sur la notion très contemporaine de communautarisme : pourquoi est-ce que je devrais donner en priorité à mes frères juifs, et pas tout simplement m’inscrire dans les élans de générosité nationaux et internationaux de mes frères humains ? Pourquoi « La Table ouverte » ou le « CASIN » plus que « les restos du cœur », le Téléthon ou Haïti ? Justement parce que le verset place le frère en premier et l’étranger en second, ce qui fait dire à Maïmonide « aniyé irkha kodmim » les pauvres de ta ville, ceux que tu côtoie tous les jours en premier, les autres en second. Peut-être faut-il y voir une façon de nous prévenir contre les élans du cœur motivés par le spectacle médiatique, les images de tsunami ou de tremblements de terre, alors que près de nous des gens souffrent en silence dans l’indifférence. Peut-être aussi s’agît-il, en proposant une classification, une hiérarchie, de ne pas oublier l’autre en donnant à l’un. Ce qui est sur, c’est que jamais, nulle part la tradition juive n’interdit de donner la tsédaka à quelqu’un de non-juif, au contraire. Donner à l’étranger est même fortement encouragé, après avoir soutenu son proche.
Pour en venir à notre paracha Vayigach, il est assez étonnant et troublant de voir se concrétiser la contradiction du verset du lévitique puisqu’entre Joseph le vice-roi d’Egypte et ses frères on assiste à la rencontre entre des frères étrangers, des étrangers qui découvrent qu’ils sont frères, et c’est ce qui donne au texte toute sa dimension dramatique.
Yehouda, qui se fait le leader, le porte-parole de ses frères, et dont paradoxalement, ironiquement, le nom est tiré de la racine Lehodot, qui signifie en hébreu à la fois remercier et reconnaître, ne reconnaît pas Joseph pour plusieurs raisons :
- il a grandi
- il est habillé en égyptien, parle l’égyptien
- il ne s’attend pas à le voir là, est persuadé que son destin a été autre et même peut-être déjà funeste.
Mais ce qu’il faut remarquer, c’est la subtilité du texte, qui d’un côté décris une reconnaissance, ou plutôt une non-reconnaissance d’ordre physionomique, alors que de l’autre côté, du côté de Joseph, on cherche à reconnaître quelque chose d’un autre ordre : Joseph a reconnu les visages, les physionomies, la langue de ses frères. Mais il cherche à reconnaître les qualités morales, de solidarité, d’entraide, d’amour fraternel, qui leur faisaient défaut et dont il a tant souffert, dont toute leur famille, tout leur lignée a souffert puisque cet épisode représente un des derniers avatars de ce qu’un philosophe français, Jean Zacklad, appelait la « mécanique tue-frère », en un mot, par tout ce stratagème dans lequel il les fait revenir avec Benjamin en prenant Shimon en otage, puis leur vend du blé en remettant l’argent dans les sacs, puis fait mettre sa coupe dans le sac de Benjamin, et finalement en les menaçant de leur enlever Benjamin et de le garder comme esclave, c’est-à dire reproduire sa propre histoire, dans tout ce stratagème donc il cherche à reconnaître non pas ses frères, mais qu’ils sont frères, et qu’ils ont compris, intégré ce que cela impliquait en terme de responsabilité.
L’histoire n’est pas finie puisqu’il va encore falloir que les frères reconnaissent Joseph et qu’ils admettent qu’il est leur frère, et donc qu’il n’a pas l’intention de se venger, puisqu’on se venge entre ennemis pas entre frères, et Joseph va devoir les convaincre que toute son histoire est un plan divin pour sauver leur famille de la famine.
Nous venons à peine de terminer Hanoukka, et même si la mythologie nous enseigne que l’évènement historique que nous célébrons est une guerre entre juifs et grecs, il serait plus judicieux de parler d’affrontements fratricides entre juifs hellénisés et juifs plus attachés à la tradition. Une lutte entre frères « ethniques » qui ne se considéraient plus comme frères dès lors qu’ils ne partageaient plus les mêmes valeurs. Ce qui peut peut-être nous engager, par effet de miroir, à regarder comme frères tous ceux qui partagent nos valeurs, mêmes s’ils ne sont pas nos frères « ethniques ».
1807=> Questions de Napoléon au grand Sanhédrin. 12 questions.
Demain matin, nous recevrons à Maayane Or le nouveau président du Consistoire de Nice. Même s’il existe toujours entre nos deux communautés parallèles des problèmes de reconnaissance, je tiens à ce que cette visite se déroule aussi naturellement et banalement qu’une visite de familles entre frères qui se sont un peu éloignés, mais qui vont chacun reconnaître en l’autre les mêmes valeurs.
Chabbat Chalom
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