Chers
amis,
Sans
aucun doute, la paracha Terouma est une des plus ennuyeuses de toute la Torah.
Je dis ennuyeuse en ayant conscience que ce jugement est totalement
subjectif : ceux qui se passionnent pour l’architecture, l’art plastique,
la sculpture, le modelage des métaux y trouveront sûrement leur compte. Un de
mes collègues a l’habitude de dire que ce texte ressemble à un mode d’emploi de
chez Ikea… Mais pour ceux qui sont plus sensibles à l’aspect littéraire et
narratif du texte biblique, il faut prendre son mal en patience et attendre une
ou deux semaines pour retrouver le fil de l’histoire.
Généralement,
à propos de ce texte on parle beaucoup de l’amorce, le verset du début :
שמות פרק כה
פסוק ב
דבר אל בני ישראל ויקחו לי תרומה מאת כל איש אשר
ידבנו לבו תקחו את תרומתי:
« Demande
aux enfants d'Israël de me préparer une offrande de la part de quiconque y sera
porté par son cœur, vous prendrez mon offrande »
« Une offrande pour moi » = « en
mon nom » (Rachi)
« De chacun qui soit porté par son cœur »
=> valeur du don volontaire
On parle aussi du verset 8 :
שמות פרק כה
(ח) ועשו לי מקדש ושכנתי בתוכם:
« Je
résiderai parmi eux » => et non dans le sanctuaire
Ou encore des chérubins, en se demandant que fait une
image dans le lieu le plus saint et le plus symbolique du monothéisme, et
pourquoi ils se regardent l’un l’autre alors que dans un autre texte du livre
des Chroniques ils se tournent vers le Temple. La réponse à la seconde question
étant qu’ils se regardent tant que les hébreux suivent les commandements, et
détournent le regard lorsqu’ils les transgressent.
Mais cette année j’ai envie de laisser de côté la paracha
pour m’intéresser à la Haftara de Terouma, que nous ne lirons pas demain
puisque nous sommes Roch Hodech.
Tirée du début du livre des Rois, elle raconte comment le
jeune roi Salomon a commencé, dès le début de son règne, à construire le
Temple, ce que n’avait pas pu faire son père le roi David. Le lien avec la
paracha est évident.
Un passage du livre de Samuel rapporte que, lors d’un
bref répit, David avait projeté de commencer la construction, mais Dieu par
l’intermédiaire du prophète Nathan l’en avait découragé, en l’assurant qu’il
serait construit pas son successeur, qui sera son fils.
- « Son fils » mais on ne sait pas encore lequel, car il y a eu une guerre de succession du vivant de David, et Salomon ne sera désigné qu’in extremis sur son lit de mort.
- Un récit tiré du Livre des Chroniques, qui se trouve à la fin de nos Bibles hébraïques et qui relate l’histoire biblique dans d’autres termes que les livres prophétiques du début (probablement pour des questions de langue), dit que David n’a pas pu construire le Temple car il avait « trop de sang sur les mains ». Explication connue, répandue mais bizarre : en quoi le fait d’avoir fait des batailles pour délivrer le peuple d’Israël de ses agresseurs rend « impur » ? La Torah ne donne-t-elle pas des moyens de se purifier de l’impureté ? Moché et toute la génération du désert, lorsqu’ils ont construit le Michkan, n’avaient-ils pas eux aussi du sang sur les mains, après la bataille contre Amalek ? Que signifie « trop » de sang ? Jusqu’à combien d’ennemis tués on peut encore construire, et à partir de combien cela devient interdit ?
C’est parce que je ne peux donner de réponse à
toutes ces questions que je préfère ignorer le livre des Chroniques, un livre
tardif dont l’origine est douteuse, pour comprendre le texte de la Haftara
indépendamment : David n’a pas pu bâtir le Temple, car durant tout son
règne il était occupé par les guerres aux frontières et l’instabilité politique
à l’intérieur. Il n’en a donc pas eu le temps.
Salomon, lui en a eu le temps. Shlomo :מלך שהשלום שלו . Le roi qui bénéficie de la paix. La
meilleure preuve en est que pour mener à bien son projet il doit s’associer
avec un étranger : Hiram, le roi de Tyr, qui règne sur le Liban, va lui
fournir des cèdres et des cyprès pour la construction.
Arrivé à ce point, mon esprit qui a une certaine tendance
à être pragmatique et terre à terre se demande : si le bois qui servit à
la construction du Temple venait du Liban, d’où pouvait bien provenir le bois
nécessaire à la construction du Michkan, le sanctuaire du désert ?
Pour les matériaux utilisés, on a l’habitude de dire
qu’ils proviennent de ce que les hébreux ont pris aux égyptiens à leur départ,
ou qu’ils ont reçu de leur main pour partir plus vite. Cela peut se concevoir
pour les pierres précieuses, l’argent et le cuivre. Pour les tentures et les
tapis, on peut dire que la laine provient des moutons de leur bétail.
Quant au bois nécessaire pour les poutres de plusieurs
mètres de long qui tiennent les tentures pour délimiter l’espace, on aura du
mal à me faire admettre qu’il poussait dans le désert du Sinaï. J’ai aussi du
mal à croire qu’il provienne des égyptiens.
Le Midrach, qui a réponse à tout, ne s’embarrasse pas de
ces détails : « Nissim » il y eut des miracles.
Ce n’est pas le
premier ni le dernier de la période de l’errance dans le désert.
De prime abord ce détail semble n’avoir aucune
importance.
Mais la longue description dans le livre des Rois qui
décrit comment des milliers de travailleurs hébreux se sont rendus au Liban
pour prendre possession du bois, le payer, le charger et l’apporter à Jérusalem
est plus qu’un témoignage historique ou un compte-rendu de chantier. C’est le
récit d’une paix, d’une coopération entre deux rois, deux peuples limitrophes.
C’est aussi le récit d’une division annoncée, et d’une guerre civile qui
s’annonce, puisqu’à la mort de Salomon le peuple refusera les impôts sous forme
de « corvée » et fera sécession au Nord.
Pour l’instant, Salomon réussit à fédérer toutes les
forces vives de la nation autour d’un projet grandiose, mais pacifique. Là où
son père mobilisait pour des batailles contre les philistins, lui mobilise pour
apporter du bois et des pierres. Des pierres taillées sur place, dans les
carrières du Sud, pour s’emboiter sur le chantier sans instrument en fer (la
Torah orale relate la légende du Chamir, ce vers qui casse les pierres.
Peut-être une métaphore pour dire qu’un être seul, petit, fragile, apparemment
innocent, peut réussir encore mieux qu’une armée d’outils forgés et
perfectionnés…).
Le Temple de Salomon aura de nombreuses qualités :
sa beauté, sa magnificence, sa permanence etc. Mais il pèche par un défaut
originel, structurel : pour le construire, il a fallu user de la
contrainte. Les milliers de travailleurs mobilisés n’avaient pas le choix, ni
le loisir de se soustraire à la corvée. Ils étaient obligés.
Pour le sanctuaire du désert, le texte indique que tous
les matériaux proviennent d’offrandes volontaires (כל איש
אשר ידבנו לבו). Les matériaux qu’ils ne possédaient pas, Dieu a fait en sorte
de leur procurer pour qu’ils aient la possibilité… de les offrir.
Ainsi le parallèle entre les deux sanctuaires met à jour
une opposition fondamentale, au-delà des questions de dimension et de
matériel : le premier est édifié dans une atmosphère précaire, provisoire,
de fragilité face aux agresseurs extérieurs, mais sa réalisation découle d’une
adhésion volontaire, bénévole et généreuse du peuple. Le second est construit
dans une atmosphère pacifique et pacifiée, mais le chantier se fait par force
et autorité, sous la contrainte et la coercition.
L’histoire ne dit pas ce qu’est devenu le sanctuaire du
Michkan, ni s’il reste quelque chose des nombreuses pièces détachées qui le
composait. En revanche on sait très bien ce qu’est devenu le Temple de
Salomon : détruit une première fois par les babyloniens, reconstruit par
les perses, profané et souillé par les grecs, purifié par les Hasmonéens,
rénové par Hérode puis détruit par les romains, et depuis devenu un symbole
utopique de « reconstruction » qui adviendra aux temps messianiques
de la fin de l’histoire.
Ce qu’il reste du Temple de Salomon c’est un mur de
soutènement, quelques ruines archéologiques, et des descriptions imprécises et
parfois contradictoires dans le livre des Rois et dans celui du prophète
Ezéchiel.
Ce qu’il reste du sanctuaire du désert… c’est une
description hyper précise dans la Torah, et des centaines de drachot sur la
générosité, la paix, la synergie du travail en commun dans lequel chacun
apporte sa bonne volonté pour la construction d’un lieu supérieur, transcendant,
habité… et pacifique.
Chabbat chalom
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