Chers
amis,
Le
chabbat de la paracha Bechalah est connu comme étant le chabbat de
l’ouverture de la mer lors de la sortie d’Egypte, et du chant que les hébreux
ont entonné après être arrivé sur l’autre rive, à la vue de l’armée égyptienne
noyée. On l’appelle traditionnellement chabbat « chira », le chabbat
du Cantique/chant/poésie.
Ce
qui m’intéresse ce soir c’est un épisode de la fin du récit : un peuple
jusque-là inconnu du nom de Amalek vient attaquer le peuple hébreu, (on se
demande bien pourquoi et sous quel motif), et ils sont obligés de se défendre.
Moché désigne un chef militaire en la personne de Josué, qui prend la tête de
quelques hommes pour livrer bataille. Moché, avec dans ses mains « maté
haelohim » le bâton de Dieu, son frère Aaron et un autre personnage du nom
de Hour et monte sur une colline,
un point élevé, dans le but d’influer sur la bataille.
Au
premier abord, on pourrait croire que Moché, conseillé par ses camarades va
donner des ordres sur le déroulement de la bataille et les transmettre avec son
bâton.
Or
ce n’est pas ce qui se passe. Il ne fait que lever son bâton en l’air (petit
rappel, il ne s’agit pas de n’importe quel bâton : il s’agit de celui qui
se transforme en serpent, qui avale les serpents des autres bâtons des mages
égyptiens. Il s’agit aussi de celui que Moché a brandi pour ouvrir la mer, et
de celui qui servira plus tard à faire sortir de l’eau d’un rocher et autres
petits tours de magie très utiles. Le midrach fait remonter la conception de ce
bâton jusqu’à avant la création du Monde. Comme si Dieu s’était réservé un
joker, un outil préparé à l’avance qui, donné à une personne de choix, lui
permettrait de tricher un peu, de changer le cours de la création pour des
besoins impérieux…)
Le
bâton donc. Pas un petit bâton magique noir et blanc qui fait sortir les lapins
des kippot. Un gros bâton. Tellement gros qu’il est lourd à porter. Autre
curiosité : normalement, si c’est le bâton qui aide à marcher, il doit
être aussi solide que léger… or là c’est un gros bâton, que Moché se met à
porter à bout de bras, avec ses deux mains.
Troisième
curiosité : plus le bâton est haut, plus le peuple gagne, lorsque Moché
faiblit, l’ennemi a le dessus. Fort heureusement, à la fin, les deux compères
trouvent une solution : ils assoient Moché sur un rocher pour pouvoir
l’aider (ce qui parait logique, puisque Moché étant grand, même en se mettant
sur la pointe des pieds, ils auront du mal à l’aider…) puis soutiennent ce
fameux bâton. Pardonnez mon esprit pratique, qui a tendance à enlever un peu de
poésie au texte, mais si j’ai bien compris, avec l’aide apportée le bâton est
non pas plus haut, mais plus bas que lorsque Moché le tient seul. Mais au moins
il est tenu, brandi, de manière stable et ferme.
Les
sages du Midrach bien avant nous ont déjà été gênés par cette histoire, en ont
fait la base d’un midrach très connu. Ce qui est moins connu, et que j’ai
redécouvert en recherchant la source, c’est que ce midrach apparaît déjà dans
la michna, un texte très ancien consacré presque exclusivement à des sujets
d’ordre juridique. Et que c’est au détour d’une interrogation d’ordre juridique
qu’il est rapporté :
משנה מסכת ראש
השנה פרק ג
משנה ז
התוקע לתוך הבור או לתוך הדות או לתוך הפיטם אם
קול שופר שמע יצא ואם קול הברה שמע לא יצא וכן מי שהיה עובר אחורי בית הכנסת או
שהיה ביתו סמוך לבית הכנסת ושמע קול שופר או קול מגילה אם כיון לבו יצא ואם לאו לא
יצא אף על פי שזה שמע וזה שמע זה כיון לבו וזה לא כיון לבו:
משנה ח
[ו] והיה כאשר ירים משה ידו וגבר ישראל וגומר
(שמות י"ז) וכי ידיו של משה עושות מלחמה או שוברות מלחמה אלא לומר לך כל זמן
שהיו ישראל מסתכלים כלפי מעלה ומשעבדין את לבם לאביהם שבשמים היו מתגברים ואם לאו
היו נופלין כיוצא בדבר אתה אומר (במדבר כ"א) עשה לך שרף ושים אותו על נס והיה
כל הנשוך וראה אותו וחי וכי נחש ממית או נחש מחיה אלא בזמן שישראל מסתכלין כלפי
מעלה ומשעבדין את לבם לאביהן שבשמים היו מתרפאים ואם לאו היו נימוקים חרש שוטה
וקטן אין מוציאין את הרבים ידי חובתן זה הכלל כל שאינו מחויב בדבר אינו מוציא את
הרבים ידי חובתן:
L’action en elle-même n’a aucune importance, ce qui
compte c’est la Kavana, l’intention. Le bâton n’est pas un objet magique
faiseur de miracle, c’est une flèche dressée en direction de celui qui voit
tout, observe tout et éventuellement, si c’est nécessaire et qu’Il le juge
utile, intervient… ou pas.
Mais en tout cas c’est vers Lui que doivent être tournés
les regards dans les moments de détresse, d’angoisse et de peur. Comme c’est
vers Lui que se tournent les prières et les mitsvot quotidiennes. Une façon de
dire que la fonction des mitsvot n’est pas de contraindre les juifs, mais bien
de les aider à garder toujours à l’esprit et au cœur l’objectif vers lequel
tout leur vie doit tendre.
On peut développer plus vers un autre aspect :
l’histoire apparait comme une description métaphorique de la charge de Moché,
lourde et pesante, qui nécessite parfois d’être aidé, d’être épaulé au
propre comme au figuré.
Par le biais d’une méthode d’exégèse qui est à manier
avec précaution, la guematria, on rapproche Amalek du mot Safek, le doute. Mais
ce n’est pas, et j’insiste là-dessus car c’est une idée répandue, ce n’est pas
une façon de dire qu’il faut combattre le doute, s’empêcher de douter et se
complaire dans une confiance parfaite et absolue. J’y vois plutôt une façon de
dire que lorsque le doute nous assaille, il faut mener un combat. Pas contre le
doute, mais un combat tout simplement. Dans lequel s’opposent toutes les forces
de l’intellect humain. Un combat qu’il faut mener courageusement contre le pire
ennemi que quelqu’un puisse avoir, qui n’a pas pour nom Amalek mais qui
s’appelle mon moi, mon égo, la façon dont je me vois et je me représente qui je
suis.
Dans ce combat, en s’inspirant du combat contre Amalek, il
faut savoir parfois regarder en haut, prendre un peu de hauteur, et se dire que
la réponse à la question « qui suis-je ? » est : pas
grand-chose au regard de la Création, de l’Univers, de l’Histoire et de Dieu.
C’est ce qu’exprime le psalmiste, que nous lisons chaque matin, avant de
commencer à lire, étudier ou travailler : מה אנו, מה
חיינו, מה כוחנו ומה גבורתנו…
Chabbat chalom
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